C'est un 13 février au soir que naît la petite Viola, dans un petit foyer perdu dans la campagne de l'Angleterre. Malgré l'absence d'un père la chaleur ne manquait pas ici, et Viola et sa mère vivaient toutes les deux, bien heureuses. Puis, lorsqu'elle eut trois ans, elles déménagèrent afin d'aller s'installer plus près de chez sa grand-mère, atterrissant en Irlande. Enfin, dans tous les cas elle était trop jeune pour faire la différence donc bon, ça ne l'avait pas perturbée plus que ça : tant qu'elle était en présence de sa génitrice, tout allait bien. Rencontrer les voisins fut difficile car à l'époque elle était encore très timide, et très peu habituée à la compagnie des autres. La plupart des habitants du quartier la considéraient comme une enfant presque parfaite parce qu'elle était sage, joyeuse, agréable et polie. Elle se montrait relativement distinguée et mature pour son âge, mais ça c'était parce qu'elle prenait exemple sur sa mère : il faut dire qu'elle avait un bon modèle sous la main.


C'était un peu comme la devise de sa mère, celle qu'elle ne cessait de lui répéter afin qu'elle respire toujours la joie de vivre. Peu après l'accouchement de Viola elle était déjà très faible, et elle tomba vite malade. Chaque jour qui passait était une lueur d'espoir afin qu'elle guérisse, et la petite fille en était consciente. Elle passait alors le plus clair de son temps à tenir compagnie à celle qui lui avait donné la vie, recevant ses conseils les plus utiles, écoutant ses histoires le soir et parfois elle dormait avec elle, se blottissant contre ce corps si fragile, peut-être même plus frêle que celui de l'enfant. Son père ? Elle n'en avait jamais entendu parler, peut-être était-il parti alors que sa mère était enceinte... enfin, elle était bien trop jeune pour s'en soucier à cette époque. Il faut dire qu'à cinq ans, on ne peut pas trop comprendre ce genre de problème, et tout ce qu'on peut faire c'est demander où est papa et pourquoi il n'est pas là. Mais comme elle avait sa mère, Viola ne pouvait qu'être heureuse et ne demandait rien de plus que de passer du temps avec elle. Entre elles s'était formé un lien semblant impossible à briser, encore plus fort que leur relation mère et fille de base. Pour la jeune Tilney c'était basé sur de l'affection et de la confiance, et elle ne cachait jamais rien à sa confidente. Enfin, presque rien.

Sa mère étant forcée de rester alitée, l'enfant se sentait mal de parler de ses petits problèmes parce qu'elle ne voulait pas en ajouter davantage à sa mère. Alors au lieu de faire part de ses inquiétudes elle continuait de sourire avec toute l'innocence du monde, la noyant sous des tas de mensonges enjoliveurs afin qu'elle soit rassurée et qu'elle n'ait pas à s'inquiéter pour sa fille. Les années passaient et l'état de sa génitrice ne semblait pas témoigner d'une quelconque amélioration. Cependant Viola ne baissa pas les bras et continua d'aller la voir quotidiennement, espérant que celle-ci finisse par se sentir mieux. Même si elle était faible elle parvenait tout de même à conserver un peu d'énergie pour sa fille, et elle s'occupait d'elle du mieux qu'elle le pouvait. Secrètement, pendant que sa mère dormait, il lui arrivait d'aller au pied du lit de sa mère et de pleurer aussi discrètement que possible, parce qu'avec le temps elle commençait à comprendre qu'il était fort possible qu'elle ne guérisse jamais. Le fait d'en être consciente alors qu'elle n'avait que huit ans était tout de même un peu déstabilisant pour elle, parce que l'idée de risquer de perdre sa mère l'effrayait au point qu'elle commençait à en négliger sa propre santé : le plus important c'était que sa tutrice se sente bien et qu'elle en oublie presque sa maladie, au moins l'espace d'un instant.

