Que voulez-vous que je vous dise sur mon histoire ? Elle n'a rien d'extraordinaire. Non vraiment je crains de décevoir les fans d'héroïne  ou d'histoires invraisemblables... Je ne suis pas princesse d'un pays mystérieux, je ne viens pas de la planète mars, je ne suis pas une travestie, je n'ai pas tué mes parents quand j'étais jeune, je ne suis pas née dans un orphelinat, je n'ai jamais été menacée de me faire virer du Pensionnat, je ne suis pas un fantôme, je n'aime pas la glace à la vanille, je n'ai jamais embrassé un canari, je ne suis pas nymphomane...

L'hiver, un (re)commencement...

Oui, il y a beaucoup de choses que je ne suis pas et bien moins que je suis ou que j'ai fait. Déjà je ne suis pas sortie d'un chou. Si j'existe c'est parce qu'un jour papa a dit à maman : "Et si on faisait un enfant ?" elle a acquiescé et ils ont fait l'amour. De cette union de deux corps imparfaits des milliers de spermatozoïdes sont entrés en maman et on parcouru une vraie course d'obstacle pour atteindre l'ovule en premier tout en survivant. Ce spermatozoïde n'était pas parfait mais il était le meilleur, alors pour le récompenser l'ovule s'ouvrit à lui et j'existais. Mais cette naissance n'a rien de particulier, certes elle est unique puisque chaque individu est différent, cependant il se passe tout le temps la même chose... Quelques mois plus tard, ma mère se retrouvait à la clinique Jeanne d'arc de Paris une nouvelle fois pour donner naissance à une chose rose qui avait deux yeux mordorés, deux oreilles, un nez, deux mains, deux pieds, qui respirait et qui allait s'appeler Moi. Oui, une nouvelle fois car ce n'était plus vraiment un lieu inconnu pour elle. C'est un peu le lot de tous les cadets je pense.

Moi était un chérubin presque pas pleurnichard... Ou alors peut-être est-ce seulement ce que je veux croire ? Maman appela Moi Cassandre... Peut-être croyait-elle que cette fillette allait être très belle, comme la Cassandre de la mythologie grecque? Car le destin maudit dont elle a hérité n'est pas quelque chose qu'on offre à un enfant, alors ça devait être autre chose... Ou simplement avait-elle épluché le répertoire des prénoms et à la lettre C elle décida qu'elle en avait assez de lire le bouquin et s'arrêta sur le prénom qui lui plaisait le plus de la page. Il faut dire qu'en C il n'y a pas beaucoup de beaux prénoms féminins... à part si Cunégonde ou Carmen en sont qui vous semblent pleins de charme. J'ai toujours dit qu'il fallait de tout pour faire un monde.

Les gens se penchaient sur Moi, ils voulaient lui faire des gouzis-gouzas... l'entendre rire... c'est que le rire d'un bébé est si mélodieux ! On félicitait la maman, on congratulait le papa. "Votre enfant est vraiment mignon madame" "Monsieur, votre enfant à vos yeux."... La famille arrivait et distribuait les présents. Ici des jouets en plastique, là des peluches, ou encore des petites robes roses et des chaussures de la même couleur. Sans doute les gens aimaient penser que les filles devaient aimer le rose, et les garçons le bleu. Parce que le rose c'est pour les filles... Au moins à ce stade là on ne pouvait plus douter du sexe de Moi. Même sa chambre était peinte en rose ! On lui avait acheté des barbies pour quand elle serait plus grande, en attendant elle avait une grande licorne à bascule.


Maman sortit de l'hôpital, papa prit la voiture, le coffre rempli, et démarra. Maman donnait le sein à Moi qui tétait goulûment. On lui donnait aussi des petites bouillies. C'était mignon que d'avoir Moi... Sauf que de temps en temps, on oubliait de lui changer la couche, ou des fois Moi criait dans son lit et bien naturellement cri ou pleurs, et bien ça réveillait les parents... C'est pour cela que si vous rêvez d'avoir de bonnes nuits, le mieux n'est pas d'attendre un enfant.

