Qeqertarsuaq, 29 Septembre 1997.

Je voyais le jour sous les flocons de neige d'une petite ville perdue au fin fond du Groenland. Qeqertarsuaq, c'est la ville et d'une dont personne ne connaît l'existence, de deux difficilement prononçable pour les étrangers aux pays nordiques, de trois à part des ours, des pingouins, des phoques (superbe faune n'est-ce pas ?) et des montagne de neige, il n'y a rien. Une ville de rêve entre autres.  C'est de ce rêve que mes parents décidèrent de partir pour un autre, Århus.

Århus, 1998.

Århus ? Encore un nom étrange vous allez me dire ? Un peu, oui. Prononcez Aarhus si vous avez du mal. C'est une des plus grosses villes du Danemark. Ma famille ayant un patrimoine assez bien garni, ils avaient décidé de quitter les ours polaire et les phoques pour la civilisation pure. Et surtout, qu'intimement mon père étendait son commerce ainsi. Il était le PDG d'une grosse boîte de transports halieutiques et dans des pays comme les notre, forcément que ça paye. Ma mère quant à elle était médecin. Elle faisait parti de ses rares qui pratiquaient une politique d'aide aux plus démunis. Oui, il ne faut pas croire que les pays du Nord sont épargnés par ça car on y vit le plus souvent bien.


Århus, 1 Décembre 2000.

Voilà trois ans que notre petite famille s'était installée au Danemark. Tout y allait pour le mieux. Mon père trop égoïste pour penser à ma mère, préférait ses affaires florissantes et les rentrées d'argent. Si bien, qu'au si loin que je me souvienne, la naissance de ma petite soeur avait eu lieu sans lui à l'hôpital. Inken rejoignait notre quotidien. Personnellement j'étais ravi d'avoir une petite soeur. Ça rendait les jours moins longs et plus distrayants. En effet mon père avait tendance à oublier ma mère et ma soeur ainsi que moi-même. Nos relations n'ont jamais été bonnes après tout. Et ma mère de plus en plus suscitée par de nouveaux clients, regrettait de ne pas pouvoir voir Inken grandir. Mais je voyais bien que dès qu'elle pouvait, elle passait son peu de temps libre auprès de sa fille et moi. Si seulement mon père avait pu faire de même. Inken manquait terriblement d'un père, comme moi-même au fond.


Alors j'avais dû commencer à devenir ce père dont elle manquait tant avec les années. Inken avait fini par rejoindre mon école, l'AASG, sous un caprice de ma part. Sa scolarité allait mal dans son ancienne école, et Inken était victime de blâmes et insultes en tout genre. Choses dont elle ne parlait même pas à mes parents sachant qu'inconsciemment, elle s'adresserait à un mur. Ma mère aurait écouté, mais n'aurait rien pu faire avec son travail. Et mon père, autant parler à une tombe, elle aurait eu plus de conversation. Inken souffrait énormément de ce manque d'attention constant. De ce je m'en foutisme. Alors j'avais pris les choses en mains, ne pouvant plus supporter les larmes d'Inken tous les soirs. Du haut de mes 6 ans je m'étais dressé pour la première fois contre mon père, seule oreille capable d'agir si elle écoutait. C'était lui qui gérait les comptes et l'administration de la famille. Et ça, je l'avais compris assez tôt. C'est ainsi qu'après une violente altercation soldée par une baffe, Inken avait rejoins mon école.


Århus, 4 Avril 2003.

Cette même année Inken et moi avions accueilli un heureux évènement : la naissance de Maya. Maya petite dernière de la fratrie si je pouvais dire. Malheureusement le schéma ne changeait pas pour autant. Mon père s'en moquait toujours autant et ma mère devenait de plus en plus fatiguée de cette situation. Évidemment, Maya n'échappa pas au manque d'un père puis progressivement d'une mère, trop prise par son boulot malgré tout l'amour qu'elle nous montrait. Elle aussi, souffrait de cette situation. Je devenais un père plus qu'un frère pour mes deux petites soeurs. Avec le temps nous nous étions rapproché au point d'en créer de forts liens. Je prenais alors leur éducation en main. Sous toutes ses formes. Scolairement, socialement, les valeurs, les bons moments, les quelques punitions... Je jouais le rôle qu'était censé faire mes parents. Si bien qu'a la fin, Inken comme Maya ne reconnaissait que mon autorité. Ça me chagrinait. De me dire que mes parents avait raté tout ça.


Inken et Maya étaient mes deux petites protégées. Je les aimais tant. J'étais devenu très protecteur envers elles, et le moindre mal qui pouvait leur être fait était rendu à sa juste valeur. J'avais toujours cette crainte de devenir trop envahissant pour elle à jouer ce double rôle du grand-frère et papa. Mais jamais elles ne me l'avait dit. Et dieu sait pourtant qu'Inken a un caractère bien trempé. Moins craintive et plus introvertie que Maya si une chose l'embêtait elle me le disait. J'avais aussi hérité de ce caractère bien trempé mais avec une once de diplomatie en plus. Diplomatie qui ne servait jamais face à mon père. Mon père. Le temps n'avait rien arrangé. Son couple se cassait la figure, et nos relations coulaient. Je haïssais cela. Car Inken comme Maya le ressentait. Combien de fois ? Combien de fois Inken avait du calmer une crise d'angoisse de Maya ? Pour qu'ensuite je calme les deux car Inken craquait à son tour ? Elles n'étaient que des enfants... Elles avaient autre chose à vivre que ça.


