I fall back down

Jaime & Joy, flash-back

≫An 2014≪

Il y a ces jours où on ne peut pas se relever, où la douleur qu’on croyait effacée revient à la charge, pour te dire « Tu voulais vivre ton petit bonhomme de chemin ? Haha, n’y compte pas ! ». Il y a ces jours où notre cœur se vide, nous laissant un torse sans âme qui nous fait mal. On peut continuer à exister sans son âme, tant que le cœur et le cerveau fonctionnent. Mais on n'a plus aucune conscience de soi, plus de mémoire, plus rien. Et plus aucune chance de guérison. On existe, c'est tout. Comme une coquille vide. Ce matin, j’existais, mais rien de plus. J’avais besoin de m’y rendre, d’y retourner, là où j’avais signé ma perdition. Vous savez, comme quand on est endeuillé, on a besoin de se retrouver au même endroit que là où on allait, avec l’être perdu.

On était samedi. Alors, j’ai pris un bus jusqu’à Knocksouth. C’était à environ une heure du Pensionnat, j’ai dû m’armer de patience alors que mon cœur se transperçait de milliers de petites épingles chauffées à blanc. Loki se faisait discret, Loki n’était presque pas là comme il n’avait pas été là quand tout est arrivé. Je ne l’ai connu que quelques mois plus tard, c’était une partie de mon histoire à laquelle il n’était pas lié, donc il ne voulait pas se lier à la conclusion d’aujourd’hui. Mettre un terme à ma souffrance, voilà ce que j’espérais faire, sans grande conviction.

≫An 2012≪

Fraîchement arrivé du Pensionnat, j’avais beaucoup d’amis. Je ne les appréciais pas franchement, mais ils étaient poussés par la gloire d’être ami avec le petit nouveau, celui que tout le monde voulait connaître. Parmi eux, il y avait cette fille, Joy. Elle n’était pas si belle, mais elle s’assumait, donc tout le monde le pensait. Elle n’était pas si intelligente, mais elle le criait, donc tout le monde le pensait. Elle n’était pas si gentille, mais elle le feignait, donc tout le monde le pensait. Et je suis tombé amoureux d’elle, aussi sûrement qu’on ferme les yeux le soir pour s’endormir. Je ne voulais pas, mais j’étais subjugué, je ne pensais plus qu’à elle à chaque instant. Mon cœur loupait des battements quand je la voyais, et je n’eus bientôt plus qu’une idée en tête : lui avouer mes sentiments.
Mais je n’eus pas besoin. Nous étions assis sur un banc, à raconter des méchancetés sur les gens, quand je vis son visage bronzé se rapprocher doucement du mien. Nos lèvres se sont rencontrées à 11 heures, 52 minutes et 38 secondes. Ce baiser fut assez bref, mais l’arc-en-ciel d’émotions qu’il m’a fait vivre était éternel. Je suis tombé malade, malade d’amour pour Joy.

Nous étions fougueux, et notre histoire d’amour était belle et envoûtante. Nous nous prenions pour plus âgés que nous n’étions vraiment, nous avions notre « pour toujours » et j’étais tombé dans le romantisme kitsch à vous en faire rougir de gêne.
Bientôt, toute la section normale du Pensionnat nous connaissait comme LesRoseetJackavantqueleTitanicnecoule de l’école, car notre relation avait la même chaleur… et les mêmes dangers.

Un soir, quelques semaines plus tard, nous étions à Knocksouth, dans un week-end détente organisé avec plusieurs professeurs. J’avais emmené Joy dans un pub pour manger en tête à tête. Elle riait, elle était belle, avec ses cheveux châtains ondulés et ses yeux en amande.