Quand est-ce que Moi cessa d'exister pour devenir Je ? J'ai toujours du mal à trouver une date exacte, mais je suis jeune. Je dirai que c'est lorsque je pris conscience de ce que j'étais, de ce que je suis. Sans doute qu'il s'agit du jour où je vaincus l'épreuve du miroir. Avant il nous est impossible de faire la distinction entre soi et un autre. Lorsqu'on passe devant un miroir, on salue l'image de la main croyant que c'est un autre. Moi aimait beaucoup parler avec le miroir, elle avait l'impression qu'on comprenait son charabia, qu'on pensait la même chose qu'elle. Puis Moi a fini par se rendre compte que le fait que le miroir réagissait toujours comme elle n'était pas logique alors elle réussit l'épreuve et devint je. Elle sut que l'image c'était elle. La dernière étape fut de se rendre compte que ce n'est pas vraiment moi mais simplement mon image... Sans doute l'étape la plus importante. Et je l'ai réussi.

Puis après cette observation de l'autre, après avoir appris à marcher je prononçais mes premiers mots. Mes parents avaient acheté un cahier où ils étaient pressés d'écrire. Tandis qu'on me donnait du Bledina maman me regardait en souriant et me disait "dis maman. Maman. MA-MAN"... mais je n'avais pas choisi que ça serait mon premier mot... ou peut-être que je ne comprenais tout simplement pas ce qu'elle me disait. Puis ce fut au tour de papa d'essayer. Il me prit dans ses bras et me chuchota "si tu dis papa je te fais un bisou. Papa."... je ne dis rien pour autant. A la maison les tensions commencèrent à monter. Crise stupide que faisait mes parents... Ils se disputaient sur mon premier mot... C'est là que je choisis de dire "cana... cana". Ils me regardèrent avec cette tête de six pieds de long que font les parents lorsqu'ils sont surpris. Et ne retenant pas leur déception, ils décidèrent d'oublier que je n'avais pas dit leur prénom et se précipitèrent vers moi dans une cacophonie monstre "Papa. MAMAN. PAPAAAA. PAPAAAAAAAAAAA.. MAMMMMAAAAAANNNNN ! PAMAPAMANNNNNNNNNN!!! MAPAMANNNNPAAAA!!!! PAPAMAMAMAPAPAMAPANMAPNAMPNAMANAPAM"... Toute joyeuse de leurs sourires encourageants et de ce que je prenais pour une chanson de la victoire, je criais mon éternel "CANAAAAA".... très vite ils arrêtèrent, ne comprenant pas pourquoi je m'obstinais à préférer le doux nom du canard au leur... Pour votre information personnelle, sachez que je prononçais maman avant papa...

Je grandis, toujours avec cette affection affectueusement affectueuse dont m'affectait mes parents. J'étais heureuse et épanouie. Papa s'absentait souvent pour son boulot, dont j'ignorais tout, et maman restait à la maison pour s'occuper de moi. Ensemble, nous faisions du coloriage. Elle savait très bien dessiner alors moi je coloriais ce qu'elle faisait avec mes gros feutres... ce qui gâchait un peu le travail de l'artiste mais ça me faisait rire et maman riait de mon rire. Un jour, elle peint un mouton. Avec mes feutres je le bariolais de couleurs. On rit tellement que le mouton se retrouva avec des oreilles à la dumbo et qu'il avait presque l'air de voler sur la feuille... Je vous promets que je n'invente rien. J'ai vraiment vu un Dumbmouton! J'avertis maman que "le mouton et bah il fait l'oiseau dans le dessin." mais Maman resta interdite un long moment, ne comprenant pas grand chose, avant secouer la tête et de redessiner autre chose... Mais depuis, il m'arrivait souvent de rêver qu'un Dumbmouton arrive dans la nuit et m'emmène sur son dos. Ensembles, nous verrions tellement de pays que je deviendrai multicolore moi aussi et qu'on m'appellerait la princesse arc-en-ciel.

