-Oui, oui bien sûr !

Ils défilèrent dans les couloirs, tout fait de bois et de moulures, contrastant immanquablement avec le reste des collections, mais épousant les farandoles de livres aux reliures dorées datant du dix-huitième siècle. Il y avait dans ces salles autant de connaissances que de civilisations, et il fallait être fou pour les ignorer. Le visiteur avait un regard impressionné, relevant la tête sur tout ce qu'il pouvait voir, tout ce qu'il pouvait sentir.
L'odeur du vieux livre. L'odeur du bois. L'odeur du vernis et du nettoyant détergeant utilisé pour passer le tout à coup de chiffons. Entre elles, les vitres gigantesques du bâtiment dévoilaient leurs plus beaux reflets et faisaient passer à travers quelques rideaux légers, la chaleur étouffante d'un soleil de onze heures.

-Mais vous savez, déjà petit il était très distrait et toujours à l'écart.  Oui, oui, les livres. Ah, les livres ! Il aimait ça ! - il se retourna pour sourire à son interlocuteur – et pourtant la nature ne l'a pas aidé dès la naissance ! Vous savez, un œil en moins déjà... avec sa mère nous nous disions que c'était peut-être dur de démarrer des études ainsi. Mais les enfants sont solides, sont débrouillards, hein ? Très débrouillard. Regardez, nous ne pensions pas qu'il aurait passé le troisième mois de grossesse. C'était le médecin qui nous avait mis en garde. Ah sacré Docteur Salem ! Un rusé, un rusé vous dis-je ! Il a réussi à le faire naître, le bougre et c'était fait comme à l'ancienne !

Il levait les bras au ciel, faisait de grands gestes. Ses bras tremblaient, sa moustache grisée par le temps lui donna l'apparence d'un vieillard des temps jadis. Malgré tout, dans son regard, tous les souvenirs brillaient d'une même lueur. C'était un homme solidement bâti. Il avait connu l'escalade et la spéléologie dans les lieux les plus déserts de l'Égypte, mais sa carrure dévoilait également le roc de son mental.

-Si vous aviez vu ! Le baptême était immense. Le chouchou de la famille que vous dis-je ! Les uns voulaient un imam, les autres voulaient un président ! - il balaya cette idée d'un revers de la main en éclatant de rire – mais il faut être réaliste, hein? Nous, nous avons visé le réalisme. Nous avions toujours rêvé d'un enfant studieux. Nous ne nous sommes pas posé de questions pour son prénom. C'était certain, cela lui conviendrait. Fils de Thot, qu'on avait choisi ! Et voyez ! C'est parfaitement ce qu'il est devenu. Les égyptiens de l'époque pharaonique n'étaient-ils pas comme cela ? Si, si bien sûr.

Il poussa une autre porte, peut-être la vingtième. Mais il ne se démontait pas, le gaillard. Il les ouvrait avec une puissance qu'il était difficile de reconnaître auprès du troisième âge. Il savait parler, et il parlait trop.

-Nous avions décidé de l'inscrire à de grandes écoles dès le départ. Après tout, Al-Qâhira est idéale pour cela, n'est-ce pas ? L'on dispose de tout ici. C'est parfait, parfait !

Ils se trouvaient enfin dans le bureau du directeur. Il était spacieux et pourtant semblait encombré de beaucoup de souvenirs. Seules les photos de sa femme et son fils trônaient sur son bureau noir, le reste ne représentait que sa collection personnelle de vestiges d'un ancien temps. Ce n'était pas un archéologue pour rien.

-On lui a même permis d'aller en Europe quand il a réussi son baccalauréat. C'était une fierté pour la famille, ça c'est sûr. Il était fier comme un paon. Ahlala... Il avait beau ne pas avoir beaucoup d'amis, il était très apprécié. Toujours très agréable et serviable avec tout le monde ! Un beau jeune homme vous dis-je. Mais le petit s'est effondré à la mort de sa mère. Cela a été très dur pour nous tous et depuis... pfiou ! Il s'est enfermé dans ces études et on ne l'a plus vu sortir. Cela l'a changé le petit. Il est devenu comme son père ! Une vieille momie adepte d'autres, plus anciennes. Si le monde n'est pas mal fait ! M'enfin, je soupçonne ces études de lui avoir fait perdre la tête. Vous savez, un de ces mauvais djinns de la connaissance !

