Il y avait une petite fille, de six ans à peine, aux mèches rebelles et aux yeux rieurs. Assise sur un petit muret en pierres, elle balançait les pieds dans le vide. Ses genoux ressortaient, un à un, par les trous de son jean trop grand. De temps à autre, elle remettait en place sa grosse veste ; lorsque venait le vent, elle la refermait sur son corps frêle et ses lèvres roses disparaissaient sous le col laineux. Alors, arrivait un groupe de petits criards. Sans attendre, elle descendait maladroitement du muret et courait, lançant à droite et à gauche la grosse veste et son sac à dos d'école ; elle rejoignait ses camarades, les bousculant, lançant des ordres à tout vas, et ils remontaient au pas de course la montée de l'église, à la suite de la petite fille aux mèches rebelles et aux yeux rieurs. Et c'était chaque jour ainsi.

Il y avait une enfant, de dix ans peut-être, aux cheveux courts et au regard curieux. Assise sur un petit muret en pierres, elle devait s'avancer tout au bord pour que les pointes de ses chaussures touchent le sol. Vêtue d'un judogi à la ceinture orange desserrée, elle observait autour d'elle avec attention. De temps à autre, elle levait son petit appareil photo sur un arbre agité par le vent, cliché qu'elle avait hâte de faire développer pour l'accrocher aux murs de sa chambre. Alors, arrivait un groupe d'enfants criards, l'appelant par de grands gestes. Elle descendait du muret et, le pas sûr, rejoignait ses camarades. Elle rangeait son appareil dans son sac à dos d'école et se mêlait au groupe. Lorsqu'un conflit éclatait entre les enfants, elle haussait la voix pour séparer les belligérants, et ils remontaient en riant la montée de l'église, à la suite de l'enfant aux cheveux courts et au regard curieux. Et c'était chaque jour ainsi.

Il y avait une jeune fille, de douze ans sûrement, aux cheveux teints de noir et aux yeux hagards. Assise sur un petit muret en pierres, elle contemplaient ses converses posées sur le sol. Son t-shirt à l'effigie d'un groupe musical resserrait sa poitrine naissante, et son jean abîmé laissait voir sa peau pâle. De temps à autres, elle poussait un soupire ennuyé, et parcourait les somptueux clichés pris à l'aide de son smartphone. Alors, arrivait un groupe de jeunes criardes, lui faisant signe de venir. Lentement, elle rangeait son attirail et allait vers eux, un écouteur toujours vissé dans l'oreille. Elle écoutait distraitement ses camarades débattre sur sexe opposé et de la meilleure façon de sortir avec le beau garçon de quatrième B. Lorsque deux filles menaçaient de s'arracher les cheveux car ayant la même robe, elle tâchait d'apaiser les tentions par de belles paroles. Le conflit cessait, mais alors qu'ils remontaient en piaillant la montée de l'église, les jérémiades reprenaient et s'éloignait, lassée, la jeune fille aux cheveux noirs et aux yeux hagards. Et c'était chaque jour ainsi.

Il y avait une adolescente, de quinze ans passés, aux mèches libres et aux yeux perdus dans le lointain. Adossée à un petit muret en pierres, elle cherchait sa place dans le monde surfait qu'elle observait. Sa grosse veste et son sac à dos d'école posés à côté d'elle, elle gardait les mains posées sur son appareil photo et son thermos à café. De temps à autres, elle lâchait un sourire ; c'était car son esprit vagabondait dans un monde qui lui appartenait. Alors, arrivait un groupe d'adolescent gentils, qui venaient vers elle lui demander de les accompagner. Placide, elle déclinait la proposition et reprenait ses affaires. Levant les yeux au ciel à l'entente des désaccords de ses semblables, remontait à son rythme la montée de l'église, l'adolescente aux mèches libres et aux yeux perdus perdus dans le lointain. Et c'était chaque jour ainsi.

