Des cheveux sombres coupés aux épaules, une frange bien droite, un regard franc et provocateur, ce sont les premières choses que l'on découvre d'Eve. Quand elle vous transperce de ses grands yeux bleus, elle paraît vous mettre au défi, au défi de faire un commentaire sur sa présence, sur ses sautes d'humeur, sur son comportement parfois maniaque, parfois nonchalant. Puis elle détourne la tête, reporte son attention sur autre chose, un oiseau qui passe devant sa fenêtre, une tache d'encre sur sa table qu'elle essuiera méticuleusement. Colérique, intelligente et maniaque, ce sont les secondes choses que l'on découvre d'elle. Matheuse jusqu'au bout des doigts, quand elle se concentre sur quelque chose qu'elle ne maîtrise pas, les tables et feuilles valsent autour d'elle. Puis elle s'en va, sans même vous jeter un regard, sans même se préoccuper du jugement que vous pourriez lui porter. Les autres, ce n'est pas sa tasse de thé. Mieux vaut être ferme et clair là dessus. Le peu d'amis qu'elle se fait, elle ne les garde pas bien longtemps. A quoi bon garder autour de soi des personnes qui de toute façon vous contrarierons, chercherons à vous nuire quand ils seront déçus ? Eve n'est pas du genre à se préoccuper des sentiments qu'elle provoque chez les gens. Ils la jugent, tant mieux pour eux, mais qu'ils le fassent en silence. Ils sont agacés par elle, même chose. Par miracle ils l'apprécient ? Parfait, qu'ils le fassent loin d'elle. Une solitaire, vous l'aurez compris. Mais quand, par l'opération du saint esprit, elle se laisse approcher, la douleur pour elle n'est que plus grande si elle est déçue ou blessée, et la haine qui en découle, plus vivace. Mais passons un peu à ses qualités, les choses qui font d'elle, malgré tout, quelqu'un d'agréable quand vous savez la prendre. Elle est passionnée. Ca, on ne peut pas lui enlever. Passionnée par les maths, persévérante, têtue. Quand elle a réellement décidé quelque chose, elle va jusqu'au bout. Il ira jusqu'au bout probablement toute seule dans son coin, sans jamais personne pour l'aider, mais au moins, elle s'y rendra.
Mais assez parlé de son mauvais caractère. Au niveau vestimentaire, elle n'a pas vraiment de style, elle met tout ce qu'elle trouve sympa et qui lui passe par la tête. De corpulence mince, aucun vêtement ne jure avec sa peau pâle et ses yeux bleus qu'elle surmonte d'un léger trait noir. Elle ne porte rien d'extravagant, rien qui la fasse se faire remarquer. Elle se fond dans la masse et souvent, on ne la voit pas tant qu'elle ne se manifeste pas. C'est le genre de fille qui est toujours au fond de la classe et ne parle jamais à personne. Elle est aussi maniaque, eh oui. Sa chambre est toujours bien rangée, ses cours bien classés, et le ménage parfait. C'est sur que sa future colocataire ne pourra pas se plaindre de ça, même si elle aura probablement matière à râler ailleurs. Mais bon, sa maniaquerie ne s'arrête pas à sa chambre. C'est presque un toc finalement. Elle aime les choses carrées, bien rangées, bien nettes et précises. Elle n'ira pas jusqu'à porter des gants pour éviter le contact des germes ou des bactéries. Non, ce n'est pas à ce point. Mais il est sûr qu'elle évitera le contact rapproché avec les gens, et qu'elle aime bien se laver les mains régulièrement dans la journée. Hygiène corporelle impeccable, affaires toujours clean, pas un mouton de poussière dans sa chambre. Tout est toujours bien propre.