Après le repas, elle m’a emmené dans une ruelle déserte. Là, elle m’a plaqué contre le mur, près d’un container transformé en poubelle. Elle m’a embrassé, longtemps, très longtemps, et m’a enlevé mon t-shirt. Je savais ce qui allait se passer, et je ne pouvais m’empêcher d’avoir extraordinairement mal au ventre. Je me posais des tas de questions : allais-je y arriver ? Comment ça faisait ? Peut-être que je serai déçu ? Que se passerait-il si Joy était déçue par mon physique ?
Malgré mes interrogations, malgré ma peur de l’inconnu, nous avons fait l’amour, au beau milieu d’une ruelle déserte. Nous étions jeunes, trop jeunes, et nos corps s’entrelaçaient maladroitement. Malgré tout, l’arc-en-ciel de sensations ajouta une infinité de couleurs à son spectre, et bien que nous n’ayons pas fait ça dans les formes, jamais je ne regrettai mon geste.
Même quand, une fois qu’elle ait fini de se rhabiller, Joy me lança d’une voix claire et assurée :
« Merci pour tout, Jaime… Désolée de m’être un peu laissée emporter par les événements. A l’origine, je voulais t’emmener ici pour t’expliquer pourquoi je préférerais qu’on reste amis. »
Encore torse nu et un peu transpirant, mon cœur s’arrêta, paralysé par la douleur et l’incompréhension. Je réussis à bafouiller un « pourquoi » rauque, mais Joy était déjà partie. Elle m’avait laissé là, non sans m’aspirer tout entier en elle, âme, cœur et cerveau y compris.

Les quelques mois qui suivirent était atroces. Joy n’avait pas mis beaucoup de temps avant de trouver un autre garçon sur qui jeter son dévolu, et ils avaient gagné un nouveau surnom au sein du Pensionnat. Quant à moi, je n’étais plus que l’ombre de moi-même. Je me levais chaque jour uniquement pour croiser Joy et ce garçon, pour les voir s’embrasser. Mes cernes s’étiraient, devenaient bleues, je ne dormais plus que pour rêver de cette soirée dans la ruelle. J’avais même appris de nouveaux amis que Joy n’avait jamais passé plus d’une semaine célibataire, au Pensionnat, et qu’apparemment, elle et sa nouvelle conquête avaient été surpris à la bibliothèque en train de s’ébattre bruyamment. Je sais très bien qu’apprendre un tel scoop aurait dû m’alléger l’esprit, mais au contraire, rien que de penser qu’elle avait partagé avec d’autres garçons ce que nous avions partagé m’était insupportable.
J’ai alors rencontré, lors d’une sortie à Galway, un jeune homme du nom de Mango. Enfin, ce n’était pas son nom, mais plutôt un pseudonyme, car il ne souhaitait pas que ses clients apprennent trop de renseignements sur lui. Effectivement, il risquait gros. Il a tout de suite remarqué que quelque chose n’allait pas, et m’a vendu différentes drogues en m’expliquant qu’il était passé par là, et que ça m’aiderait à oublier ce que je voulais oublier. Mais ce qu’il ne m’avait pas dit, c’est que je n’oubliais que quand je les prenais, et que je devais rester high constamment pour ne plus souffrir.

Après quelques semaines de descente aux Enfers, Loki est arrivé pour me sortir de là. Heureusement. Et j’ai même changé de section, au Pensionnat, ce qui a eu pour conséquence de ne plus jamais devoir croiser Joy et ses innombrables copains.

≫An 2014≪

Je crois pouvoir dire que je ne l’aime plus. Je ne la déteste plus non plus, ce qui est aussi une bonne chose. Je me tenais face à l’endroit où nous n’avions fait qu’un et où nous nous sommes séparés, et la douleur se résorbait à une vitesse grand V.
« Alors, c’est ici que mon petit protégé est devenu un homme, hein ? » me taquina Loki.
« Oh, eh, ça va hein ! » lui répondis-je en riant.
« Tout va bien, quand même ? » s’inquiéta-t-il.
Je m’attendais à tomber à genoux, à pleurer jusqu’à voir mes yeux saigner et à mourir de douleur sur le sol, mais non. C’était une partie de mon histoire que j’avais préféré oublier, car elle ne me constituait pas, elle était juste un bref cauchemar.
Tournant les talons, c’est ainsi que je tirai le rideau sur Misfortune, prénom qui lui allait mieux que joie, et fus prêt à vivre pleinement ma vie fraîchement ressuscitée.