Ses cheveux blancs comme la neige descendent jusqu'au bas de son dos. Comprenez que ce n’est pas très pratique pour bouger rapidement et agilement. Vous la verrez de ce fait le plus souvent avec un chignon derrière la tête, coiffure qu’elle arbore depuis ce qu’elle aime appeler sa première vie. Son visage dur et fermé peut vous glacer le sang au premier abord. Elle n’a pas non plus la stature d’une personne chaleureuse. Élancée et plutôt grande, Nathalia mesure près d’un mètre soixante-quinze pour soixante-cinq kilos.
Son style vestimentaire est plutôt chic. Vous la trouverez le plus souvent en pantalon blanc et bottes hautes à talons bas. Elle porte souvent au-dessus d’un chemisier gris une veste blanche attachée d’un bouton un peu au-dessus du nombril. Cette veste descend jusqu’à ses genoux, accentuant sa taille. Elle porte au niveau du cou un rubis en collier plutôt serré qui se transmet de mère en fille depuis plusieurs générations. En résumé, elle n’est pas vraiment la première personne vers qui on se tournerait pour chercher du réconfort.
Pourtant, derrière cette apparence glaciale se cache un tempérament … plus froid encore. Nathalia n’est vraiment pas douée pour les relations sociales. Elle est franche et directe, ce qui déstabilise la plupart de ses interlocuteurs mais ces derniers peuvent être sûrs qu’aucun sous-entendu ne pourra se glisser dans ses mots. Mais si l’on arrive à faire abstraction des apparences (et avec une bonne doudoune), on découvre une personne attentionnée qui adore son métier et qui prend plaisir à passer du temps entre amis. Une de ses plus grandes peurs est d’ailleurs la solitude, lui arrivant de faire des cauchemars où elle se retrouve seule dans une immense étendue glacée avec le seul vent septentrional pour seul compagnon d’infortune. Les moments qu’elle préfère sont les cours particuliers qu’elle donne aux élèves M qui ont besoin d’un peu plus de travail et d’une autre méthode pédagogique pour réussir.
Mêlant rigueur et autorité, elle sait être à l’écoute et faire preuve de beaucoup d’attention et de compassion à l’égard de ceux qui ont eu le courage de lui accorder une chance.

Nathalia est née une nuit d’orage sibérien, le 11 septembre 1975. Plongée en plein cœur du conflit Américano-soviétique, Norilsk était devenue une ville très attractive pour de nombreux russes, fiers d’apporter leur pierre à cette grande nation. En plus d’infrastructures à la pointe de la technologie bolchevique, les travailleurs volontaires bénéficiaient de passe-droits de la part du gouvernement. Norilsk était pour Sophia et Ivan l’endroit idéal pour commencer une vie de couple tout en rendant un grand service à leur patrie. C’est ainsi que naquit Nathalia à l’hôpital communal cette nuit-là.

Ses deux parents travaillant dans l’extraction de métaux non-ferreux comme le nickel, elle passait ses journées jusqu’à ses 3 ans à la garderie avec Babouchka, la grand-mère chouchoutée de la ville. Nathalia suivit alors les classes avec ses amis de la maternelle jusqu’à ses 16 ans. En 1991, elle se fît remarquer par le KGB et intégra leur cursus de formation pour le plus grand honneur de ses parents avec qui elle coupa définitivement toute relation.

Alors que la patrie souffrait, il fallait plus que jamais former des experts en cryptage pour pouvoir analyser les données volées aux États-Unis afin de rattraper le retard scientifique et technologique qu’accusait la nouvellement nommée Russie suite à leur politique privilégiant la main d’œuvre à l’industrialisation massive. Cette formation permît à Nathalia de devenir un agent d’exception au sein du service de renseignement russe au matin de ses 21 ans. Elle y apprit la maîtrise de ses émotions, le combat à mains nues, les rudiments de l’espionnage ainsi que l’anglais. Elle décrypta beaucoup d’informations en provenance de la « grande république » dont la plupart nécessitaient une accréditation que ni vous ni moi ne pourrons jamais avoir. Mais malgré ces prouesses, les données recueillies ne suffirent rapidement plus.
Suite à son investiture en 2000, Poutine recruta parmi les membres de son service de renseignement afin d’occuper des postes d’enseignants dans les pays de l’ex-alliance. Plus proche des sources d’informations capitalistes, ces « placés » seraient les yeux et les oreilles soviétiques afin de redonner au pays sa grandeur d’antan, révélant les dernières avancées technologiques et les différents sujets de recherche.

