Busquement je me redresse en aspirant avidement une goulée d’air, balayant d’un regard fou la pièce obscure où je me trouve. Je ne sais plus qui je suis, encore moins quel est cet endroit. Le sang bat dans mes tempes, suivant la cadence effrénée de mon cœur qui tente désespérément de sortir de ma poitrine. Ma bouche est sèche et ma langue tellement épaisse que l’oxygène peine à se rendre à mes poumons en feu. Ma gorge est si douloureuse que des larmes perlent au coin de mes paupières et j’ai l’impression que mes cordes vocales ont été broyées sous la force de mes cris. Lentement, je prends conscience de mon environnement. Ma vue s’habituent progressivement à l’opacité qui m’entoure, découpant la silhouette de mobilier et rendant la scène nettement moins effrayante. Je discerne les contours du matelas blanc au fond de la pièce, le deuxième lit inoccupé de la chambre. Peu à peu, vient s’ajouter une table de chevet, la moulure en coin de la porte du placard à ma droite ainsi que la très faible lumière qui émane de la fenêtre ; un décor familier qui me rassure quelque peu. Le silence et le calme m’enveloppe, chassant les bribes de souvenirs qui me reste de mon cauchemar et fini par taire ma peur. La tranquillité du pensionnat me soulage, au moins je n’ai pas eu l’aire complètement folle en réveillant tout le monde avec mes hurlements. Pendant un court instant, je suis heureuse d’être seule dans ma chambre. Soupirant, je passe une main tremblante dans ma tresse en désordre,  repoussant les mèches moites de sueur qui me colle au visage. Mon corps est encore en état de choc, l’adrénaline parcours mes veines et me tient en alerte.


Je hoche la tête, incapable de lui répondre même mentalement. Repoussant mes draps, je me laisse choir en bas du lit. Je sais qu’il est interdit de sortir après le couvre-feu, malheureusement le sommeil est très loin de m'étreindre à nouveau. J’ai besoin de me rafraichir et de m’aérer afin de me changer les esprits. Tournant doucement la poignée, je compte deux secondes avant d’entrebâiller légèrement la porte. La quiétude du couloir me redonne du courage et discrètement je me glisse hors de la pièce. Sur la pointe des pieds, l’oreille à l’affut et tous mes sens à vif, je me déplace en direction de la salle de bain. Le contact de ma peau nue sur le sol froid me fait du bien, m’éloigne un peu plus de mon terrible rêve. Je pousse la porte des toilettes et jette un coup d’œil à l’intérieure, soulagée de constater qu’il n’y a personne. J’avance jusqu’au miroir, n’osant croiser les yeux que je sais hangars de la jeune fille que je suis, et ouvre le robinet. Joignant mes mains en coupe, je m’asperge le visage ainsi que la nuque d’eau froide, frissonnant à peine sous la différence de température.  J’en profite également pour soulager ma gorge endolori, me sentant beaucoup mieux.

Je relève la tête, plongeant mon regard dans les prunelles turquoise de l’adolescente qui me dévisage avec curiosité. Elle dégage une aura si sereine et impassible que mes muscles se détendent légèrement, me communiquant silencieusement sa force. Qu’est-ce qui a donc pu me mettre dans un état pareil? J’essaie de me souvenir de la cause de ma frayeur, seulement leur consistance m’échappe, me glisse entre les doigts avant que je ne réussisse à avoir le moindre indice.  Je pourrais presque en crier de frustration. Presque.


Comme toujours, sa voix soulève en moi un torrent d’émotions et de chaleur, telle une nappe de caramel onctueux, faisant battre mon cœur plus rapidement. J’ai l’impression que plus rien ne peux m’atteindre, que je flotte. Il est là. Il me protègera.

Le pensionnat est toujours plongé dans le sommeil, personne ne remarquera mon escapade nocturne. Étrangement, atteindre la sortie est beaucoup plus facile que ce que j’aurais cru au départ. La fraîcheur de la nuit me fait légèrement frémir, mes bras se couvrent de chair-de-poule et je regrette subitement d’être partie sans prendre le temps d’enfiler une veste. Dans mon short et mon débardeur je détonne dans le panorama, certaine d’être visible des milles à la ronde. Croisant les bras j’hésite sur le seuil, le confort de mon lit me manque tout à coup. Un bruit dans le hall derrière moi me paralyse sur place, avant de me faire prendre conscience que je suis une idiote.