Il y avait Kristen Elisabeth Monganery. Elle n'était ni une enfant, ni une adolescente, ni une adulte. Elle avait les cheveux bruns coupés à la hauteur de ses omoplates et des yeux noirs tantôt rêveurs, tantôt hagards, tantôt rieurs. Souvent vêtue de jeans et de vestes trop grandes, la démarche désinvolte mais sûre, elle aimait à provoquer l'indignation de la société en se moquant ouvertement de ses codes. Elle vivait pour elle et non pour les autres, et regardait d'un œil tant moqueur que méprisant les conflits inutiles qui divisaient les hommes. Lorsqu'on tentait de l'approcher, elle se renfermait dans une coquille renforcée de mille barrières et refusait obstinément d'apprendre à connaître l'autre ; très psychologue, intelligente et réfléchie, elle préférait être en retrait du monde et se voyait comme la narratrice extérieur de l'histoire de l'humanité. Ses photos et ses écrits retraçaient un reportage poignant sur le monde qu'elle observait, et elle aimait à critiquer son propre travail pour le rendre meilleur. Lorsqu'elle ne parcourait pas la ville à la recherche d'observation et d'apprentissage, elle s'enfermait dans un lieu calme pour lire ou réfléchir ; il lui arrivait aussi, car elle aimait l'action sans se l'avouer, de ressortir sa vieille ceinture de judo et d'aller pratiquer avec les rares personnes de son entourage. On la voyait tantôt comme quelqu'un d'intéressant, tantôt comme quelqu'un d'abject. Elle pouvait se montrer médisante et agressive avec ceux qui l'agaçaient, mais calme et compréhensive avec ceux qui l’intriguaient. Tantôt vulgaire, tantôt silencieuse. Suivant son intuition et son instinct, ne jurant que par elle-même.
Sa vie était une recherche perpétuelle de sens. Elle était profondément différente -ou elle s'appliquait à l'être, et avait de certains problèmes dans les relations sociales. L'amour qu'elle éprouvait se limitait au métal, à ses vêtements, son appareil photo, au café et aux aliments sucrés. Elle vivait au rythme de règles qu'elle avait inventées, et ne supportait pas qu'on y déroge. Elle avait ses habitudes et ses points de repères. On aurait pu écrire des livres entiers d'analyse de son espèce.

Il y avait Kristen Elisabeth Monganery. Il lui fallait quitter le petit muret en pierres pour remonter le long de l'église, marcher loin, quitter le village de son histoire, et avancer.

A peine a t-on poussé la porte que l'on est assailli par une odeur infecte d'humidité et de poussière. L'endroit respire la mort, allégorie du temps qui passe inévitablement, qui détruit sur son chemin famille et ennemi, rire et pleur, amour et haine. Rien n'a changé. Les meubles n'ont pas bougé d'un centimètre. Les canapés sont tachés de chocolat, et on peut voir un peu de tabac entre les coussins. Sur la table basse, un pot de fleurs fanées et un verre vidé par la chaleur.
La cuisine est encore pleine d'une vie éteinte. La vaisselle rempli l'évier, des conserves d'aliments devenus putrides habitent les placards. Dans la maison, des jouets traînent au sol. Les lits défaits appellent les enfants dans leurs bras, les murs s'effritent de ne plus renvoyer l'écho des mots, le toit laisse le ciel pleurer dans les couloirs.
Sur les murs sont encore accrochés tableaux, dessins et photos.
Dans le salon, sur le buffet, un petit cadre écaillé protège un cliché du temps. Dessus, six êtres vivants resplendissent de bonheur. Un couple heureux s'enlace avec la tendresse des premiers jours, leurs cheveux s'emmêlant avec passion. A côté du père, avec les mêmes cheveux blonds, une jeune fille étire ses lèvres rouges dans un sourire trop éclatant. Elle tiens, dans ses bras, un bambin aux yeux bleus émerveillés. La troisième enfant doit avoir cinq ans. Elle est brune, et ses yeux ont un petit côté coquin ; sa mère garde une main posée sur son épaule, et on devine que c'est pour retenir la petite de s'agiter. La chien est couché, la langue pendante, serein.
A côté de la photo, un gros album. Et un deuxième. Un troisième. Un cinquième. Un neuvième. Douze. Dedans, c'est toute la vie de cette petite famille en image.