Nathalia fut alors choisie pour intégrer l’équipe enseignante d’un prestigieux lycée d’Irlande, Immortalia. Elle y enseigna avec rigueur et passion les mathématiques aux élèves de seconde à terminale. Profitant des formations qui lui étaient offertes par la direction pour que les enseignants restent à la pointe du progrès, elle accumulait les informations et les envoyait ensuite codées au KGB par le biais d’une connexion internet sécurisée avec son pays natal. Tout se passait comme prévu pendant les premières années d’enseignement. Plus ses classes excellaient, plus sa joie d’enseigner grandissait. Elle se sentait de plus en plus chez elle et en sécurité, aimée des autres enseignants scientifiques et crainte de la plupart des élèves.

Un vendredi soir de mars 2016, après une semaine de formation en France et un retour tumultueux en Irlande, elle s’installa dans la salle informatique et prépara la connexion. Alors qu’elle s’apprêtait à envoyer son traditionnel rapport, le directeur entra dans la pièce. C’était la première fois qu’elle oubliait de fermer la porte à clef. La première et surement la dernière car sa couverture venait d’être dévoilée. Elle imagina le pire, renvoyée chez elle puis jugée et condamnée à mort. Il s’agissait la meilleure fin qu’elle trouva en cet instant et elle s’attacha de toutes ses forces à cette idée.

« - Nathalia, vous semblez agitée. Qu’est-ce qui vous tracasse ?
- Je … rien du tout ! Tout va très bien, cher directeur. J’ai peut-être un peu peur que mes élèves aient été un peu moins bons à la dernière évaluation. Mais sinon tout va bien !
- Je sais tout Nathalia.
- Vous savez monsieur le directeur ?
- Vous êtes un très bon professeur vous savez, et il n’est pas dans mes habitudes de me séparer d’éléments comme vous. »
Il ferma la porte à clef après s’être assuré qu’aucune oreille indiscrète ne puisse être contentée.
« - Mais ce que vous faites ici est impardonnable.
- Je comprends très bien monsieur le directeur, je vais faire mes valises. Vous n’entendrez plus parler de moi.
- Ais-je dis que vous deviez partir ?
- Vous ne l’avez point exprimé ainsi, cependant …
- Il n’en est rien. Je vous propose tout autre chose. En échange de votre silence et de l’arrêt complet de votre mission, vous serez protégée et vous pourrez continuer à enseigner ici. »
Nathalia devait choisir entre rentrer chez elle et surement se faire tuer pour avoir échoué ou rester ici à enseigner, risquant de mourir pour avoir trahis sa patrie. Dans les deux cas elle risquait sa vie mais un seul choix lui permettait de faire ce qu’elle aimait par-dessus tout avant sa mort. Elle baissa la tête tandis qu’une larme suintait sur sa joue.

« - Je suis à votre service. »

Les vacances d’hiver arrivèrent rapidement. Nathalia ayant donné sa parole au directeur en trahissant sa patrie n’avait nul autre endroit où passer la fin d'année qu’Immortalia. Ce dernier profita de cet arrêt des cours pour emmener la jeune femme dans une chambre « particulière ».
Noire. Ce fut la seule impression que Nathalia eût en entrant dans la salle après la fermeture brutale de la porte. Elle entendit alors beaucoup de soupirs, de murmures qu’elle perçut de mieux en mieux à mesure que ses sens s’habituaient à l’obscurité ambiante. Une vague de chaleur l’envahit soudain, submergeant la moindre pensée, la moindre sensation en elle. Elle sentit alors une baisse de tension, menant généralement à l’évanouissement mais elle se devait de rester éveillée. Non pas qu’elle se sentait en danger dans la salle mais plutôt par instinct. Elle réussit à garder conscience mais s’effondra, mobilisant toutes ses forces dans sa résistance.
Alors que la porte s’ouvrait, Nathalia exténuée ferma les yeux. La dernière chose qu’elle aperçut fut  une ombre se rapprochant d’elle. Lorsqu’elle les rouvrit, elle était allongée dans un lit drapé de blanc. Elle en déduit rapidement qu’elle se trouvait à l’infirmerie et se demanda si elle avait rêvé.

Non tu n’as pas rêvé Nathalia. Mes lois transcendent tes ukases et règlements. Elles régissent ce que vous êtes et les possibilités de chaque âme ici-bas. Sache t’en montrer digne.