Le 27 juillet 1999, Eve naît de parents surdoués, riches, et scientifiques reconnus dans le monde entier... Non. Ce serait beaucoup trop hors du commun comme vie, hein ? Je reprends. Le 27 juillet 1999, Eve naît à Londres, d'une mère comptable et d'un père policier. Des parents communs, une enfance et une adolescence banales. Rien d'extraordinaire ne s'est jamais passé dans sa vie. Elle est née dans l'après midi, sans encombre, et en parfaite santé. Ses parents l'ont ramenée chez eux, dans leur appartement modeste dans la périphérie de Londres. Comme des parents aimant, ils ont passé son enfance à la photographier, la filmer. Ses premières dents. Ses premiers pas. Ses premiers mots. Sa rentrée en maternelle. Tout est affiché sur le frigo. Une très jolie photo d'ailleurs pour sa rentrée en maternelle. Avec son petit sac à dos, ses couettes brunes, et son grand sourire enthousiaste, elle était vraiment adorable. Passons à la photo suivante. Elle est mignonne celle là aussi. C'est quand ses parents lui ont offert un chat. Ils s'inquiétaient de la voir jouer avec un ami imaginaire, et quoi de mieux qu'un nouveau compagnon pour faire passer cette manie enfantine ? Un chaton, tout mignon, tigré, avec des grands yeux qu'elle serre toute contente contre son petit cœur, un grand sourire dessiné sur le visage. Un sourire auquel il manque une dent. Eh oui, la fée des dents vient de passer pour la première fois. Elle a embarqué la quenotte fraîchement tombée et a laissé quelques bonbons pour faire tomber les prochaines. C'est qu'elle aide son travail la maligne. Je vous passe  son premier vélo, ses anniversaires avec ses copines, et on va s'arrêter deux minutes sur son arrivée en primaire. C'est que tout ne s'est pas très bien passé cette année là. Eve papillonnait, et puis ses parents se disputaient pas mal à la maison. Et quand on se dispute, on ne fait pas trop attention aux autres hein ? Encore moins à une petite fille qui ne fait pas trop de bruit. Et là. Le drame. Le chat se fait écraser par une voiture. Eve est encore moins attentive en classe et elle finit par redoubler son CP. Ses parents reportent la faute sur l'autre, s'entre-déchirent définitivement et finissent par divorcer. C'est comme ça que les photos sur le frigo ont été séparées. La moitié chez papa, l'autre moitié chez maman. Sur la frigo de chez maman, on voit une Eve  moins enjouée, plus renfermée. Sur le frigo de chez papa, on voit une Eve tout aussi triste. Une semaine chez l'un, une semaine chez l'autre. Les années passent, Eve grandit sur les deux frigos, mais son sourire disparaît peu à peu. Un appareil dentaire arrive, puis repart, ses cheveux se raccourcissent, se rallongent. Elle commence à avoir des formes, puis une paire de lunettes fait son apparition sur le bout de son nez. Elle les porte pour lire, pour travailler. Sur le frigo chez papa on la voit, concentrée sur un problème de maths, les cheveux relevés à la va vite et ses lunettes bien remontées devant ses yeux. Sur le frigo chez maman, elle est complètement endormie, un livre dans les mains, sur le canapé. Ses lunettes tombées sur ses genoux. Les années continuent de filer, et arrive l'entrée au lycée. Sur l'une des dernières photos, il y a un garçon avec elle, il lui tient la main et la regarde de ces yeux amoureux. Comme si il n'y avait qu'elle sur terre, comme si elle était la seule qui comptait. Mais comme tout, il finit par partir aussi, et elle se retrouve de nouveau seule sur le frigo. Pourtant, elle ne semble pas souffrir de cette solitude, elle semble heureuse malgré tout. Mais c'est tout en haut que se trouve ce qui nous intéresse. Bien à hauteur des yeux, pour ne pas le rater. Le papier a été déchiré en deux sous un coup de colère, c'est que ça ne lui fait pas plaisir de penser que sa mère veut se débarrasser d'elle. Mais elle a réfléchi, y a mis un bout de scotch et l'a accroché au frigo. En même temps ce pensionnat propose un cursus d'études qui pourrait lui plaire. Les maths, elle a toujours adoré ça, et pourquoi ne pas partir pour s'assurer un avenir qui lui plaît ? Elle n'a plus vraiment de contact avec son père, il a déménagé et demande à la voir de moins en moins souvent. Au moins, elle n'a pas besoin de lui demander son avis.
Eve esquisse un sourire franc et décroche le prospectus. De son autre main, elle saisit sa valise avant de se retourner vers sa mère. Cette dernière a les larmes aux yeux mais paraît tellement heureuse pour sa fille. Eve la serre fort dans ses bras et lui promet de l'appeler ou de lui écrire le plus souvent possible. Puis elle traverse le petit studio et ferme violemment la porte, comme à son habitude.