Le mariage. Le voyage. Le chien. La promotion. L'enfant. La nouvelle maison. La fête. Les première vacances. Le deuxième enfant. Les travaux. La mort du chien. Les disputes.  Les problèmes d'argent. Le troisième enfant. Les disputes. Les visites chez les grand-parents. Le travail.  Les disputes. Les disputes.
La drogue. L'éloignement. Les disputes. L'accident. La mort. Le déménagement. Les disputes.
Encore les disputes.
Toujours les disputes.
La solitude.

Kristen naît en Angleterre en juin 1998, à Newcastle. Elle est la seconde fille d'Alice et John Monganery, après sa sœur Lucile. Une magnifique photo pleine de sourire a été prise dans une chambre d'hôpital blanche et lumineuse.
Ses relations avec sa sœur sont très bonnes ; on ne voit pas l'une sans l'autre. À l'école, Lucile protège sa cadette des plus grands. Malgré leurs deux ans d'écart, elles forment une équipe à toute épreuve. On voit de nombreuses photos des deux sœurs, jouant dans le voisinage ou dans la campagne de leurs grand-parents.
Kristen est une enfant autoritaire. Les clichés qui la montrent avec ses camarades sont sans appel : chef des indiens, policière, présidente du monde, médecin. Elle a le grand rôle. C'est elle qui décide. Toute petite déjà, elle ne supporte pas l'autorité.
Comment y remédier ? Pour canaliser son énergie et lui apprendre le respect, on inscrit l'enfant au judo. Plusieurs pages du troisième album sont dédiées à la petite brune en judogi. Elle pratiquera cette discipline avec amour jusqu'à ses seize ans, et atteindra la ceinture noire du premier dan.
Est-ce grâce au judo qu'on voit, au travers des albums, l'enfant s'assagir ? Elle devient plus calme. Plus sereine.
Son maître s'appelle Mark Atelm ; lorsque les relations entre Kristen et son père se dégradent, c'est lui qui devient son point de repère.
L'histoire se fait plus floue avec le temps. On devine que l'essentiel des photos a été pris par Kristen elle-même. On y voit Lucile et son petit-ami pendant plus d'un an de clichés -et lorsqu'il disparaît, l'adolescente se rembrunie à vue d’œil. Ses yeux sont rouges, sa peau est pâle. Les dernières images où elle apparaît ont été prises dans une chambre d’hôpital. La photographe a griffonné « Troisième cure de désintoxication ». On remarque, au même moment, la disparition de la mère de famille. Elle est moins présente et semble fatigué. Au dos d'une photo, on voit « maman est souvent absente. Elle passe beaucoup de temps avec Lucile. »
Et d'un coup, tout le monde dans un lit d'hôpital. La mère a le crâne bandé. La plus jeune des trois enfants -Mary, est assise dans un fauteuil roulant avec un air boudeur. Dans un coin ; « Accident de voiture le 11.08.14. » Les photos suivantes montrent une Kristen plus distante, le bras en écharpe pendant des mois entiers d'album. Mary se peint de vêtements sombres et de maquillage exagéré. Une note « La gamine se tape une période emo »
Et, d'une photo à l'autre, le cadre change entièrement. Une nouvelle maison. Le père, Kristen et Mary. « On a débranché maman. » « Lucile vit avec son copain. ».
Les relations de l'aînée et du père sont toujours aussi mauvaise, et il disparaît des photos. On lit « Pas foutu d'assumer ses filles et d'accepter la mort de maman. Le poisson est plus utile. » Des photos montrent la vie quotidienne pendant près d'un album, où Kristen apparaît comme tenant la maison.
Les albums ne sont plus ceux d'une famille. C'est un véritable journal intime. Il y a autant de notes que de photos. « Comment est-ce qu'on en est arrivé là ? »
Et puis, une photo de valise.
« On y va. »