Mais je dois vous apprendre quelque chose aussi. Car j'ai beau ne parler que de moi et de mes parents, ce n'est pas véritablement exact. A la maison, il n'y avait pas que nous trois, bien que les premières années je sois restée assez possessive avec mes parents. J'ai une sœur, et deux frères. Ou plutôt deux demi-frères. J'ai toujours eu du mal à m'entendre avec eux. Sûrement à cause du fait qu'ils aient tous deux plus de dix ans de plus que moi. Ils devaient me considérer comme un bébé, comme quelque chose d'inutile, qui ne faisait que les encombrer lorsqu'ils devaient garder la maison quand les parents s'absentaient. C'est sûrement leur attitude distante qui a fait que je n'ai jamais cherché à établir un lien plus poussé avec eux. En revanche, j'ai une sœur. Née en décembre, comme moi. Blonde, comme moi. Belle, presque comme moi. Hélène possède cette beauté naturelle que je lui ai souvent enviée. Et peu à peu, j'ai appris à délaisser mes parents au profit de cette sœur. Avec laquelle j'ai développé une parfaite complicité. Elle était un peu le modèle que je n'avais jamais eut. Et lorsque la maîtresse avait demandé à la classe ce qu'on voudrait faire plus tard, je m'étais empressée d'écrire que plus tard, je serais Hélène Delaunay, fière comme tout de ma réponse. Mais ça, Hélène n'en a jamais rien sut. Car c'est quelque chose que pour rien au monde je ne lui aurais avoué. Fière et butée, je n'en démordais pas.



Je vous avais prévenu que dans cette histoire vous ne trouverez ni d'actes de super-héros... ni de choses extraordinaires... et bien j'avais tord. Je suis quand même possédée par une Déesse nordique...

Le début de la déchéance

A ce moment, j'aimais encore énormément mon père. Et puis, progressivement, ça a changé. D'abord, il a perdu son travail. Ca a été le commencement. Le début de la fin. Et, un peu plus chaque jour, il s'enivrait davantage.

Et tout le monde est parti.
D'abord mes frères, sans que cela m'affecte plus que cela. Ils étaient grands. C'était dans l'ordre des choses comme disait maman. Et puis Hélène, à la fin des grandes vacances. Elle intégrait le Pensionnat, et je retournais à l'école primaire. Ca aussi c'était dans l'ordre des choses j'imagine. Je déteste cet ordre des choses. Il pue. Je me suis retrouvée seule, avec mes parents.

Je n'aimais pas papa lorsqu'il buvait. Il avait le visage plus rouge, et il parlait beaucoup plus fort. Sa voix douce et grave que j'aimais tant disparaissait derrière un rugissement sonore aux syllabes parfois incompréhensibles. Il me faisait peur. Je restais dans un coin de la cuisine, à le regarder sans piper un mot, lui qui était assis à la table, prostré, un verre à la main. Et puis, lorsqu'il ne pouvait plus supporter ce regard inquisiteur planté dans son dos, il se retournait d'un coup et me criait dessus, me faisant détaler comme un lapin jusque dans ma chambre. Parfois, il avait la force de me suivre en tanguant dans le couloir jusqu'à la porte de ma chambre, que je refermais alors précipitamment avant de m'asseoir contre le battant et de me mettre à pleurer la tête entre les genoux, attendant qu'il se lasse et reparte vers la cuisine... Je ne sais pas ce que j'attendais en le fixant ainsi. Peut être qu'on me rende le père que je connaissais. Il n'en fut rien, et la situation continua à se dégrader lentement. Je me mit à en vouloir à Hélène d'être absente. Je pensais revivre lorsqu'elle reviendrait pour les vacances. Que tout irait mieux, que tout s'arrangerait. Je m'arrangeais pour tenir en pensant à cela. En comptant les mois et les jours qu'il me restait à tenir avant qu'elle ne revienne ici, à la maison.

J'ai appris un nouveau mot aussi. Alcoolique. C'était le mot que les autres enfants chuchotaient dans la cour en me montrant du doigt. Je ne sais pas si eux aussi ignoraient ce qu'il signifiait. Sans doute que leurs mamans le leur avaient expliqués lorsqu'elles leur avaient dit.

- Cassandre, pourquoi ton papa il est alcoolique ?
- ... Je sais pas.
- C'est grave tu crois ?