Il invita son visiteur à s'asseoir sur un fauteuil, scruta un instant le cadre photo puis s'installa, tremblant de tout son poids, sur son fauteuil derrière le bureau.

-Ah mais je vous raconte beaucoup de choses, ce n'est peut-être pas cela que vous aviez envie d'apprendre, hein ? Je vous embête, je vous embête !

-Non du tout, j'aime voir les différents aspects des gens, surtout de personnes aussi intéressantes. Il eut un sourire.

-Rah, ne me racontez pas de salades ! Vous êtes beaucoup plus intéressé par ses dernières recherches ! Tout le monde apprécie ses recherches, il pousse loin, hein ! Même si certains le jalousent …

-Ah mais certes, ses études sont toutes aussi intéressantes. J'ai d'ailleurs beaucoup aimé ses traités sur Narmer ! Ce sont de jeunes personnes comme lui qu'il faut à notre institut. Ils travaillent dur, leur métier les passionnent.

-Vous l'avez dit ! Il n'y a rien de mieux qu'un travail approfondi et frais! La jeunesse nous rattrape beaucoup trop vite... regardez-moi !

La porte s'ouvrit, le vieil homme s'exclama :

-Ah, te voilà enfin ! Nous t'attendions !

Physique
L'invité se tourna légèrement sur son fauteuil, et c'est là qu'il le vit. Cet homme grand, peut-être un mètre quatre-vingt, quatre-vingt-cinq, une carrure assez carrée mais à la fois arrondie sur les angles, semblait dominer sa marche avec une certaine mesure. Une chemise blanche classique, un pantalon noir pour la forme et des chaussures cirées, malgré l'âge il avait encore sa pile de documents au bras. Ce ne fut pourtant pas cela qui le surpris... mais bien ce cache-oeil qui aurait pu convenir à un gangster, pas à un homme aussi soigné. Cela lui donna cependant un charme immanquable : avait-il alors ce goût de mystère et d'exotisme dont peu réussissent à s'emparer ?

-Monsieur Murphy est venu pour discuter de cette affaire, les courriers que tu avais reçu !

Il avait hoché la tête. L'invité se leva, tendit la main. Il fut surpris de la poigne brutale, sûre mais douce de l'égyptien. À regarder de plus près, sa peau sombre faisait d'autant plus ressortir sa chevelure de jais, et plus encore son regard unique, un regard ambré comme rare il y en avait dans ce pays.
Sans émotion apparente toutefois, enrobé par la dignité et la retenue, il était pointé sur lui sans qu'il ne réussisse à comprendre le fond de son ressenti.

-Enchanté Monsieur Kadiri, c'est un plaisir de vous rencontrer. Je suis un chargé RH du Pensionnat Immortalia. Vous avez une minute ?

-Vous m'aviez contacté par téléphone, hier matin.

Si l'accent qu'il avait, en parlant anglais, ressortait d'autant plus à cet instant, sa voix ni trop grave, ni trop aiguë portait plus loin son aisance à la manipulation des mots et de l'étiquette.

-C'est bien cela, oui ! J'aimerais avoir une discussion plus concrète avec vous, notamment au vu de vos retours. Nous serions ravis de vous compter parmi nous et ce sera avec plaisir que je répondrai à vos questions, si vous en avez.

Le jeune homme déposa ses affaires sur le bureau de son père. Il s'installa alors dans le fauteuil à côté de celui de l'invité, croisant ses jambes. De plus près, il comprit que le corps de cet homme avait été forgé. Peut-être la natation, les recherches archéologiques ? Il y avait en tout cas derrière une forme physique certaine égale à celle de son parent.

