Une mauvaise action pour une bonne

Lawrence OS

Ambiance pour plus de fluffyness

Nous étions au beau milieu de la nuit et je n’arrivais pas à dormir. Bien qu’Hypnos me proposa de me permettre de dormir de façon forcée, mais pour un temps limité je fus plutôt sage pour une fois et refusai, conscient que forcer mon cerveau de façon non naturelle n’était sans doute pas toujours une bonne chose. Je m’étais plutôt étendu dans mon lit d’hôpital pour lire un roman. C’est alors que je vis ma porte de chambre, déjà entrouverte pour permettre à l’air de circuler, s’ouvrir davantage. La tête d’une petite fillette passa dans l’entrebâillement. Elle semblait chercher quelque chose ou quelqu’un…un regard inquiet sur le visage. Elle ne devait pas avoir plus de 6 ou 7 ans, était vêtu d’une jaquette d’hôpital, trainait une petite licorne en peluche et me regardais étrangement. Balayant la pièce du regard, elle croisa alors le mien, réalisant qu’elle n’était pas seule. Je devais avoir l’air particulièrement effrayant avec mes ecchymoses et mon visage déformé pour lui créer cette réaction, toutefois elle resta là à me dévisager.

« Euh….je peux t’aider? » lui demandais-je en me redressant et fermant mon livre. J’étais en fait un peu mal à l’aise de me faire jauger de cette façon. Elle semblait se demander si j’étais un allié potentiel ou si elle devait partir en courant. Timidement elle finit par hausser les épaules, clairement incertaine de savoir si elle devait me demander quelque chose, partager ses inquiétudes.

« Tu cherches quelqu’un? »

Elle hocha positivement la tête et arriva à articuler quelques mots.

« Des monstres…sous mon lit...»

« Oh…hum…» mon regard s’éclaira alors que je comprenais j’étais aux prises avec quel genre de situation.

*Clairement un cauchemar.*

*Oui j’avais deviné.*

Je me retins de rire considérant qu’il était plutôt drôle que cette situation tombe sur moi. De plus, pour être franc…je ne connaissais vraiment pas les enfants. J’étais donc hors de mes champs d’expertise et ignorais trop comment prendre la situation en mains. J’étais même un peu mal à l’aise. De toute évidence elle cherchait un parent, une préposée ou simplement un adulte pouvant la rassurer ou la débarrasser de ses monstres. J’allais finalement sonner pour appeler l’infirmière quand la petite osa compléter le fond de sa pensée, curieuse qu’elle était.

« C’est eux qui t’on fait ça? »

J’étirai un sourire douloureux.

« Bah…si on veut, mais t’inquiètes c’est un accident. Tu sais, parfois les monstres on l’air bien méchant, mais le ne le sont pas tous ou du moins pas tant que ça. Alors c’est régler maintenant.»

Elle semblait me regarder d’un air compatissant et osa s’approcher un peu.

« C’est méchant de te faire ça. Si ma maman était là, elle l’aurait chassé pour toi…et ceux sous mon lit aussi… »

À cette pensée, elle baissa la tête pour regarder ses pieds alors que ses yeux devinrent humides bien que pleins de fierté à la pensée que sa mère était sans doute une superhéroïne.

« Je n’en doute pas. La mienne aussi faisait ça. C’est ta maman que tu cherches?»

Elle secoua la tête en signe de négation et elle fut prise de petits sanglots, quelques larmes se déversant sur son visage alors qu’elle tentait de les essuyer de ses petits poings. J’avais touché une corde sensible apparemment et après sa réponse je m’en mordais les doigts d’avoir posé la question.

« …Papa…dit qu’elle est partie au ciel…avec les anges…elle viendra pas…»

Cette fois ce fut mon tour d’être compatissant…elle était si jeune…moi j’avais au moins eu la chance de vivre 15 ans avant que ça arrive…Bref, sans doute devais-je faire un peu de projection, mais je comprenais tellement ces émotions et je fis d’ailleurs mon possible pour ravaler les miennes. Elle n’avait pas besoin de ça de ma part définitivement.