Eve se réveilla avec un sacré mal de crâne. Depuis qu'Arès s'était établit dans sa tête la veille, elle avait un peu de mal à s'adapter. En même temps, l'adaptation, c'est pas trop son truc. Elle se redressa dans son lit et entendit le dieu grommeler, visiblement mécontent que son nouveau corps se lève aussi tôt un samedi matin. Elle soupira. La vie est suffisamment compliquée quand on est seul, mais quand on a quelqu'un en permanence dans la tête, elle devient impossible. De toute façon, c'est elle qui commandait, donc qu'il le veuille ou non, lui s'adapterait à elle. Elle se leva complètement, enfila un jean, un t-shirt, et glissa ses pieds dans ses baskets. Elle se faufila doucement en dehors du dortoir encore endormi pendant qu'Arès continuait de râler et inspira une profonde bouffée d'air frais en espérant que le froid de ce mois de décembre apaiserait sa migraine.

Je te le dis moi gamine, ça va pas le faire entre nous si tu continues à m'ignorer.

Eve expira et regarda son souffle faire des volutes de fumée dans l'air glacial. Difficile d'ignorer quelqu'un qui parle constamment et que l'on ne peut arrêter.

Tais-toi un peu, on s'entend pas penser.

La jeune fille sentit l'énervement de la divinité. Étrange sensation, comme si elle-même était énervée tout en ne l'étant pas. Elle ressentait son sentiment comme quelque chose qu'elle voyait de l'extérieur tout en le comprenant parfaitement de l'intérieur. Elle eut soudain envie de rentrer chez elle, et récupérer le dernier paquet de cigarettes qu'elle avait laissé là bas en se disant que c'était le moment d'arrêter. Elle fumait toujours quand elle était énervée. Elle ferma les yeux, imagina la fumée descendre dans ses poumons tout en y ajoutant une couche de produits tous plus toxiques les uns que les autres. Elle rouvrit les yeux. Elle avait bien fait d'arrêter.

Tu ferais mieux de reprendre, au moins tu arrêterais d'y penser toute la journée, et tu arrêterais de me saouler.

Tu diras pas la même chose quand je serai malade et que tu devras me supporter comme ça. Déjà que tu le vis mal de te retrouver dans le corps d'une fille.

Elle sentit le rire d'Arès raisonner dans sa tête, mi-amusé, mi-contrarié. Elle frissonna une dernière fois dans le froid et poussa la porte du dortoir. La chaleur du couloir ranima peu à peu ses doigts glacés à mesure qu'elle remontait dans sa chambre. Mais alors qu'elle allait entrer, quelqu'un la bouscula violemment et elle se retourna vivement. Probablement un étudiant peu attentif, et alors qu'elle contait le laisser filer, celui-ci la poussa encore, mais cette fois volontairement.

« Tu gênes mon passage. »

Eve planta ses yeux dans les siens, beaucoup plus haut. Il avait au moins une tête de plus qu'elle.

« Si tu as un problème, tu te décales. »

Le garçon la bouscula encore avant de continuer son chemin, et la jeune fille résista fortement à l'envie de lui coller son poing dans la figure. Ce n'est probablement pas la meilleure chose à faire que de s'attirer des ennuis dès son arrivée. Elle tenta de contenir toute la rage et la colère qui la submergeait, et qui elle le savait n'était pas totalement sienne, Arès y mêlant ses émotions. Elle donna un grand coup de pied dans la porte de sa chambre qui s'ouvrit à la volée, entra, et la referma en la claquant avec violence. Puis elle envoya voler ses baskets d'un grand mouvement de jambes. Plus elle s'énervait, et plus Arès faisait monter sa colère, encore et encore. Elle donna un grand coup de poing dans le mur, et finit par arriver à contrôler la divinité qui s’immisçait dans sa tête.

Je sens qu'on va bien s'amuser toi et moi, gamine.