Ethan haussa les sourcils, surpris d’apprendre que la famille de Gyula n’était pas aussi bien nantie qu’il l’avait imaginé au départ. Heureusement pour lui, il semblait avoir une famille qui prenait soin de ses enfants, comme il affirmait ne jamais manquer de rien. C’était l’important. Il était toutefois resté humble et avait préféré vivre par lui-même une fois aux études, ce qu’Ethan pouvait bien comprendre et respectait. Ne pas dépendre de personne était important, il en savait quelque chose.

S’arrêtant au beau milieu du couloir pour se retourner vers son interlocuteur qui le rejoint de quelques pas, il affichait une expression de dédain, mêlé à de la confusion. Il enviait Gyula d’avoir eu une famille soutenante avec laquelle il aurait pu se permettre de recevoir de l’aide en cas de problème. Ça semblait même un peu stupide de se taper quatre boulots quand tu pouvais l’éviter et terminer tes études, quitte à revenir aider ta famille. Ce qui expliqua les mots qui sortirent de sa bouche sans réflexions apparentes.

« Ah j’pensais qu’on était deux paumés mal aimés, mais au final t’es juste con. »

Réalisant son manque de délicatesse, il leva le doigt en l’air pour indiquer qu’il allait prendre une minute pour préciser sa pensée avant de reprendre aussi diplomatiquement qu’il était possible de le faire après une telle déclaration.

« Okay, s’pas personnel, j’dis ça parce que j’comprends pas. T’as pas aimé la fac, alors t’as abandonné une famille prête à t’aider pour te faire chier avec quatre boulots à distance? Autant j’suis totalement pour l’indépendance et l’autosuffisance. C’est s’que j’ai fait d’ailleurs…, mais ça n’aurait pas été plus simple de tolérer quelques années, prendre un ou deux boulots, sortir avec un diplôme et aider ta famille en retour? J’dis ça, j’dis rien…»

La question était sincère. Pour Ethan, qui aurait chéri une telle situation familiale, il ne comprenait pas ce qui avait pris à Gyula. Il lui fallait une raison valable. Laissant le temps à son coloc de répondre, il en profita pour se faufiler dans la chambre avec lui pendant qu’Aphrodite, comme à son habitude passait ses observations.

« Un peu comme la tienne? Il a peut-être de bonnes raisons. Toi aussi tu as quitté l’orphelinat sans support et même avant le temps requis. Tu as eu plusieurs emplois en même temps. Votre situation peut être similaire en fait. »

C’était vrai, et il était assez d’accord avec la déesse, mais justement il était curieux de savoir ce qui avait incité son ami à agir de la sorte.

« Il s’est passé quoi à la fac pour que tu détestes la chose autant? Enfin, s’tu veux en parler. J’me dit qu’il fallait une bonne raison. J’me claque plusieurs boulots d’puis un moment, mais j’suis forcé en fait. J’me la coulerais douce dans ta situation. Enfin pas trop, mais, j’réduirais. Après pour les problèmes de langues, j’te feel… »

Même s’il ne connaissait pas exactement sa situation, il comprenait toutefois la difficulté d’obtenir un emploi en anglais. Pour lui, ça n’avait pas été un problème, puisqu’il le parlait plutôt bien, mais la qualité de sa langue laissait à désirer et ça, avait été nuisible pour sa crédibilité. Il ne pouvait que compatir.

Ethan balança ses effets personnels au sol avant de résumer très brièvement ses dernières années en réalisant à quel point elles avaient été le reflet de sa vie entière et se résumait bien par le mot : instabilité.

« Perso, j’ai pas fait grand-chose avant d’atterrir au pensionnat. Quand j’ai atteint mes 18 ans, j’ai quitté l’orphelinat officiellement. J’me suis débrouillé comme j’ai pu, vendre mon art, parfois fait des trucs pas trop légaux. Ensuite, j’avais commencé à me faire connaître dans le coin et mes amies m’ont aidé à m’trouver un boulot dans un bar à temps partiel, puis à temps plein vu mon intérêt pour la chose. Mais c’était un peu particulier comme endroit alors j’ai bougé dans un autre bar un peu plus legit. À partir de là j’ai fait une tonne de petits jobs à mon compte, selon les opportunités qui passaient. J’avais des plans plus sérieux, mais ça jamais vraiment débouché au final et je me suis dit que j’essaierais un retour aux études. J’ai été refusé partout jusqu’à ce que je reçoive une proposition du pensionnat, les seuls prêts à m’prendre et en art en plus. Voilà, maintenant j’suis coincé à Immo avec ma… « tendre moitié » et un norvégien bronzé qui à une appréciation malsaine des cactus. S’ma vie. »

Ethan tira la langue à l’intention de Gyula avant de se laisser tomber dans son propre lit. Il n’osa toutefois pas fermer les yeux même si l’envie était bien tentante, il savait qu’il ne résisterait pas.