« Je suis désolé pour ta maman. Je comprends ce que tu vie. Il m’est arrivé la même chose. »

Les yeux de la petite me regardèrent intrigué, mais les larmes perlant toujours sur ses petites joues.

« Mais…tu vois avant de partir... Elle m’a donné des trucs contre les monstres. Peut-être que je devrais les partager avec toi. Tu veux bien?»

Je tentais de me rattraper pour le tort causé ou du moins j’essayais de lui changer les idées alors qu’elle me regardait plein d’espoir d’obtenir enfin de l’aide en hochant vivement la tête.

« Viens…prends la chaise qui est là si tu veux. Comment t’appels-tu? »

« Eli » me lança-t-elle d’une voix faible en reniflant.

L’ayant invité à s’assoir, elle s’était immédiatement dirigée vers la chaise, mais plutôt que de s’y assoir, elle la rapprocha de mon lit pour l’utiliser pour y grimper. Je fus surpris de cette soudaine confiance. S’installant dans mon lit trop haut pour elle, elle s’assit finalement en indien et plaça sa jaquette, appuyant ensuite ses coudes sur ses genoux et ses mains sous son menton. J’avais toute son attention. La regardant faire, je faisais aller ma réflexion rapidement pour lui créer un petit univers anti-monstre dans ma tête. Le délai était cours tout de même….Je la regardai alors d’un air complice en parlant à voix basse comme si nous étions en train de monter une résistance contre ces brutes.

« Bon…tout d’abord…il faut savoir quelques petites choses sur les monstres, mais bon il ne faut pas leur dire que je te l’ai dit hein…c’est secret. Ils n’aiment pas ce qui est mignon ou plus intelligent qu’eux. Ce qui n’est pas difficile à battre croit-moi. Aussi, si tu arrives à faire croire à ton cerveau qu’ils n’existent pas, ils disparaissent pour vrai. C’est pour ça que la plupart des adultes ne les voient pas. Ils ont réussi à s’en débarrasser et ont oublié…. Tu veux savoir comment ils ont fait?»

J’avais clairement capté son attention et je remarquai que malgré ses yeux rougis elle avait cessé de pleurer et j’étais plutôt fière de mon coup. Tenir son esprit occupé était clairement le meilleur remède contre ce genre de détresse émotionnel. Je poursuivis donc mon explication, toujours à voix basse, posant mon roman sur ma table de chevet et prenant plutôt mon livre de contes qui me servirait peut-être.

« Donc…si tu me suis, il faut les confronter à des trucs mignons…comme ta licorne. En plus, avoir des alliés c’est toujours bon…si ils sont aussi mignons, c’est encore mieux. Tu lui as donné un nom? »

« Non. Je sais pas quoi lui donner encore…mais on peut trouver.»

Je remarquai qu’elle chuchotait à son tour, embarquant à fond dans le petit monde que je créais pour elle. J’avais toutefois noté qu’elle avait dit « on » et me promis de lui faire des propositions de noms éventuellement…malheureusement mon répertoire de nom de licorne me semblait limité sur le coup.

*Laisse-moi penser…un animal rare qu’on ne voit qu’une fois de temps en temps et auquel tu rêves tout le temps…propose lui Victoria.*

Je me retins d’éclater de rire.

« D’accord, on y pensera plus tard, mais d’abord les choses importantes : l’intelligence... Tu sais comment on fait pour être certain de rester aux dessus d’eux? On lit beaucoup, beaucoup. Ça peut être n’importe quel genre de livre. Moi j’aime bien les documentaires, mais aussi les romans et les contes. En plus, si l’histoire est mignonne…ils vont détester ça! Tu sais lire?»

Je venais du coup de l’incité à avoir de l’intérêt pour la lecture et ainsi une éventuelle capacité à réfléchir par elle-même…idéalement à la non-existence des monstres. Malheureusement pour elle, je me voyais mal lui dire ce qui existait ou non considérant l’existence de divinités dans ma vie.

