Tout ça, c’était la faute d’Artémis.
(’Oh, toujours moi ! Tu n’avais pas qu’à accepter, si c’est pour que tu te plaignes ensuite.’)
Il faisait plutôt beau, pour une fois. Un jour pas comme les autres en Irlande. Ashton avait réussi à se lever à une heure plutôt correcte (midi et quart, c’était un miracle !) et après avoir rempli son estomac, pensait se détendre un peu en dévorant – oui, son appétit n’était jamais satisfait – un bouquin qu’il s’était procuré il y avait un bon bout de temps. Parce qu’attendez, c’était le week-end ! Et plus particulièrement, le jour sacré – pour la flemme et la procrastination –, tada ! dimanche.

Mais Artémis en avait décidé autrement.
(’Si juste, on me laissait raconter, je-‘)
Elle avait gentiment proposé à son hôte de profiter du pseudo beau temps que le ciel irlandais offrait. Elle lui disait que ça n’allait pas forcément durer, et là-dessus, le blond était d’accord. Il fallait toujours compter sur la pluie pour tout « gâcher ». Entre guillemets, oui, car la pluie était une chose qu’Ashton ne détestait pas, en réalité. Il appréciait chaque changement du temps, bien qu’il préférât les jours où le soleil était adouci par quelques nuages, avec un vent qui soufflait assez pour faire bruisser le feuillage des arbres de façon quasiment continue.
Enfin bref, il avait interrogé la déesse sur ce qu’elle lui proposait de faire, la prévenant que ça avait intérêt à être à la hauteur de ses espérances, car il avait vraiment envie de lire ce bouquin qui lui faisait des œillades depuis quelques semaines. Artémis, de sa voix la plus convaincante possible, lui avait alors offert de tirer à l’arc, pourquoi pas dans la forêt, ou dans n’importe quel endroit tranquille.
Ashton avait deviné qu’elle s’ennuyait parfois un peu, et que le bon vieil antique temps lui manquait, quand elle avait l’habitude de parcourir les bois, armée de son arc, accompagnée de ses fidèles et traquant des animaux en tout genre.
Elle l’avait déjà exhorté à pratiquer une activité physique (la plus intense possible, en fait), souhaitant éprouver à travers son corps cette sensation de liberté qu’elle brûlait d’envie de ressentir de nouveau, même faiblement. Il avait accepté, d’une part parce qu’elle le ferait un peu moins chier, et d’autre part parce qu’avec les pouvoirs acquis à cause de la possession, il ne finissait pas à demi-mort ni en sueur à chaque fois qu’il fournissait un effort, qui en fait ne semblait rien lui coûter. Un des seuls trucs cool que lui avait apporté le partage de corps.
Et cette fois, il avait accepté sa proposition, sans hésitation. Il aimait le tir à l’arc, et il aimait le temps qu’il faisait là-dehors. Un sourire s’était formé sur ses lèvres alors qu’il sentait la joie sincère de la déesse. Il ne pouvait pas s’en empêcher, c’était carrément contagieux.

Alors finalement, il avait enfilé un jogging et un sweatshirt noir par-dessus son t-shirt blanc, et chaussé de chaussures en toile, il s’était enfui parmi les arbres, un arc à la main et un carquois à l’épaule, dans une piètre représentation d’Artémis chasseresse. Elle se foutut d’ailleurs de lui, mais cessa assez rapidement, sachant très bien que si elle le faisait un peu trop chier, il abandonnerait l’idée et retourner s’enfermer dans son logement.

Ashton s’était arrêté dans une petite clairière, où il arma son arc et s’entraîna quelques minutes en prenant pour cible d’abord un seul arbre, puis, pivotant sur lui-même, il décrivit un cercle complet tout en tirant une flèche dans chaque arbre bordant la clairière. Artémis sembla refouler sa joie pure, se contentant de le féliciter d’une voix un peu tremblante. Il ne prit pas la peine de relever, un peu ému lui-même par les filets de bonheur s’échappant de l’âme de la déesse.
Il se contenta de souffler, alla récupérer toutes ses flèches, s’étira puis se releva, se sentant prêt. Il eut un large sourire, d’un coup, se mit à courir, quittant la clairière pour slalomer entre les différents arbres, ralentissant et décochant une flèche dès qu’il percevait un mouvement puis reprenant son rythme effréné, sautant par-dessus les rochers et les petits buissons, décrivant un cercle autour de la clairière. Il sentait l’adrénaline courir dans son sang et il se retint d’éclater de rire. Artémis, elle, semblait partagée.
’Tu as la délicatesse d’un éléphant ! Si tu continues de courir comme ça, tu ne vas rien pouvoir attraper…’
J’suis pas là pour chasser, j’suis venu pour me défouler et pour te faire plaisir, idiote !
Elle l’insulta, mais elle ne pouvait camoufler son plaisir. Ashton laissa échapper un petit rire, puis redevient silencieux. Soudain, un mouvement accompagné d’un craquement, signe que l’on venait de marcher sur une brindille épaisse le fit tourner la tête et la flèche partit une fraction de seconde plus tard, et c’était déjà trop tard lorsqu’il se rendit compte que l’origine du bruit n’était pas un animal. Mais un être humain.
Eh merde. Heureusement, la flèche l’a pas touché. Je crois ?
Il entendit Artémis ricaner. Vieille harpie.