L'infirmerie était bondée d'adolescents gémissant, tous cloués au lit avec d'horribles maux de tête. L'infirmière circulait, les bras chargés de médicaments et de douces paroles : il fallait comprendre et se montrer patient, une épidémie de grippe avait frappé le pensionnat et elle était débordée.
Entre une jeune fille endormie et un adolescent grincheux, il y avait l'incarnation même du calme. Kristen, allongée bien droite, les mains jointes sur son ventre, fixait inébranlablement le plafond blanc. Elle y était obligée, car c'était une surface plate et immaculée, et que tout objet détaillé lui était impossible à regarder ; elle se sentait trop faible, et ses yeux étaient incapables de se concentrer. Sa tête n'avait jamais été aussi douloureuse, et il lui semblait que son corps était passé sous un camion : jamais une grippe ne l'avait tant fait souffrir.
« C'est effrayant.
-De quoi ?
-La douleur. »
Le plafond lui semblait soudain très lointain ; elle posa une main sur son front, craignant une fièvre terrifiante. Elle murmura, troublée :

-J'entends une voix...

Mais plus rien. Elle avait rêvé, halluciné ; le choc, sûrement. Le même qui l'empêchait de se remémorer quoi que ce soit. A côté d'elle, la fille jusque là endormie hurla, et le cri déchira le crâne de Kristen comme des millions de couteaux aiguisés.
« Les cris sont la pire des nuisances.
-C'est ce que j'ai toujours pensé. »
Elle plissa les yeux, un instant interdite, et lâcha un rire nerveux : elle répondait à son subconscient, soudainement devenu très bavard.
« On ne m'a jamais qualifié de bavard.
-C'est la fièvre qui me rend folle ?
-C'est moi qui te donne la fièvre.
-D'accord, d'accord ; j'ai de la fièvre parce que je suis folle ?
-C'est de trop chercher à comprendre qui va te rendre folle. »
Le monde devint très silencieux, le plafond très flou ; comme si tout n'existait plus, comme si rien n'existait, comme s'il n'y avait que cette étrange conversation. Fallait-il appeler à l'aide, crier qu'elle entendait une voix ? Schizophrénie. Ce n'était pas une grippe, ça.
]« Admettons. Je ne suis pas folle, tu dis ?
-Je dis que tu penses trop, et qu'il manque de silence.
-Je pense en silence.
-J'entends tes pensées ; vide toi l'esprit, j'ai l'impression que tu hurle. »

-Oh ! Tu es réveillée ! L'infirmière ; comment est-ce que tu te sens ? Tu souffre de la grippe qui a frappé tes petits camarades. Ne t'en fais pas, tu seras vite remise. Je vais t'apporter des cachets, ne bouge pas, essaie de ne pas t'inquiéter.

