Ç’aurait été une si belle journée si les professeurs ne s’étaient pas passés le mot pour nous donner une quantité astronomique de devoirs. Moi qui étais habituellement très à jour dans mes travaux, j’avais l’impression que jamais je ne pourrais passer au travers de tout. Avec la température qui baissait et les feuilles qui chutaient des arbres, tout ce que j’avais envie de faire c’était de m’habiller chaudement, de me coucher sur un tapis d’herbe et de m’enrouler dans une grosse couverture avec une tasse de thé pour regarder les nuages passer. Bien sûr…

Tu ne feras rien de tout ça aujourd’hui tant que tes travaux ne seront pas complétés. Et encore, une fois que tu auras terminé, je te conseille tout de même de prendre de l’avance pour les prochaines semaines. On ne sait jamais les contretemps qui peuvent se mettre en travers de nos études et il ne faudrait surtout pas prendre du retard.

Comme d’habitude, aucun espace pour le bon temps ni pour la fantaisie. On était le week-end après tout, j’aurais bien mérité de prendre un peu de repos, non? J’essayai de me convaincre que c’était pour le mieux et que si je terminais le tout aujourd’hui, je prendrais une journée de congé. Ça ne plairait probablement pas à Thôt, mais je tenterai de le convaincre demain lorsque j’aurai tout terminé. ‘’Tu vois Thôt, j’ai tout terminé, j’ai bien travaillé, je pourrais éteindre mon cerveau pendant quelques minutes et lire un roman à la place?’’. Je planifiais déjà d’entendre son désaccord et je soupirai lourdement. Une idée me vint en tête.

Mais Thôt, on ne peut pas aller à la bibliothèque aujourd’hui, tu te souviens? La dame nous a dit qu’ils changeaient le tapis et qu’elle était fermée pour la fin de semaine. On devrait peut-être prendre une journée pour relaxer, c’est sûrement un signe.

Je me doutais bien que ça n’allait pas donner grand choses, mais qui ne risque rien n’a rien, n’est-ce pas? Lui qui détestait quand je voyais des signes et des symboles un peu partout, il ne fit pas attendre sa réponse trop longtemps

Il y a beaucoup d’autres locaux que tu peux utiliser. Son ton était limite agressif. Je sais que tu ne veux pas rester dans ta chambre comme tu passes le plus clair de ton temps ici. Les locaux habituels seront probablement fermés aussi comme nous sommes dans vos jours de congé. Or, il y a toujours le local où ils punissent les élèves problématiques, la perm. Ce sera silencieux et il n’y aura pas beaucoup de gens. C’est là-bas que tu iras.

Bon, c’était décidé alors j’imagine. J’enlevai la serviette qui recouvrait mon corps et celle qui était enroulée dans mes cheveux pour m’habiller convenablement pour la température. Une robe épaisse pour braver le froid, c’est ce qu’il me fallait. Je mis donc ma belle robe rouge : De la taille en montant, elle était ajustée mais des hanches en descendant, elle faite de plusieurs couches de tissus. Elle n’avait pas de bretelles mais comme j’allais mettre ma veste par-dessus, il n’y aurait pas de problèmes. J’enfilai mes sous-vêtements, une paire de leggings, ma robe, ma veste noire, un manteau, des souliers, la pince à cheveux que Sheila m’a donnée, mon sac à dos, et je partis braver l’extérieur. Je regardai le soleil, comme je faisais chaque fois que je sortais, pour essayer d’impressionner Thôt.

8h55?

8h57. Acceptable.

Si près. Et pourtant, si loin. Le ciel était nuageux.

Cumulus?

Oui.

Il ne pleuvrait pas donc. L’air était frais, mais une fois à l’intérieur j’allais pouvoir enlever mon manteau sans problèmes, probablement aussi ma veste lorsque le soleil atteindrait son zénith.

Je marchai ainsi quelques minutes, le temps de passer des dortoirs au pensionnat. Je souriais en voyant les couleurs dans les arbres, avant de replonger mes yeux au sol quand les gens me regardaient. Une fois dans le collège, mes pieds me guidaient instinctivement vers la bibliothèque, jusqu’à ce que je me souvienne que ce n’était pas ma destination. La perm, où est-ce que ça pouvait bien être? Retournant à l’entrée, j’aperçu un écriteau pour me guider, m’envoyant vers une partie de l’école que je n’avais jamais encore visitée auparavant.

Apparemment, le local de la perm était en plein milieu de l’école : Il n’y avait donc pas de fenêtre et, si je me fiais aux étages supérieurs, il devait y faire considérablement plus froid que dans les autres locaux. Tant pis, j’allais devoir garder mon manteau j’imagine, ce n’était pas si grave.

Dans la classe, il y avait trois élèves, trois garçons, qui levaient la tête à mon arrivée, envoyant encore une fois mes yeux sur mes souliers. Il y avait aussi un surveillant qui siégeait devant eux comme un roi, le torse bombé, le regard méchant. Il m’interpella en aboyant, ce qui me fit me recroqueviller encore un peu plus :

«Tu es en retard. Je t’ajoute une heure de colle supplémentaire. Nom complet et numéro d’identification.»

«Hein? Je… non… heum… c’est… je veux dire… je ne… heum… c’est pour… heum…  »

«Voyez-vous ça, ils acceptent des débiles ici maintenant. Je ne veux pas discuter, nom et numéro d’identification.»

«Non c’est… heum… je ne suis pas ici… heum… je… c’est un malentendus… heum… je suis seulement… heum… non c’est parce que… heum…»

«Tu me donnes ton nom complet et ton numéro d’identification dans les dix prochaines secondes, ou je m’assure que tu aies assez d’heures de colle pour ne plus voir le soleil jusqu’à Noël. DIX!»

Et il commençait son décompte comme ça, alors que j’étais cramoisie, que ma gorge se serrait et que mes yeux commençaient à s’humidifier.

Ashlotte, dit lui simplement ton nom, il comprendra qu’il a fait une erreur et te laissera tranquille.

Mais même si j’essayais, plus aucun son ne sortait de ma bouche, j’étais tellement stressée et brusquée que je n’entendais pratiquement plus son décompte.

Bon, laisse-moi prendre possession de toi, je lui réponds et je te redonne le contrôle.

Non! C’est interdit! Et si les gens ici n’étaient pas des M? Ils ne peuvent pas voir une manifestation divine comme ça.

Je ramassais tout ce que j’avais de courage pour tenter une réponse.

«J’ai… heum… je suis… heum… Ashlotte… heum… Ashlotte Eklund… heum… numéro d’identification… heum… un, un… heum… sept, six, quatre… heum… neuf.»

Il me regardait avec des yeux remplis de dédain, j’avais presque peur qu’il m’attaque. J’avais même commencé à regarder le sol derrière moi pour voir s’il y avait un moyen de me sauver en courant, mais il revint à la charge.

«S’aurait été parfait si tu m’avais répondu quelque chose de censé, mais je sais reconnaître quelqu’un qui me ment en plein visage. J’ai la liste des noms ici jeune fille, je sais qui tu es. Maintenant, tu t’assois, et tu ne te relèves pas avant que j’en ai décidé autrement. EN SILENCE.»

Il me cria ces dernières paroles comme si j’étais une prisonnière de guerre, si bien que je m’assis à la place la plus près de moi et que je laissai les larmes couler, cachée derrière mon sac à dos.