« Ou...oui…un peu. »

J’ouvris mon livre à l’un des contes les plus appropriés pour les enfants de son âge que je puisse trouver, un truc vraiment trop rose et « fluffy », et lui fit signe de venir à ma hauteur. Elle s’exécuta et vint s’assoir à côté de moi.

« Allez, on va lire un peu, comme ça quand tu retourneras à ta chambre, tu seras armée. »

Elle semblait heureuse de mettre en pratique la théorie que je lui fournissais, mais je voyais bien que l’idée de retourner à sa chambre ne lui plaisait guère. Néanmoins elle s’exécuta. Elle lisait avec un peu de difficulté et je l’aidais parfois avec les mots difficiles, lui expliquant parfois ce qu’elle venait de lire. À force de lire, Eli commençait à se fatiguer, je la sentais moins alerte, moins concentrée et je décidai de terminer la lecture pour elle, ce qui sembla la satisfaire. Entre-temps elle s’était appuyée contre moi. Par chance elle était légère, car il s’agissait de mon bras tordu. Terminant enfin les derniers mots du récit, je constatai qu’elle s’était endormie et je tentai de m’étirer pour atteindre la sonnette d’appel pour que l’on vienne la chercher. Passant mon second bras par-dessus elle, j’arrêtai toutefois mon mouvement en constatant que son sommeil était de plus en plus agité. Un cauchemar…encore. Je fronçai les sourcils, légèrement frustré de me sentir impuissant. Techniquement, je n’avais pas le droit d’user de mes pouvoirs en public…mais là elle dormait…je pouvais faire cela discrètement non? Le risque que je prenais en intégrant les rêves d’une fillette non initiée était assez grand. Je jetai un regard vif autour de moi…un coup vite? Je pouvais faire ça.

*Lawrence…tu m’as dit vouloir être sage…Ça c’est l’inverse! En plus, dans ton état, tu risques de corrompre ses rêves davantage!*

*Mon état va bien, je suis dans un bon jour!*

Poursuivant le geste, je déposai plutôt ma main contre son front. Je ne fus pas surpris d’apercevoir de drôles de monstres envahir un monde fleuri aux couleurs pastels. Eli était encerclée et moi…je m’étais assuré de rester invisible. Je restai surpris de voir le corps de sa mère avec autant de détails sanglants…définitivement la jeune fille avait assisté au décès violent de sa mère. Ça me faisait penser à Yuuki en fait…et à sa sœur. Je me ressaisis et décidai de faire un truc assez simple…reproduire sa peluche grandeur nature et vivante. Celle-ci s’avança pour venir chercher la jeune fille qui, soulager de voir son amie arrivée, grimpa sur son dos et se laissa transporter loin dans les prés fleuris que son propre mental avait créés. Les monstres fuyaient sur le chemin du majestueux animal. Aussi simplement, je quittai le rêve afin de lui éviter une souffrance inutile. Faut dire que le trop de couleurs pastel me donnait un peu la nausée. À mon retour, je constatai avec satisfaction que sa respiration était plus calme et son sommeil plus doux. Elle serrait son toutou contre elle en dormant profondément. Souffrant d’un très léger mal de tête j’affichais tout de même un sourire.

*C’était vraiment stupide et irresponsable de ta part…mais vraiment mignon…ses monstres vont en vomir… moi j’ai failli tellement c’était touchant.*

Hypnos, bien qu’il me fasse des reproches, ne semblait pas mécontent de mon geste.

*Hé hé…merci…*

La fillette tombée de fatigue, je sonnai finalement la cloche d’appel et une préposée arriva après un moment en s’excusant des délais de réponse. Apparemment, c’était la panique sur l’étage depuis que l’on avait constaté l’absence d’une enfant. Apercevant la principale concernée couchée en petite boule contre mon épaule, elle afficha une expression de soulagement profond.

« Désolé, nous étions en pleine discussion, j’aurais dû vous prévenir. J’ai appelé lorsqu’elle s’est endormie.»