Je m'en voulais aussi de ne pas leur épargner malgré tous mes efforts les violentes disputes avec mon père. Parfois ça finissait bien parfois un coup ou deux étaient de mise. Je m'en fichais. Je voulais seulement qu'elles aillent bien. Rassurez-vous, il n'y a pas eu que de mauvais moments. Il y en a eu des bons. Notamment les sorties avec elles ou encore les caprices de Maya. Par ailleurs l'un de ses caprices avait failli me coûter un bras, à proprement parler. Je pratiquais du tir en montagne. Et un beau jour Maya intriguée m'avait tanné pour que je l'y emmène avec Inken. Je n'étais pas d'accord. Endroit trop dangereux, trop dur pour elles, ça ne me plaisait guère. Alors pourquoi avais-je cédé ? Nous étions là, en pleine montagne, le jour où comme par magie on avait décidé de couper les arbres. Je n'étais déjà pas tranquille à l'idée de les emmener avec moi ici mais avec ça. Je jouais alors les commandants. Le moindre faux pas et je n'hésiterais pas à gueuler. Heureusement pour moi les deux petites malignes avaient compris et se contentaient de me suivre s'extasiant sur chaque nouvelles choses qu'elles n'avaient jamais vu.


C'en était suivit des "cours" de ma part pour leur expliquer ceci ou cela. Pourquoi ci, pourquoi ça. J'en garde un très bon souvenir. J'avais tout de même prévenu mon club au cas ou ça devait mal tourné et même expliqué à Inken deux-trois procédures de sécurité. On est jamais à l'abri de tout n'est ce pas ? En effet. On est jamais trop à l'abri. Les événements encore aujourd'hui me sont flous. Par quel moyen Maya s'était éloignée du groupe et avait fini nichée près d'une scie circulaire ? Par quel moyen avais-je sauté vers elle, inconsciente qu'elle était pour la sortir d'une éventuelle mort ? Mon bras droit lui-même ne savait pas. J'avais juste senti la lame mordre dedans, douloureux avant de tourner de l'œil avec tout ce sang. On ne change pas un hémophobe.  La suite encore un flou. Je m'étais réveillé à l'hôpital, Maya et Inken en larmes sur mon lit, ma mère assise à mon chevet, soucieuse. Maya s'en voulait terriblement et j'avais passé un temps fou à lui dire qu'elle ne devait pas. Que c'était normal que je la protège.  J'aurais aussi aimé la protéger ce jour là.


Nos parents avaient divorcé. Inken et Maya l'avaient très mal vécu. J'avais du panser au mieux leurs blessures. Elles ne connaissaient rien de ce père négligeant pendant qu'à l'argent. Et ma mère, usée d'une vie de couple aussi passionnante qu'un cours sur l'art contemporain, avait quitté mon père, nous emmenant avec elle. Croyez-vous au karma ? Au destin ? A toute ces choses ? Moi, non. Mais pourtant...
La vie avec notre mère était plus calme. Pas de violente dispute, plus d'attention... Son travail l'épuisait mais elle restait tout de même là pour nous. Aussi peu présente était-elle, c'était d'un amour vrai. Mon bras droit s'en était remis et je me voyais maintenant affublé d'une immense cicatrice qui en faisait presque toute sa longueur. Immense et hideuse en plus. Elle avait quoi en dégoûter plus d'un, moi d'abord. Mais je l'avais eu pour protéger Maya, alors je m'en branlais bien. Inken passait sa mauvaise période par contre. Les ennuis d'antan revenaient à l'école. Et je me voyais contraint de jouer les gardes-fous pour elle. Mais c'était pour elle. Et rien au monde ne me faisait plus plaisir que d'être la pour mes soeurs.


Être là... Je me devais de l'être. Notamment quand on allait chez mon père. Les joies du divorce, que voulez-vous. Il n'avait pas changé. Et on aurait bien pu crever dans le froid ou de faim, ce n'était pas ses oignons. Je continuais comme toujours le rôle de père et frère pour elles. Égoïstement, ma propre adolescence me manquait. Mais pour elles, je suis prêt à tout. Puis dans un élan de rébellion afin de faire réagir mon vieux père, mez cheveux étaient miraculeusement passé de noirs à turquoise. Cette baffe. Cette baffe que je m'étais pris. Mais j'en avais bien ris. Il avait au moins réagit en 16 ans ! Quant à Inken et Maya elles avaient adopté cette couleur temporaire. Qui ne le devient plus uniquement pour elles. Pour elles...


Århus, 11 Janvier 2013.