J'aurais aimé m'enterrer à dix pieds sous terre durant cette période. Je n'assumais tout simplement pas cette différence, j'en voulais à tout le monde pour cela, et en particulier à mon père. Pourquoi? C'était ce que je lui avait hurlé à travers la porte un soir, et il m'avait répondu en tambourinant à ma porte pour que je le laisse entrer.

Et Hélène est enfin rentrée. Je l'ai accueillit avec un sourire. Avant de déchanter rapidement la semaine d'après. Elle était de son côté. Car pour moi, il n'y avait pas de gris. C'était soit noir, soit blanc. Soit lui, soit moi. Et c'est lui qu'elle a choisit. C'est à lui qu'elle trouvait des excuses, c'est lui qu'elle allait chercher dans les bars, lui qu'elle amenait jusque dans sa chambre certains soirs. Et moi, je rongeais mon frein dans mon coin, entretenant davantage encore cette haine qui était devenu mon carburant.
J'en avait voulu à Hélène. A présent, je la détestait. C'est ce qu'elle se mit à comprendre durant cet été. Et c'est ce qu'elle comprit le reste du temps qu'elle passa avec moi.

Cela ne l'empêcha pas de repartir au Pensionnat l'année d'après. Et la vie à Paris continua, morne, régulièrement ponctuée par les crises de beuveries de mon paternel. Et par la distance que prenait désormais peu à peu ma mère. Elle s'était inquiété. Elle avait pleuré, supplié. Mais à présent, ses yeux étaient secs. Secs d'avoir trop pleuré. Et son cœur s'était asséché en même temps. Je pense qu'elle ne l'aime plus. Ou du moins qu'elle l'aime moins. Reste - elle avec lui juste parce que nous sommes là, Hélène et moi ? C'était l'une des questions que je suis venue à me poser, douloureuse. Ma famille s'effritait. C'était un constat, tout simplement. Et même si j'étais jeune, je m'en rendais compte. Tout ce qui m'entourait était donc voué à mourir de la même façon ? Ca me faisait mal au cœur. Etait-ce de ma faute ? Ou était-ce simplement la sienne ? Qu'avais-je fait de mal ? Je gardais mes questions au fond de moi. Une faille s'était ouverte en moi et le doute, la peur et la plus douce des folies s'y immiscèrent. Mêlée d'une rage et d'une rancune tenace. Envers ceux qui avait fait chavirer mon monde si parfait.

Entrer au Pensionnat l'année suivante me fit du bien. Tout comme Hélène, on m'avait envoyé cette documentation et ces prospectus. Une bouffée d'air frais, loin de ce monde qui m'oppressait. Je m'arrangeais pour rentrer le moins possible. Je fuyais cette maison que je haïssais, et ses occupants que je détestais tout autant. Je fuyais, comme Hélène l'avait fait avant moi. Et je m'en rendais compte, me détestant pour cela. C'est dans cet état que je suis atterrit là bas. Et c'est également à cause de cela que j'ai commencé à m'en prendre aux autres. Leurs faire subir un peu de cette rage qui grandissait, inéluctable, en moi. La déverser sur les autres, afin qu'elle ne finisse pas par me noyer. Oui, je me servais des autres. Oui, j'agressais les plus jeunes. J'étais une peste, je l'admet à présent sans trop de problèmes lorsqu'on me le fait remarquer. J'ignorais ma sœur, purement et simplement. Et parfois, je m'aventurais à lui poser quelques problèmes. Revancharde. Rancunière. Butée. Têtue.
J'avais 16 ans lorsque Idunn s'est glissée en moi. J'avais 16 ans lorsque j'ai été transférée dans la classe M. J'avais 16 ans lorsque ma vie a prit un tournant décisif…

Et pourtant, les années se sont succèdées, immuables. Au détail près que ma situation familiale battait encore davantage de l'aile, si c'était possible... Et que j'ai intégré le Pensionnat en tant que membre du personnel. Car je ne vois pas où je pourrais aller d'autre. Car c'est ici que je considère avoir ma place, depuis qu'elle s'est immiscée en moi. Et car ma "maison" n'en est plus vraiment une depuis longtemps…