-Je suis à votre disposition.

Ses réponses brèves le déstabilisaient, il ne savait pas comment lancer une discussion plus riche avec un tel personnage. Était-il, comme son père l'avait soufflé plus tôt, cet homme sans plus d'intérêt ? Ou n'était-ce qu'un prétexte à d'autres aspirations ?


Caractère
Au prime abord c'était tout de même un homme calme et paisible. Il se sentait apaisé, comme s'il détendait l'assemblée. Il ne se sentait pas du tout mal à l'aise, et peut-être qu'intérieurement, le RH l'en remercia au vu du travail ardu qu'il avait à faire : le convaincre. Dans ses courriers, c'était un homme très difficile à persuader et d'ailleurs pas du tout impressionné par l'école. Il l'avait dit plusieurs fois, faire ses études et déboucher sur ses recherches le convenaient amplement. Il ne savait pas pourquoi il devrait s'investir en plus dans une école, aussi loin de chez lui.

De ce qu'il avait compris de son père, il avait en plus une famille soudée, des amis sur qui il pouvait compter et avec qui il partait souvent en soirée, en voyages à travers le pays. Se détacher de ce contact serait peut-être beaucoup plus difficile.
Mais un homme sachant faire preuve de calme et de patience auprès d'élèves était une occasion idéale : il ne pouvait pas la laisser tomber aussi facilement.

-On m'a dit que vous étiez travailleur, un bon chercheur et on vous reconnaît déjà dans la communauté très fermée de l'égyptologie...

Même s'il a tendance à s'enfermer là-dedans tout aussi vite. Après tout, dans un autre contexte ce serait peut-être différent.

-Je reconnais votre travail – dont j'ai pu lire une bonne partie – mais également tout ce que j'entends ici et là de vous. Notamment de votre père, - il le regarda en hochant la tête -, qui vous décrit comme quelqu'un de bon vivant et de professionnel. Cela ne vous intéresserait pas d'échanger vos connaissances avec de jeunes gens tout aussi passionnés ?

Il y eut un blanc.
L'on voyait bien qu'il réfléchissait, et en même temps non. Comme s'il s'était déconnecté de ce monde et qu'il en avait trouvé un autre. Pourtant sa réponse fut toute aussi rapide.

-Pourquoi devrais-je m'investir pour de jeunes gens d'un autre pays ? Je peux tout aussi bien le faire ici.

Son regard unique ressortait avec la vivacité du faucon d'Horus. Le RH sourit, pencha la tête. Il était plutôt heureux de n'avoir à faire qu'à un oeil aussi perçant. Mais il avait déjà trouvé les bons arguments.

-Outre tout ce qui a été dit dans la lettre, l'école règlera tout ce qu'il y aura à régler. Vous disposerez d'un endroit où dormir – au choix, mais aussi et surtout … vos recherches seront couvertes par l'école.

Une étincelle avait illuminé son regard. Il se pencha en avant, réfléchissant intensément.
Celui qui parut plus enthousiaste toutefois ne fut autre que son parent.

-Ce serait une grande opportunité, reprit son père, et tu pourras en plus découvrir un autre pays!

Il savait que son fils était attaché à ses racines, même s'il n'était pas l'exemple même du musulman pratiquant. C'était un homme plein de bonne volonté, mais qui, à part ses amis proches, n'aimait pas tellement se mélanger à des inconnus – à moins d'y être forcé. Il savait aussi qu'il aurait du mal à se faire à une autre vie que ses recherches, ses soirées avec ses amis et celles avec sa famille. Partir loin de Hassan, son frère de cœur, était pour lui une déchirure. Mais le financement de la recherche était nécessaire pour lui. Il fallait qu'il termine cela, qu'on le reconnaisse enfin pour pouvoir devenir professeur chercheur. Son choix était fait. Car après tout, son pragmatisme était plus puissant que son sentimentalisme.

-Bien.