D’un bond vif je me glisse dans l’obscurité en direction Est du parc, un coin que j’adore en plein jour. Les bruits et l’ambiance sont totalement différents de ce à quoi je suis habituée, les rayons lunaires peignent d’argent chaque surface, laissant volontairement dans l’ombre des cachettes où des êtres invisibles pourraient se tapirent. À cette pensée, j’accélère le pas, certaine que des centaines d’yeux sont braqué sur mon dos. Enfin se découpe le petit pavillon entouré d’arbre et d’herbe, baigné d’un éclat surnaturel sous la voute céleste. J’ai presque le pressentiment qu’une fois à l’intérieur je serai transporté dans un autre univers, un autre lieu. Peut-être son monde à lui. Hélas, rien ne se produit.

Avec un soupir, je m’appuie contre la rambarde torsadée et admire le paysage. De temps à autre un éclat brillant apparaît en dansant, exécutant une chorégraphie qu’ils sont les seules à connaitre. J’ignorai qu’ici aussi on pouvait voir des lucioles. Prise d’un vif élan de nostalgie je lève la tête en direction du ciel. Mon cœur se serre, pour la première fois depuis ma possession je me sens seule, perdue loin de mes repères habituels. Mon frère me manque. Mon pays me manque. La dernière lettre de ma famille remonte à des semaines, juste avant ma convocation dans la salle 3.4, et je n’ai pas eu le courage de leur répondre. Après tout, qu’aurais-je bien pu leur dire? Rien ne sera plus comme avant.

Il faut avouer que je n’ai pas très bien réussi à m’intégrer et que je n’ai pas réellement fait d’effort. Je suis terrorisée. Je ne saurai dire pourquoi, mais lorsque je me retrouve avec les autres pensionnaires je perds toute contenance. Être seule avec lui est ce qui me parait la seule chose sensée au monde. Pourtant, sans que je m’explique pourquoi une larme roule silencieusement sur ma joue. Je ne fais pas un geste pour la chasser, trop las pour mettre fin à sa courte vie. Je fixe toujours les étoiles, certaine qu’elles détiennent la réponse à mes interrogations muettes.

Sa voix me parvient de loin, engourdis et confuse. J’entends les mots, mais ils ne parviennent pas jusqu’à la partie rationnelle de mon cerveau. Je suis nettement plus déprimé que ce que je croyais.



- Qu… quoi?!!

- Eh ! Salut ! Qu'est-ce que tu fais ici toute seule ? Il faut faire gaffe, tu sais... ? Il y a des gens un peu bizarres ici des fois. Oh. Tu pleures ?

Je sursaute, comme piqué par une abeille imaginaire et un léger cri m’échappe. Rapidement, je plaque une main sur ma bouche, qu’elle idiote je suis ! Je vois à son mouvement de recul qu’il a été aussi surpris que moi par ma réaction. J’essuie rapidement les traces de larmes séchés qui macule mes joues, je dois donner une piètre première impression.



- Dé…désolée…

Je sens son ton réprobateur et agacé, presque aussitôt la honte et la culpabilité me font rougir. Il a essayé de me protéger. Je reviens brusquement à la réalité, dévisageant mon interlocuteur avec un mélange de méfiance et de curiosité. Qui est-il ? Grand et mince, malgré l’obscurité ambiante je discerne ses traits fins et juvéniles. Dieu soit loué, ce n’est pas un surveillant, mais un simple étudiant qui souffre d’insomnie comme moi. Légèrement rassuré sans pour autant avoir baissé ma garde, je laisse mon regard errer sur son visage. C’est étrange, il semble avoir le même âge que moi, pourtant je ne l’ai jamais vu auparavant. Un nouvel élève ?