La surprise empreignit Nathalia. Ukase. La seule fois qu’elle en avait entendu parler était dans ses cours d’histoire à propos des lois imposées par le Tsar durant la période de l’empire. Mais d'où pouvait bien provenir cette voix ? Elle se redressa brusquement, et scruta tout autour d’elle. Personne.

Je suis Thémis, fille du Ciel et de la Terre. Je suis la loi qui s’applique à tous et avec qui on ne peut transiger.
Je suis devenue folle ? J’entends des voix maintenant.
Tu as été choisie. Nos vies sont liées maintenant. Ensemble, nous ferons de grandes choses.

« - Je vois que vous êtes réveillée ! Vous avez dû faire connaissance. »
Le directeur entra dans la salle et ferma la porte derrière lui.
« - Il est temps pour vous de commencer une nouvelle vie, Nathalia. Vous allez enseigner aux étudiantétudiants les mathématique. Il faudra que vous soyez prêtes à comprendre leurs pouvoirs.
- Leurs … pouvoirs ?, grimaçait la jeune russe d’un air interrogateur.
- Cette voix qui parle dans votre tête. Vous n’êtes pas folle, elle appartient bien à quelqu’un. Il s’agit de la voix d’un dieu qui vous a choisi lorsque vous étiez dans la salle. Chaque dieu a sa particularité et ses propres pouvoirs et apprendre à les maîtriser est synonyme d’une symbiose entre l’hôte et sa divinité. Notre but est que les élèves grandissent en visant cette harmonie et c’est là que vous avez un rôle important. Il vous faut d’abord trouver la paix intérieure avant d’espérer enseigner. Vous en sentez-vous capable ? »

Nathalia resta figée quelques instants suite à cette annonce. Elle comprenait maintenant assez bien les enjeux mais ne savait pas du tout par où commencer, assimilant simultanément une grande quantité d’informations très peu réalistes et pourtant probables.

« - J’essaierai de m’en montrer digne.
- Parfait, venez m’informer lorsque vous serez prête. »

Alors que la porte se referma derrière lui, Nathalia se rendormit presque instantanément, vidée de toute énergie par la possession nouvelle.
Après son réveil quelques heures plus tard, elle se concentra sur la tâche qui lui avait été confiée.

Je suis Nathalia, j’ai une histoire peu orthodoxe mais ma passion est l’enseignement.
Il n’existe aucune histoire qui soit exemplaire, il est donc logique que la tienne ne fasse pas exception. Cependant, je ne doute pas que nous apprendrons à nous connaître avec le temps.
Nathalia s’assit en tailleur dans le lit, gardant les draps remontés sur ses cuisses et posa ses coudes sur ses genoux, le dos légèrement courbé. Elle reposa sa tête dans sa main droite, cherchant ce qu’entendait le directeur par « trouver la paix intérieure ».
Nous devons peut-être nous décrire l’une l’autre afin de faire de nos points communs un ciment et de nos différences une force. C’est ce que l’on faisait en équipes pour tirer le meilleur de chacun.
Cet exercice me semble une bonne idée. Si je me fie aux différents retours que j’ai eus, il semblerait que je sois juste.
On dit de moi que je suis trop sincère.Infaillible.Froide.Stricte.
Nathalia et Thémis se turent un instant avant de répliquer d’une seule voix.
Affreusement chiante !
Elles rirent toutes deux quelques secondes, surprises par l’étonnante ressemblance de leur description. L’hilarité s’estompa petit à petit, laissant place à la réflexion. Nathalia eut alors une idée.

Dans l’enseignement, une des valeurs clef est de savoir se faire respecter tout en respectant chaque élève.
Pour être garant de la justice, le respect et l’autorité sont de même des notions importantes.

D’un commun accord, elles travaillèrent donc sur l’exercice d’une forme d’autorité indiscutable et juste. Elles cherchèrent ensemble, jour après jour à la manière de concrétiser ce travail, mettant en relation l’expérience de chacune dans un but commun. Plus le temps passait, plus Thémis et Nathalia étaient proches et complices, partageant assez souvent des désaccords sur la manière de faire. Trop concrète, Nathalia se heurtait souvent au pragmatisme de la déesse. Mais de ces petits accrochages, elles ressortaient plus complices encore, redoublant d’efforts.

Alors que l'été arrivait à grands pas, Nathalia se dirigea vers le bureau du directeur, déterminée. Entrant dans le bureau après s’être annoncée, elle s’exprima avec le soutien de Thémis.
« Nous enseignerons les mathématiques dès la rentrée prochaine. Nous ne maîtrisons pas encore des pouvoir mais nous travaillons dur afin d'y arriver. »