Un jour que je haïrais jusqu'à la fin des miens. En ce jour Maya nous avait quitté. En ce jour le monde d'Inken, de ma mère et le mien s'était écroulé. Elle n'avait que 10 ans... 10 années...  Un accident de voiture des plus banals. La neige et un freinage brusque n'ont jamais été de bons amis. Et Maya, jeune idiote qu'elle était avait décidé de détacher sa ceinture le long du trajet. On allait voir des amis de ma mère, enfin une sortie en famille. J'avais passé la moitié du trajet à gronder Maya pour qu'elle remette sa ceinture. Et donc à la lui remettre. En vain. Bornée et si innocente. C'était la mauvaise moitié du trajet. Un dérapage pour éviter un animal, tête à queue expédié dans un arbre. Je passerais les détails pour Maya... Aujourd'hui encore j'ai mal. On a encore tous mal. Mal de ce sort horrible que lui avait réservé le destin. Devais-je y croire maintenant ? Les jours et les mois qui suivirent furent durs. Inken sombrait dans une dépression séparée de sa binôme de toujours. Ma mère faisait bonne figure mais ça n'allait pas mieux aussi.


Et moi... Je pleurais pour la première fois de ma vie. J'avais sa mort sur la conscience. Conscient que si j'avais été plus ferme elle serait là aujourd'hui. Je restais alors près d'Inken, voulant, me jurant que rien de plus horrible lui arriverait. Jurant sue j'allais la sortir de cette mauvaise phase. Qu'on allait tous en sortir. J'étais le père non ? Notre propre père n'avait daigné venir à son enterrement. Daigné verser une larme. Un enfoiré, voilà ce qu'il était. Le temps passait et Inken n'allait guère mieux. Cauchemars, blessures, troubles alimentaires et de l'humeur, je ne savais plus que faire. Ma mère tentait comme elle pouvait de répondre à sa tristesse, mais rien n'y faisait. Et moi du haut de mes 17 ans que pouvais faire ? J'avais bon prendre tout son mal, Inken sombrait... Je ne supportais plus. Je voulais juste qu'elle aille mieux...


Connemara, Septembre 2014.

J'avais reçu cette lettre provenant d'Irlande. Elle me conviait à étudier dans leur pensionnat. Qu'en avais-je à faire ? Le niveau de l'AASG était tout aussi bien même mieux ? Alors pourquoi avais-je accepté ? Je ne le saurais jamais. Si je vous dit qu'une force extérieur m'y a convié me croirez vous ? On est d'accord c'est du gros n'importe quoi. Miraculeusement l'état d'Inken cette même année s'était arrangé. Elle avait retrouvé sa joie de vivre et semblait même mieux supporter ce fardeau que moi. Un coup du destin tout ça ? Ça me semblait si.... Irréel. Et pourtant depuis l'arrivée de cette lettre chez moi, tout allait mieux. C'en était presque biblique tout ça. Je partais désormais pour l'Irlande, le coeur lourd de délaisser Inken et ma mère. Je leur promettais des nouvelles et des coucous. Le voyage avait été long. Je n'aimais plis voyager depuis son décès. J'avais les transports en horreur. Voilà qu'en plus d'être hémophobe je devenais hodophobe... Hodophobie ou plus couramment le fait de se faire dans son froc quand on voyage. J'étais arrivé dans ce pensionnat tendu et mal. Phobie de...


La première année c'était bien déroulée. Si on compte mon apprentissage express du dialecte du coin, mon adaptation aux gens du coin et aux horaires et aux manières de faire différentes ça allait. Puis si on comptait ça.
Ça. Le Dieu dans mon crâne. Qui ne croit pas au destin... ? Il avait eu l'humour gras. Un Dieu chinois. Régent les voyages. C'est fait exprès ou bien ? On m'avait convoqué comme ça en plein milieu d'année et foutu dans une pièce au chiffre particulier 3.4. Personne ne m'en avait parlé. Car probablement personne ne se doutait de son existence. La suite ? Je ne sais plus. Je m'étais réveillé comateux dans l'infirmerie. Réveillé par un ronflement. Oui. Et j'étais seul. C'était son ronflement. Au Dieu. Voilà comment nous nous étions connus. Tous deux le courant passait. Même si son côté flemmard et rêveur était usant à la longue. Et le gros lot ? J'avais acquis la faculté de me téléporter. Je suis hodophobe. Et j'aime ! J'aime punaise ! Mais ça me rendait encore malade... Fallait que je bosse beuh.


Nowadays.

18 ans, je rentrais en terminale. Kuei et moi étions devenus plus proches avec les mois de cohabitation. Seulement l'un comme l'autre, on voulait comprendre. Pourquoi une classe différente pour nous ? Pourquoi tous les élèves ne sont pas possédés ? Quel était le but de ceci ? Pourrais-je un jour voir ma famille et leur parler de tout ceci ? Je les voyais et Inken grandissait et me contait ses aventures et découvertes. Chaque retour me faisait du bien. Ma mère s'en était remise et s'était rapprochée d'Inken et mon père... Mort dans un accident pour une livraison de sa boite. Qui a dit que le destin n'avait pas l'humour gras ?