Je suis sur le point de le lui demander, ça et la cause de sa présence ici au beau milieu de la nuit quand je me fige sur place. Ses yeux se sont subitement écarquillés, comme s’il venait de voir un fantôme. Une irrépressible envie de me retourner pour voir si quelque chose se tient derrière moi me fait trembler de la tête aux pieds.

- Qu’est-ce que tu…

Le reste de ma phrase meurt sur mes lèvres, de toute façon je doute qu’il m’aurait entendue. Ce garçon est bizarre. Le voilà maintenant qui se gifle volontairement, sans aucune raison apparente. Une partie de moi veut l’empêcher de se faire du mal, l’autre est trop estomaqué pour faire le moindre geste.



- Pourquoi ?


- Je…


Qu’est-ce que je dois faire ? Il faut que je réussisse à m’intégrer un t’en soit peu. D’accord, je reconnais qu’il est étrange, toutefois il est le premier à être venu me parler depuis ma possession. Un effort Pixie. Prends sur toi. Je ne peux rester éternellement seule avec Lui, même si mon cœur ne désire que sa seule présence à mes côtés. Fais-toi au minimum un ami. Un seul.

- Euuuuuuh. Tu aimes les rats ?

Mon sang se solidifie dans mes veines, tout mon être cesse subitement de fonctionner. J’étais tellement perdue dans mes pensées que j’avais oublié qu’il se tenait encore devant moi. Qui plus est, il semblait être de nouveau lucide. Beaucoup trop même. Qu’est-ce qu’il lui prend de me poser ce genre de question alors qu’on vient de se rencontrer et que dès les premières secondes j’ai assisté à son violent changement de personnalité ? Que me veut-il ? Qu’elle est la véritable question dans sa question ? Qu’espère-t-il comme réponse de ma part ? Je sens la peur m’envahir progressivement, insidieusement. Ce ne peut être une coïncidence qu’il ait choisit le rat dans tout le règne animal. Ne serait-ce pas plus judicieux de me demander si j’aime les chats ? Après tout, tout le monde sait que les filles les adorent.



- Je…



Je remercie silencieusement la nuit qui couvre mon embarras et la chaleur qui empourpre mes joues. Mon rythme cardiaque s’accélère, je ne souhaite pas répliquer. Mon silence m’incrimine davantage que je le voudrais. Pendant un court instant, j’aperçois un vif éclat de haine dans les prunelles du jeune homme qui me fait face. Cela suffit à me refroidir et à faire preuve d’un courage que je suis loin de posséder.

- Peut-être. Et toi ?

Le défier n’est sûrement pas la meilleure idée du siècle, surtout qu’Il sait chacune de mes pensées. Cependant, je ferai tout pour le protéger. Lui et les sentiments que j’éprouve à son égard.




Peu m’importe qu’il me croit ou non. Néanmoins, je désire entendre ses impressions. Une légère brise secoue les vignes à mes côtés, chatouillant de leurs feuilles mes bras nus. Soudain, je réalise que je suis à moitié nue. Pressée de sortir prendre l’air pour évacuer les bribes de cauchemar, je n’ai même pas pris la peine d’enfiler quelque chose de plus… enfin de plus approprié si jamais je me retrouvais dans ce genre de situation. Vivement, je recul jusqu’au seuil du pavillon, résistant à l’envie de prendre mes jambes à mon cou. Les membres en croix sur ma poitrine, je me dissimule à moitié derrière une poutre. Je suis puérile, je le sais. Seulement, c’est un homme. Si lui ne semble pas se préoccuper de ma tenue, moi c’est une toute autre histoire. Appart mon frère, personne ne m’a vue ainsi. Ne manquerait plus qu’il me ridiculise et détruise définitivement toutes mes chances de me faire des amis.

- J’aime bien les chats…

Cinq mots. Un sujet, un verbe et un complément. Pourquoi est-ce que je me suis sentie le besoin de dire ça ? Pour prouver que je suis une jeune fille normale qui aime les choses mignonnes et qui ne veut de mal à personne ? Est-ce que ça m’aiderait à me faire d’avantage accepté ? Et si oui, est-ce qu’il sera le premier à le faire ?...