« Mauvaise idée. » , dit-il pour lui-même en se redressant et passant sa main sur son visage pour étirer ses traits.

Ce confort et cette sensation de propreté et celle d’être repu étaient ce dont il avait eu besoin. Il aurait pu s’endormir immédiatement, mais il préférait lutter afin de terminer cette conversation. Au fond, c’était surtout parce qu’il craignait les cauchemars qui accompagneraient inévitablement sa sieste, parce qu’il n’était pas particulièrement intéressé à partager ses expériences de vie en ce moment. Celle de Gyula par contre, ça c’était pertinent! Il réalisait que la majorité de leurs conversations tournaient généralement autour de leur vie étudiante. Il était définitivement temps d’apprendre à le connaître plus personnellement.

« Au fait…tu fais quoi maintenant? T'as encore genre quatre boulots ? J’réalise que j’sais pas s’que tu fais en dehors du pensionnat. »

Ethan avait attrapé avec un court délai de réaction la couverture balancée par Gyula résultant en sa réception en plein visage. Il se rappela soudainement, à l’odeur, qu’il avait promis de laver ses draps un peu plus tard, lui qui s’y était emmitouflé après une soirée et une nuit mouvementée. Il se promit de nouveau de le faire plus tard. Amusée par son enjoué colocataire, un large sourire s’étira de nouveau sur ses lèvres et il repoussa lentement le tissu de son visage pour le lui exposer alors que ce dernier affirmait jouer la nounou. C’est qu’il n’était pas peu fier de voir Gyula se démener pour lui au final. Il le suivit du regard attentif à ses révélations. Enfin, « révélations », car au final ce ne fut pas spécialement un choc : good guy Gyu! Le travail à la ferme, en plus de la boxe, ça devait également justifier sa musculature qui se développait graduellement depuis qu’il le connaissait, chose qu’il avait tout de même pu remarquer.

« Oh c’est sympa comme boulot. »

Pendant l’espace d’un moment, il se demanda même s’il ne pourrait pas profiter du même genre de boulot. Ça devait être plaisant ou du moins beaucoup plus propice à une atmosphère sereine. Il était définitivement habitué aux travaux physiques. Il n’aurait toutefois pas voulu piquer le boulot de son colocataire et il chassa rapidement l’idée. De toute façon, il avait sa place en ville et son travail lui rapportait sans doute davantage. Entre-temps il avait tiré ses propres couvertures désorganisées vers son épaule, révélant ses pieds sans qu’il ne s’en rende compte. Il s’était même installé confortablement ne prenant pas la peine de repousser complètement celle de Gyula qui servait de second oreiller à ses côtés et avait osé fermer les yeux l’espace de quelques longues secondes.

Il s’était attendu à devoir répondre à un contre-interrogatoire, mais au bout d’un moment, la voix sourde de Gyula parvint à ses oreilles, l’encourageant à s’endormir. Il ouvrit rapidement les paupières pour les poser de nouveau sur son interlocuteur, luttant toujours contre le sommeil.

« Ça va, j’ai pas som…meil… », bâilla-t-il.

« Et il faut bien quelqu’un pour te divertir ou botter l’cul d’la sécurité s’ils se pointent. S’pas avec tes claques que tu vas y… arriver…. En plus, tu vas quand même pas m’regarder dormir? Utilise ton temps pour écrire des mots doux à ton …Ashton

Il gesticula lâchement d’une seule main avant de la relaisser tomber à côté de sa tête.

« … non…fais pas ça, t’as b’soin moi…chu un pro d’la séduction… pour en écrire…arf…des mots doux…j’veux dire… à ton jardi…»

Le rythme de ses mots était brisé par la lenteur de la pensée d’Ethan, lui qui tentait toujours de garder la conversation intéressante et de piquer amicalement son colocataire pour dédramatiser la journée. Très vite incapable de finir sa phrase, un faible soupir s’échappa de ses lèvres entrouvertes avant que le silence ne s’installe totalement, sans doute au grand soulagement du Norvégien, mais très certainement à celui de la déesse qui attendait simplement de lui qu’il se détende enfin.

Après quelques minutes, un seul faible mot, camouflé en un soupir « takk.. » s’échappa de nouveau des lèvres du jeune homme, mais cette fois d’une voix féminine et sensuelle, tout aussi épuisée que la sienne. Une attention toute particulière ne venant évidemment pas du roumain. C’est que la déesse avait eu la chance la veille de comprendre les limites et le fonctionnement de la possession totale et avait cru bon s’assurer que Gyula puisse percevoir un brin de reconnaissance de la part de son apparemment ingrat possédé qui se faisait toujours un point d’honneur de ne pas « montrer de faiblesses » et préférait assumer que son interlocuteur en était conscient tout simplement.