« Seth, ou plutôt Setesh ou encore Sutekh (Swtḫ),
est un dieu arrogant, impulsif et narquois. Dieu de la confusion, du désordre et de la perturbation, porte idéalement cette représentation puisque c'est bien ce qu'il s'amuse à faire. Il est connu pour son côté dévastateur, maître des tempêtes, souverain de la Terre Rouge ( le désert ), c'est un être instable et insatiable, avide de conquêtes et de reconnaissance. C'est également l'un des plus anciens dieux du panthéon égyptien.
Son nom-même était craint, seule une poignée de Pharaons avait pris ce risque, ils récompensèrent le dieu par les nombreuses guerres qu'ils déclenchèrent et les nombreux peuples qu'ils asservirent. On ne porte pas le nom du Dieu sans son accord. D'ailleurs, le vocabulaire propre au désordre est composé de son hiéroglyphe.
Si la représentation fantastique de l'oryctérope du cap, déclencheur du tonnerre et de l'orage, impose un respect mêlé de terreur, il est néanmoins tout aussi adulé que son éternel rival, son neveu Hor ou Har ( connu sous le nom de Horus en grec ancien ). Protecteur de la barque solaire, farouche défenseur de Râ, il détruit de sa puissance le malsain Aepef ( Apophis ).
Le Dieu Rouge est l'incarnation du désordre, mais sa présence est nécessaire à l'équilibre du monde. Ainsi, avec Har, il contribue à cette balance et permet sa stabilité. Sans lui, cet équilibre est anéanti.
Aussi, il incarne le "mal" nécessaire et bénéfique.

Pour autant, ce n'est pas un être vilain : il est compatissant, protecteur  et farouchement jaloux de quiconque ose s'approcher de son possesseur. Sa présence, quoique perturbante pour le droit et calme Iahmes, apportera une complémentarité malgré un début de relation aux apparences chaotiques. »



Une douleur, brûlante, déchirante s’empara de sa gorge, de ses poumons. Irradia ses entrailles.
Il n’osa plier le bras, ce bras engourdi par le sommeil, par les kilos. Engourdi par la sensation pétillante et urticante de fourmis.
Elles s’étendaient ainsi que le font ces hyménoptères, se répandirent sur la longueur des muscles, s’attardèrent sur les articulations.

Cette sensation étrange, entre la douleur et l’apaisement contribua à agiter son esprit et ne fit que renforcer cette sensation de lourdeur qui s’empara soudain de tous ses membres.

Il ouvrit l’oeil. Entrouvrit les lèvres.
Un soupire s’échappa, haletant, de cette gorge enflammée.
La terrible sensation de chaleur, inondant sa peau d’une pellicule de sueur accentua la lourdeur de ses paupières, instillant une certaine irritabilité qu’il n’avait jamais connu - lorsque pas même la chaleur du désert n’y était arrivé.

Il ouvrit ainsi les paupières, redécouvrit la lumière. Les plissa finalement au contact de cette dernière. Fronça les sourcils.
Sa main fut plus lourde encore à mesure qu’il la soulevait, qu’il l’amenait à son visage.
Un courant d'air traversa sa paupière droite, son cache-oeil n'était visiblement plus là et ses doigts le confirmèrent en écartant quelques mèches de cheveux.

Sa mémoire lui faisait défaut. Il cherchait, cherchait encore. Sa seule pupille valide finalement se détourna de l’éclat blanc des néons, retrouva la vision agréable du bureau près de lui. Une tasse de café, de quoi grignoter, et tout autour des documents en tout genre disposés en d’innombrables dossiers.
Le gris métallique de certains meubles contrastait avec le blanc immaculé de la pièce et titillait, féroce, la perception de sa rétine.
Etait-il dans une hopital ? une infirmerie ?

Ce fut le mot déclencheur.
Monsieur Murphy, le bureau de son père, les adieux de Hassan, la famille, l'avion, le repas de l'hôtesse, le bruit sourd des moteurs, les serrages de main, les salutations, le froid, les vêtements, les couleurs, l'anglais, le vent, les bâtiments, le directeur, les contrats.
Que s'était-il...

