En te levant ce matin, tu avais nullement prévu le déroulement de cette journée. Déjà poussée par tes humeurs changeants, il est difficile de savoir d’avance ce que tu auras envie de faire, qui tu auras envie de fréquenter. Par exemple, pourquoi être sortie, toi qui déteste le soleil trop vif, plutôt que de te reposer tranquillement dans la librairie ou pratiquer un morceau au club de musique? Tu vas là où te mènent tes désirs du moment, n’ayant nul besoin de t’expliquer, inutile de te poser trop de questions. N’empêche, tu te dis que les choses auraient été plus simples si tu étais restée à l’intérieur au lieu d’aller prendre un bol d’air frais.

Heureusement, tu avais songé à porter des jeans pour couvrir tes jambes. Abîmer ta peau si délicate t’aurait été insupportable. Pour l’occasion, tu transportes un parasol décoré de dentelle. Celui-ci couvre le haut de ton corps d’une ombre capricieuse, car elle n’obéit qu’aux rayons du soleil. Heureusement, l’astre est bien haut dans le ciel au moment de ta sortie, ton torse habillé d’une camisole bien simple d’un rouge éclatant et tes bras découverts sont bien à l’abri.

Marchant donc à travers le parc, tu prends ton temps. Inspirant profondément, tu profites d’être seule pour retirer temporairement tes verres fumés. De style élégant, ils ne sont pas trop encombrant et suffisent à protéger tes iris fragiles. Tu ignores combien de temps durera ta promenade en solitaire, mais tu imagines que tu vas bien vite croiser d’autres étudiants. Alors, tu absorbes autant que possible les couleurs vibrantes autour de toi, car l’instant où tu couvriras ton regard à nouveau, le monde autour de toi se teintera légèrement. Tu t’es habituée à un environnement atténué, mais il te plait toujours de voir l’extérieur sans filtre.

Au loin, une silhouette que tu reconnais bien. Blonde, grande, élégante. Calypso. Tu t’arrêtes, incertaine de ce que tu veux faire à présent. Continuer ton chemin et l’ignorer? Changer de direction pour l’éviter? Ou alors…

Tu n’es pas de celle qui va reculer devant un défi. Tu as beau ne pas apprécier celle qui se surnomme la reine du lycée, titre que tu convoites toi-même, tu sais que rien ne vaut connaître son ennemi. L’information est la clé, et quoi de mieux que de faire partie de l’entourage de la Grecque afin de se rapprocher?

Tu prends donc ta décision et avance d’un pas assuré vers l’étudiante en terminale. Tu en profites pour remettre tes verres fumés et étirer tes lèvres en un large sourire ravi avant d’interpeller la demoiselle en agitant la main.

- Calypso!!

Tu la rejoins en quelques pas. Tu ignores si elle sait qui tu es, mais ça n’a aucune importance. Tu t’apprêtes à faire exactement quelque chose que tu détestes, et tu imagines qu’elle n’appréciera pas particulièrement. Tu improvises au fur et à mesure, espérant qu’elle ne t’envoie pas promener immédiatement. Il suffit pour toi de briser la glace, de l’approcher et d’avoir une meilleure impression de la personne qu’est celle que tu considères comme ta rivale.

- Tu sais que tu es particulièrement jolie? Il faut faire attention à cette peau si parfaite, le soleil pourrait te donner le cancer de la peau! Ce serait dommage…

Tu passes un bras sous le sien sans attendre sa réaction et l’attires à l’ombre de ton parasol. Tu espères qu’elle ne se dégagera pas immédiatement, tu aimerais que vous soyez vues ainsi, vous promenant amicalement dans le parc. Ça nourrirait les ragots, ça permettrait à ton nom de voyager sur les lèvres. Ce ne peut être que bénéfique à votre réputation, enfin, tu crois. Toi qui a vécu toute ta vie isolée, tu as encore de la difficulté à saisir certains concepts sociaux.

- Je ne pense pas que nous ayons été présentées officiellement? Je suis Joanna Chase, je joue de la batterie dans le club de musique. Je t’ai déjà entendu chanter, ta voix est merveilleuse!

Tu n’hésites pas à la couvrir de compliments, bien que tu n’en penses pas un mot. Ton enthousiasme est sans égal, cependant, et on pourrait croire que tu n’es qu’une admiratrice de la jolie blonde. Peut-être alors la laissera-t-elle orbiter autour d’elle pendant un temps, assez pour qu’elle trouve un moyen de l’éliminer de façon définitive.