Très vite la santé de la petite Viola se dégrada et elle dût rester au lit afin de se reposer à cause d'une forte fièvre. Pour sa mère c'était un défi très difficile car elle souhaitait s'occuper d'elle elle-même, mais son état ne lui permettait pas. Le médecin devint alors nécessaire, et il fut appelé d'urgence pour s'occuper de leur cas à toutes les deux. L'enfant dormit pendant plusieurs jours, reprenant progressivement des forces : elle n'était cependant pas au bout de ses surprises. Ouvrant grand ses yeux elle fut d'abord rassurée en voyant le visage de sa mère face au sien, semblant paisible mais cela ne dura qu'un court instant. La chaleur qu'elle ressentait habituellement auprès de sa mère n'était plus ; son corps était, à l'opposé, relativement froid. Alors la petite la secoua une fois tout doucement, l'appela puis progressivement la panique grimpa. Plus aucun souffle de vie ne sortait de sa tutrice, sa peau était plus pâle que d'ordinaire mais elle souriait, comme si elle ne faisait que dormir profondément aux côtés de son enfant.  Lorsque le médecin revint pour observer l'état de ses patientes il ne vit qu'une jeune fille agitant lentement le bras de sa mère, le visage détruit par les larmes et le regard vide, comme si toute émotion s'était envolée de ce si petit corps.


Pendant l'enterrement Viola resta plantée sur place, le visage figé sur une expression dénuée de vie. La réalité l'avait soudainement frappée, même si elle avait du mal à croire qu'il ne s'agissait pas là d'un cauchemar et que sa mère était de ce fait réellement décédée. Trouver un nouveau tuteur fut un peu compliqué car l'on se disait que la confier à sa grand-mère n'était pas forcément une bonne idée, car elle pourrait elle aussi mourir à tout moment d'une maladie. Cependant personne ne souhaitant particulièrement assumer ce rôle, celle-ci fut désignée comme nouvelle tutrice de la petite Tilney. Elles emménagèrent ensemble par la suite dans une petite maison à la campagne, dans le Connemara. Au début cela ne se passait pas très bien car l'enfant ne parlait pas, ne communiquait pas non plus avec sa grand-mère par crainte de souffrir à nouveau, mais surtout parce qu'elle avait perdu sa meilleure amie, sa mère mais aussi sa confidente et unique amie dans son vaste royaume. Mais cette vieille femme semblait relativement têtue, au point de ne pas baisser les bras et de continuer à l'approcher gentiment, essayant de la faire regarder de son côté. C'était difficile, parfois douloureux de faire face à une petite fille aux yeux de poisson mort, mais elle n'abandonnait pas. Il lui fallut attendre que Viola ait dix ans avant que celle-ci ne daigne commencer à montrer des émotions en sa présence, ou même ne serait-ce que parler. Alors que la grand-mère avait commencé à désespérer la petite s'était approchée et lui avait tapoté la tête avec douceur, souriant avec toute la chaleur du monde.

À ses dix ans, un nouvel événement bouleversa sa vie, mais en bien. Alors que sa relation avec sa nouvelle tutrice semblait tout juste s'améliorer de nouveaux voisins arrivèrent. Redoutant un peu le moment des présentations au départ, elle fut finalement forcée à les rencontrer parce que sa grand-mère avait décidé de rendre visite à la famille. Arrivant devant la fratrie la pauvre petite ravala sa salive, paniquant légèrement. Comment allait-elle pouvoir faire bonne impression ? Légèrement désespérée son regard se balada sur le roux face à elle, visiblement du même âge : il s'appelait Jude ; un nom qu'elle n'est pas près d'oublier. Cherchant un moyen de se mettre à l'aise elle repassa ses souvenirs dans sa tête, pensant qu'il y pourrait y avoir quelque chose capable de la faire se sentir mieux. Les images de sa mère et de leur prétendu royaume repassèrent alors, et elle n'eut plus que ça en tête. Un peu égarée dans ses pensées pendant un moment, elle songea qu'il ne s'agissait pas là de la meilleure manière de se présenter. L'air fière elle posa ses mains sur ses hanches et afficha un très large sourire, sa longue chevelure de jais suivant le moindre de ses légers mouvements. Elle laissa des mots s'échapper de ses lèvres, bien qu'elle le regretta vite.