« Il n’y a pas de mal…mais vous dites que vous discutiez avec elle? Cela fait un mois qu’elle est hospitalisée ici et il n’y avait pas moyen de lui soutirer un mot. »

« Eh bien…je ne sais trop quoi dire...Vrai qu’elle n’est pas très bavarde…mais j’ai fait la conversation pour deux et…elle me répondait quand bon lui semblait. On a même fait de la lecture…enfin…c’est indiscret de demander pourquoi elle est ici?»

La dame me souriait et je savais ce qu’elle pensait…moi non plus je ne parlais pas beaucoup depuis mon réveil…à moins que ce ne soit nécessaire.

« Désolé Mr. Doogood, mais je ne peux discuter des dossiers de mes patients…mais ce que vous raconté est encourageant. »

« Oh aucun problème, je comprends parfaitement…J’étais simplement curieux. »

La préposée vint soulever la petite alors que je poussais un long soupir de soulagement au retrait de ce poids qui sans le remarquer m’avait finalement été plus inconfortable que je ne le croyais. Me souhaitant une bonne nuit, elle quitta la chambre, la petite endormie et appuyer contre son épaule. Observant l’heure je réalisai qu’il était déjà tôt et que le soleil se lèverait bientôt. Moi-même plus paisible, un sentiment d’accomplissement m’envahissant, je sentais la fatigue me gagner et je m’installai plus confortablement.

*Tu vois Lawrence…c’est pour ce genre de bonnes actions qu’il valait la peine de revenir. Qui aurait pu faire ça hein? Je te reconnais bien là!*

J’esquissai un léger sourire avant de me laisser sombrer à mon tour dans un sommeil profond.

***

Dans les jours qui suivirent, elle demandait ma présence de plus en plus souvent. Je n’infiltrais plus ses rêves…une fois était suffisamment risqué et elle devrait évoluer elle-même dans sa guérison, ses craintes et son deuil. Elle me raconta toutefois que j’avais eu raison, que mes trucs avaient fonctionnés et je fis semblant d’avoir l’air surpris et impressionné lorsqu’elle me parla de l’intervention de sa licorne qui n’avait toujours pas de nom. À partir de ce moment, les infirmières, les préposées et moi avions de la difficulté à l’envoyer dormir dans sa chambre, mais je lui avais promis de venir l’aider à chasser les monstres tous les soirs jusqu’à mon départ…départ qui fut finalement accéléré par l’établissement scolaire. Ce jour-là fut pénible pour nous deux, elle perdait son nouvel ami et sa sécurité et franchement je me sentais coupable de la quitter ainsi, mais je savais que ce serait bon pour elle. L’espèce de dépendance qu’elle développait ne l’aiderait en rien. Son père était venu me remercier d’avoir trouvé comment l’atteindre, elle qui s’était refermée sur elle-même. Il avait l’impression de retrouver graduellement sa petite fille qu’il croyait perdue, marquée indéfiniment. Je leur avais apparemment apporté un certain apaisement après les événements tragiques qui avaient touché la famille, dont la petite avait une santé fragile en plus d’avoir été traumatisée. Comme deviné, la mère avait bien été assassinée et la petite avait tout vu…mais elle n’en parlait toujours pas. Il restait décidément du chemin à faire et je pris la décision de venir de temps en temps si je le pouvais avec mes études. Avant de partir, j’avais finalement demandé que l’on m’apporte des petits brillants en poudre fait pour le bricolage, et ce dans une certaine quantité que je déposai dans un petit sac où j’inscrivis la note : « poudre chasse-monstre ». Lui apportant, je lui affirmais qu’en cas de problème elle pouvait en mettre en petite quantité où elle le souhaitait et que ce serait efficace. Son premier réflexe fut de m’en déposer une pincée sur l’épaule avant de me faire un câlin d’adieu presque violent. Profondément touché, je le lui rendis avant de lui conseiller de trouver un nom pour sa peluche d’ici notre prochaine rencontre et quittai le cœur lourd pour prendre la voiture jusqu’au pensionnat.