Oh. Alors tu es mon nouvel hôte.

Il sursauta, fit un bond en avant.
Ses poumons se compressèrent sans supporter la relève avant de déverser leur mécontentement par la toux et le crachat. Sa gorge non plus n’était en reste. Irritée alors, elle ne cessait de l’inciter à tousser comme un damné, tandis qu’il se tenait la trachée en espérant qu’elle se calme dans la foulée. Mais ces  aiguilles lacérant les muqueuses ne purent qu’accentuer ce cycle infernal et il dut se tenir au lit pour ne pas basculer au sol.
Au bout de quelques secondes, lorsque la tempête commençait à s’apaiser, il sentit alors un liquide couler de son nez et il n’y prêta attention que lorsque ledit liquide finit sur sa chemise.

Une tache minuscule. Extrêmement rouge.
Elle contrastait avec le blanc de sa chemise, d’ailleurs négligée et sortie de la rigidité de son pantalon à présent froissé.
Une deuxième tomba mollement à côté de la première.
Il mit un instant avant de comprendre.

Incrédule, le doigt sous les narines, il tourna le visage en tout sens, prit le premier morceau de papier qu’il trouva sur une table pour pouvoir l'accrocher au nez.
Cette sensation de faiblesse et d’impuissance ne fit qu’alourdir son hébétement et il dut fermer les yeux un instant pour reprendre son souffle et de sa contenance.

Voilà un être décidément bien fragile.

Tous ses muscles s'étaient figés, ne demeuraient alors que sa respiration, isolée derrière ce mouchoir qu’il pressait contre son nez comme pour se rassurer. Mais il écoutait de cette oreille attentive, cherchant à éviter de sombrer dans la panique ou la folie.

Ne sois pas surpris, il est bien normal que d’être ainsi effrayé. Pour te répondre : non tu n’es dans un rêve et tu entends bien une voix au creux de tes oreilles.

L’imposante stature que sa voix dégageait crispa plus encore les membres de l’égyptien. La panique l’aurait certainement happé, s’il n’avait pas ce caractère si calme que lui vantait son entourage. Au fond de lui cependant, la terrible sensation de se perdre totalement le narguait étrangement.
Ce sarcasme, ce sourire souligné par quelque timbre de voix. Une jubilation comme rare il en avait eu la sensation sur les cordes de ses nerfs, sur la ligne de sa nuque. S’il devait décrire cette sensation d’être épié dans la moindre intimité, il dirait que deux yeux étaient constamment pointés sur le haut de son crâne, sans pouvoir le prouver de quelque manière que ce soit.

... Qui es-tu ? … osa-t-il demander, après avoir dégluti. Sa voix semblait plus enrouée, plus aiguë. Il n’avait parlé depuis un certain temps, mais il craignait plus encore la réponse.

Son cœur se mit à battre plus vite, à pomper les ressources qu’il trouvait ailleurs. Son sang pourtant n’arrivait à irriguer cette peau devenue pâle par la terreur, l’angoisse.
Les paroles du directeur refirent surface avec une douloureuse appréhension. Cette amertume qu’il palpait du bout de la langue, qui se répandit dans les entrailles de sa bouche, finit par remonter à son cerveau.

Je manque de savoir-vivre, l’on dirait. Je suis Sutekh.
Ici les hommes me nomment -

Seth.
Seth. Seth... le dieu... de la perturbation, des tempêtes...

le Dieu Rouge ! Au moins tu me connais, c'est déjà cela de pris. Je n'aurai pas à faire plus de discours sur ma personne – même si cela me frustre quelque peu.

Seth. Un dieu, vraiment ?
Cette voix ne pouvait être un mensonge à moins d’avoir été drogué.
Mais il gardait toute conscience, était à même de répondre sans partir dans un délire soudain.
Les consignes du personnel parurent à la fois plus claires et totalement irréelles : était-il vraiment un hôte d’une divinité égyptienne ?
Si cela était vraiment le cas, il n’avait hérité de la meilleure.