Kristen revint brusquement à la réalité, regardant la blouse blanche s'éloigner en tournant la tête.
Elle avait entendu une voix. Une voix masculine, troublée, presque effrayée. Elle ferma les yeux, tâchant de se rendormir -ou de se réveiller, profondément convaincue que tout ça n'existerait plus.
Ce qu'elle était loin d'imaginer, c'était que se réveille à l'infirmerie était le seul qu'elle ne connaîtrait vraiment. A son réveil, il serait toujours là. Et sans doute ne partirait-il plus jamais.
Mais mieux qu'un réveil, cette journée à l'infirmerie se révéla être une véritable renaissance.
Les jours qui suivirent la possession, elle entendit nombre de murmures inquiétant, de dieux possédant ses semblables ; ils étaient grecs, nordiques, orientaux. Mais surtout, ils étaient souvent agressifs et envahissant. Les pauvres possédés se plaignaient de ne plus avoir de tranquillité ; hors, c'était tout l'inverse pour Kristen. D'après la voix, elle pensait trop, et c'était bruyant. La voix était peu bavarde, et se contentait de quelques interventions souvent cyniques et cassante. Mais, si elle en avait douté un jour, elle était désormais parfaitement consciente de ne plus être seule, et de l'existence d'un profond lien entre elle et cette voix. L'adolescente ressentait la peur profonde, et l'incompréhension qui saisissait le pauvre dieux. Elle compris plus tard qu'il était plus jeune que bien d'autres, et qu'il parvenait mal à se faire à la possession -bien plus qu'elle. Il lui était terrifiant de ressentir toutes ses émotions humaines, et de ne plus être seul.
Bien des semaines après la salle 3.4 -dont elle ne se souvenait comme de ténèbres douloureuses, la jeune fille et le dieu n'avait toujours pas réellement parlé. Ce dernier se renfermait au mieux, et se révélait être  le spécialiste des conversations interrompues ; il émettait un commentaire, il y avait discussion et soudainement, plus rien. Le silence. Le néant absolut.
Il fallut du temps pour que leur relation se stabilise, bien que fragilement. Ils vivaient la possession très différemment ; pour l'hôte, c'était la chose la plus intéressante qui ne lui était jamais arrivée ; la promesse de donner un sens à sa vie et, enfin, une cassure à cette solitude qui la minait depuis toujours. L'adolescente, qui n'avait jamais réellement eu de relation, que personne n'avait compris ou cherché à comprendre, avait enfin la chance de créer et vivre un véritable lien.
Pour celui qui était hébergé dans son corps, c'était autrement plus compliqué. Le dieu était de vengeance et de silence, un étrange mercenaire silencieux ; il avait tué le loup Fenrir pour venger son père et, soudainement, il se retrouvait coincée avec l'esprit d'une adolescente nonchalante et désabusée. Tout ça le perturbait profondément, et il supportait mal de partager toutes les pensées de la jeune fille. Par chance, tous deux parvenaient à construire une barrière qui, bien que fragile, facilitait la cohabitation. Cependant, sans qu'il ne se l'avoue -car il était très fier, il ressentait une étrange admiration pour son hôte, qui savait s'adapter à ses humeurs changeantes et le avait vite appris à le connaître ; le dieu, souvent fermé et silencieux, s'essayait parfois à s'ouvrir et se montrait plus avenant. Mais souvent, il se rembrunissait brutalement et allait jusqu'à se montrer agressif. Il le regrettait la plupart du temps, mais n'en montrait rien. Il était alors reconnaissant envers Kristen de le comprendre. L'adolescente était plus sage qu'il ne le pensait, bien qu'un peu trop torturée à son goût.
Leur relation était étrange. Tantôt fusionnelle, tantôt impossible. Une chose était sûre : ils étaient profondément semblables, et terriblement différent. L'un et l'autre se fascinaient autant qu'ils s'exaspéraient. Ils s'apprenaient des codes de la société, débattaient du bien et du mal. Tous deux avaient la même incompréhension du monde. Vidar était plus hésitant, mais très résigné. Kristen était plus décidée, mais inflexible. Aucun d'eux n'aimaient faire des concessions, ou avoir tort. L'hôte essayait d'apprendre à son dieu à penser à lui et à ne pas suivre la voix de vengeance qu'on lui avait indiqué. Le dieu tâchait d'enseigner à son hôte à accepter l'autre et à parfois se remettre en question. Ils parlaient beaucoup et peu à la fois. Tout, entre eux, était très fragile. Mais, et ils le savaient parfaitement, leurs destins étaient maintenant intimement liés ; et ils ne pourraient exister l'un sans l'autre sans risquer de se détruire. Ils ne formaient qu'un, et ils le savaient depuis ce jour.

TEST RP. :

La pluie cognait sur les vitres avec une hargne sans fin. Elle assassinait le verre, avide de le réduire en miette, et on aurait dit qu'il allait se fissurer à tout instant ; les arbres vivaient le même supplice, secoués par un vent infernal et désireux d'en arracher les feuilles. Le ciel déchaînait toute sa colère et, enragé de ne parvenir à ses fins, laissait éclater de terribles éclairs. La foudre frappait le sol avec une violence inouïe ; toujours non loin de là.
Kristen avait toujours entendu la foudre comme associée aux dieux ;la colère divine exprimée par le déchaînement des forces naturelles.

-Eh, machin ? C'est un dieu qui rage, là ?

