D’un œil étrangement satisfait, le Directeur couvait du regard ses élèves adorés. En cette occasion spéciale, il avait rassemblé collège professoral, lycéens normaux et M dans la salle commune du Pensionnat, sous prétexte qu’une soirée à thème allait s’y dérouler. Fort heureusement pour son ego, tout le monde avait répondu présent et certains s’étaient même réjouis à outrance en proposant déguisements décalés, gourmandises répugnantes et jeux sordides.

La soirée battait son plein. Le Directeur avait fait venir un de ces groupes de musique dont la sono vous hurle dans les oreilles jusqu’à les casser, et la plupart des élèves se dandinaient sans honte sur la piste, au cœur de la salle. Les plus timides d’entre eux se tassaient contre les murs, espérant qu’on ne les remarque pas, et les professeurs faisaient chambre à part en buvant de l’alcool frelaté près d’une table angulaire coincée entre deux murs.

Dans cette jolie mélodie d’un tableau festif, quelque chose sonnait mal, et ce n’était pas que la voix de fausset du chanteur, qui s’égosillait à tue-tête dans son micro. Le Directeur comptait et recomptait, fronçait et défronçait les sourcils, pinçait et dépinçait les lèvres. Quelqu’un manquait à l’appel. Personne ne semblait s’en soucier, c’est pourquoi il crut d’abord à une erreur de sa part. Pourtant, il aurait dû savoir que son intuition était bonne. Après tout, le Pensionnat était bien à lui, il en était le maître incontesté et il savait tout ce qui se passait sur ses terres.

Alors que l’un des musiciens, si l’on pouvait les appeler ainsi, quémandait une pause pour se remettre les cordes vocales en place, quelqu’un fit irruption dans la salle, la jupe aussi froissée que les cheveux et les yeux écarquillés. Nika Iélanov, une infirmière récemment engagée et dont le tour de garde était tombé pendant la fête. Le Directeur en fut fâché : c’était elle qui faisait flancher le décompte, mais elle aurait dû rester à l’infirmerie. Courant vers lui, elle cria :
« Il est mort ! Le professeur Al-Kaajim est mort ! »

Le pauvre cœur du Directeur manqua un battement. Comment avait-il pu oublier le professeur de sport ? Ce pauvre diable n’était pas très apprécié ni par ses collègues, qui le jugeaient trop brutal, ni par les élèves, qui n’aimaient pas courir par grand froid, mais un Directeur n’avait pas le droit de faire impasse sur l’un des membres de son corps professoral. Cet homme était toujours très discret,  un peu mal à l’aise en public quand il s’agissait d’oraison, et savait se faire oublier. Le vieux bonhomme s’avança en direction de la jeune femme, et lui demanda quelques précisions à l’écart de toute oreille qui traînerait dans la salle commune.
« Je veillais à l’infirmerie quand j’ai entendu un râle atroce. Je croyais que c’était une farce de quelques élèves qui avaient fait un détour avant d’aller à la fête, mais quand j’ai passé ma tête dans le couloir, j’ai vu le professeur étalé par terre. Il respirait toujours, et je lui ai prodigué les soins de premiers secours, mais je n’ai rien pu faire pour lui. Il souffrait depuis de trop longues heures. »
Nika Iélanov inspira bruyamment, puis déballa à toute allure : « Je pense qu’il a été tué par un membre du Pensionnat. »

Mais le meurtre n’était pas toléré au Pensionnat, en dépit de certaines mœurs antiques qui y faisaient loi. Le Directeur resta étrangement calme. Malgré tout, il avait dû se contenir pour ne pas exploser de rage. Il avait dû serrer les dents et les poings aussi fort que son vieux corps lui permettait et compter les palpitations de son cœur pour ne pas qu’il risque la crise d’arythmie. Qui avait osé remettre en cause ses capacités de directeur et son omniscience dans le Pensionnat ? Qui était l’auteur de cette outrageuse offense ?

Il regarda avec insistance les quelques curieux, élèves et adultes, qui s’étaient rassemblés autour de lui pendant cette brève entrevue. Tous des M ou anciens M. Ils avaient évidemment tout entendu, la pauvre Iélanov étant trop choquée pour penser à murmurer. Le Directeur sourit. Il était temps de les laisser lui montrer ce dont leurs dieux étaient capables.

« Aidez-moi, vous tous… Allez me trouver l’auteur du crime et ramenez-le moi. Il mérite châtiment. »

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