Sache qu’à présent ton esprit est partagé avec le mien. Dit-il, vexé. Il avait donc certainement entendu ce défilement de pensées, ce qui ne le rassura pour le moins du monde.
Il ferma les yeux de nouveau, un petit instant, le temps de reprendre ses esprits. D’avoir un peu de recul.

Vous parlez arabe.

Je parle toutes les langues qu’il m’est possible de communiquer avec vous, humains. Dans ton esprit tu penses souvent en cette langue.

... Ressentez-vous tout ce que je ressens ? Pouvez-vous sentir, toucher à travers ce corps ?

Il y eut un silence, un de ces brefs silences qui lui fit croire un instant que ce n’était qu’une part de son imagination. Avant que la déité ne se manifeste finalement.

Pour tout te dire je ne sais guère tout cela. mais peut-être devrais-tu demander à ceux qui s’amusent avec cela ?

C’est alors que les souvenirs d’un certain contrat refirent surface. En échange de sa venue, il acceptait la possession d’un dieu : mais qui se serait plongé, crédule, dans une telle allégation ? Qui aurait pu croire que cela serait réel ?
Lui plus que toute autre personne, adepte de l’imagination et de ce monde qu’il ne connaissait qu’au travers du sable et de la pierre, n’aurait pensé pouvoir effleurer un jour le gouffre de cette connaissance-là, de ce mysticisme.
De tous les dieux pourtant, il avait fallu que ce soit celui de la discorde et des tempêtes, celui d’un désert duquel rien ne naît. Celui qui fut l’ennemi de Har et de son père, du royaume d’Egypte.

Une légère douleur, toutefois lancinante, le rappela à la terre et sa condition d’humain. À la différence de caractères qu’il y avait entre lui et ce dieu.
Puis au mouchoir qu’il avait contre le  nez, qu’il osa enfin défaire de son visage. Il n’avait pas beaucoup saigné, peut-être était-ce le résultat d’une quelconque fatigue ou du choc.

M’avez-vous choisi comme hôte ?

Crois-tu réellement que je m’abaisserais à élire un humain ?

L'orgueil de ce dieu paraissait plus réel encore que la possession.

Quoiqu’il en soit, je n’ai eu à faire des choix. Et au-delà d’habiter en tes pensées, nous n’avons d’emprises sur ces choses-là.

Le désespoir, l’incompréhension. Les nombreuses questions. L’impression d’avoir été violé, trompé, d’être perdu et à présent seul… tous ces sentiments eurent un poids considérable sur son coeur et ses épaules. Avait-il eut raison de venir, de sacrifier sa vie pour un dieu, pour une école si obscure ?
Comment ces choses-là étaient-elles possibles ?
À moins que ce ne soit une façon de le manipuler.

Il plissa les yeux, tenta de se lever avec grand mal. Ses jambes ne le soutenaient qu’à moitié, il renversa malencontreusement quelques bibelots près de lui en tentant de se rattraper. Puis un éclair de lucidité lui revint, il se figea.

Peux-tu manipuler mon corps ?

Il semblerait que non, auquel cas je serais déjà à Khemet pour reprendre mon dû.

Khemet… Peu de gens connaissait ce nom. Il pensait ne pas pouvoir le croire mais ces rares preuves finissaient - lentement mais sûrement - par le convaincre. Il allait lui poser la question lorsque la porte s'ouvrit et une infirmière arriva à toutes enjambées.

Ah, vous êtes réveillé ! Ne bougez pas trop, le choc a dû être terrible !

Elle avait le sourire aux lèvres, malgré son inquiétude. Elle l'aida à se relever. Elle félicita le fonctionnement de l'expérience. Elle finit par lui tamponner le nez avec quelque solution.

Vous allez voir, une nouvelle vie s'offrira à vous !

Une nouvelle vie. Une vie baignée dans l’incertitude, et peut-être la folie.
Sa conscience le préservera-t-il ?

J'ai hâte.