Pas de réponse. Le néant absolut. Dans un soupire, l'adolescente passa une main dans ses cheveux comme pour se redonner contenance. Il lui semblait parfois s'adresser au vide, comme si elle avait toujours été seule, comme s'il n'y avait jamais rien eu. Tonnerre. Elle tourna un peu la tête pour regarder la tempête, dehors. Allongée sur son lit depuis la tombée de la nuit, elle essayait avec un espoir inutile de trouver le sommeil. Mais dès qu'elle cherchait à fermer les yeux, elle voyait les images fantomatiques du passé ; c'était quelque chose qui arrivait, parfois. Elle appelait ça ses « mauvais jours. » Ils débutaient comme ça, sans raison, et finissaient tout aussi brutalement.
« Peut-être. Les dieux se mettent souvent en colère. »
Elle sourit à l'entende de la réponse, bien que sentant la retenue du dieu. Il n'était pas bavard, mais elle trouvait que c'était une bonne chose. Depuis quelques jours cependant, il lui semblait particulièrement grincheux.
« Tu n'es pas la seule à avoir de mauvais jours.
-D'accord, d'accord ; pas la peine de prendre la mouche. »
Le vide empli à nouveau son esprit, comme si le dieu se retirait au plus profond de l'ombre. Kristen eut un nouveau soupire.
« Toi, tu ne te mets jamais en colère. »
Silence.
« Toi non plus. Tu es étrangement égale, dans tes humeurs. Triste, désintéressée, ennuyante. »

-Je suis ennuyante ?

« Tu es vexée.
-Tu es vexant
-Simplement sincère. »
Kristen se redressa sur son lit, levant les yeux au plafond.
« Je ne suis pas ennuyante, je suis ennuyée.
-Ennuyée par quoi ?
-Un peu tout. »
Il lui sembla presque entendre le dieu rire, sans doute moqueur.
« Pas moqueur, amusé.
-C'est que je ne suis pas si ennuyante, alors. »
Ce fut au tour de Kristen de sourire, alors qu'elle se levait pour aller à la fenêtre. Les arbres pliaient un peu sous les assauts du vent, résistant de leur mieux. Ils se battaient avec beaucoup de courage pour rester enracinés dans le sol.
« Tu crois que les arbres ont du courage ?
-Aucune idée. Pourquoi pas ?
-Ce sont des arbres.
-Et toi, qu'est-ce que tu es ? »
Silence, à nouveau. Kristen ferma les yeux, se laissant envahir par le tintement de la pluie sur le verre. Elle posa une main contre la vitre, concentrée sur les vibrations. C'était une sensation agréable, comme un petit massage ; et cela fit sourire la jeune fille un peu plus. Elle aimait à profiter de ses plaisirs de la vie -les seuls qu'elle connaissait vraiment, en fait. Mais elle tâchait de ne pas y penser, car c'était douloureux et déprimant.
« Un dieu. Un dieu qui ne se laisse pas envahir par la tristesse en posant une main sur la vitre.
-T'as pas de main.
-Tu es cynique. » Il laissa un temps. « J'ai des mains. Tes mains. 
-Mes mains. Se sont mes mains, justement. Les miennes.
-Que tu crois. »
Ils rirent tous les deux, et le rire léger mais rauque du dieu satisfit la jeune fille. Lentement, elle se détacha de sa contemplation de l’extérieure pour venir se recoucher. Elle recouvrit tout son corps de la couverture, et ferma les yeux, soudainement très sereine.
« Comment tu t'appelles ? »
Un léger rire.
« Vidar.
-C'est moche. »
Encore.
« C'est drôle. Ça fait un moment qu'on est coincés ensemble, et jamais...
-... on a cherché à se connaître. »
Kristen eut un instant de réflexion.
« Salut, moi c'est Kristen, enchantée. Je suis une humaine, et je suis possédée.
-Tu es étrange. » Il était pensif.
« Joue le jeu.
-D'accord ; bonjour, je suis Vidar. Dieu du silence et de la vengeance. Nous allons vivre dans le même corps pendant des années.
-Fantastique. »