Puis son cerveau cessa de fonctionner positivement, et un flux de pensées négatives vola soudainement : n'allaient-ils pas la prendre pour une folle et l'éviter ? Voilà qu'elle avait foiré sa présentation ! Ahh, ce qu'elle pouvait avoir envie de se cacher... mais c'était trop tard pour reculer désormais. Elle allait devoir assumer sa bêtise, ou se justifier. Inconsciemment elle tenta de s'expliquer en disant à quel point on se sentait seul dans un tel endroit, et aussi étonnant que cela pouvait l'être ils semblèrent plutôt réceptifs à l'idée. Le serviteur roux et la princesse brune devinrent rapidement très proches au point qu'il était devenu difficile de voir l'un sans l'autre : ils faisaient tout ensemble et elle l'aidait parfois à faire obéir ses frères, qui étaient plutôt turbulents. Ce temps passé avec Jude elle le chérit énormément, bien plus aujourd'hui qu'autrefois : il est son valet après tout. Bien vite la présence de ce jeune roux était devenue indispensable pour la jeune Tilney, qui s'ennuyait à mourir à partir du moment où il n'était pas dans les parages. Néanmoins le fait qu'elle ait des amis avec qui jouer ne lui avait pas ôté toute once de solitude, et il lui arrivait parfois de broyer du noir dans son coin. Ne souhaitant pas inquiéter ses proches elle faisait en sorte de se défouler lorsqu'aucun d'eux n'était là puis elle prétendait être la princesse la plus naïve au monde l'instant d'après.

Quand il fallut choisir un lycée elle fut un peu perdue, car elle n'avait pas la moindre idée d'où aller, ni même où Jude comptait aller. Et si il partait loin, très loin d'elle ? Cette simple pensée la déprimait secrètement, mais elle ne faisait pas part de ses inquiétudes. Lorsqu'elle reçut une lettre de la part du pensionnat d'Immortalia, elle saisit cette opportunité et en discuta avec son ami d'enfance. D'un commun accord ils partirent pour cette étrange école ; 'étrange' parce que ça semblait être différent de son environnement habituel et de ses habitudes de campagnarde. Il y avait cette classe, nettement divergente des autres, la classe M : comme ils étaient censés être spéciaux, même si elle ne voyait pas en quoi, Viola ne cessait de répéter à Jude à quel point elle souhaitait s'y retrouver et prétendait que c'était sa place. Puis, lorsque le directeur l'appela finalement, comme ça un jour, sans qu'elle s'y attende, elle paniqua un peu en croyant que c'était parce qu'elle avait fait une bêtise : croyait-il qu'elle bizutait ce cher Jude en le traitant comme son valet ? Si c'était le cas, comment allait-elle pouvoir se justifier ? Il l'emmena vers une salle étrange, la salle 3.4, et l'obscurité de la pièce la rendit perplexe. Wow wow, c'était pire que bizarre cet endroit. Qui aurait cru qu'en entrant dans cette salle elle se ferait implanter une déesse, comme ça parce que ça a l'air fun ? L'idée ne lui déplut cependant pas et elle s'y fit rapidement.

Le changement de classe ça par contre elle ne l'apprécia pas trop car même si elle avait enfin percé à jour le mystère rôdant autour de cette soi-disant classe spéciale, elle risquait d'être séparée de Jude ! Au départ elle fit un peu la tête, avant de se rendre compte que lui aussi venait d'être jeté dedans. Alors comme si de rien n'était la jeune Tilney se mit à discuter avec son valet attitré de son dieu, vantant les mérites de sa déesse en montrant à quel point elle s'entendait bien avec elle et à quel point elle était génial. Mais contre toute attente son dieu à lui aussi semblait intéressant, et il arrivait même à lui faire pitié : parce qu'il fallait l'avouer Jude était très tête en l'air et mettait pas mal de vents à son dieu visiblement. Vivre avec Freyja ne semblait pas la perturber plus que ça, au contraire elle semblait relativement contente : le seul problème était qu'elle allait probablement l'inquiéter, avec ses phases de déprime en solitaire. Peut-être allait-elle au final pouvoir jouer le rôle de la mère que Viola avait perdu, et devenir sa plus grande confidente ? Encore fallait-il trouver un autre point commun que leur amour pour les animaux.