Thomas venait à peine de finir ses cours et se dirigeait maintenant vers la bibliothèque. Les vieilles habitudes ont la vie dure : malgré les changements apportés par sa possession, il restait un de ces élèves travaillant quotidiennement leurs cours et ne sortant guère. Sauf qu’il avait quelques soucis ces derniers temps. Ou plutôt un problème majeur surnommé « Sae » qui engendrait un taaasss de préoccupations diverses. A croire qu’elle s’amusait à le tourmenter :

« -Thomas, heyyyyy Thommassssss ! Je te parle ! »

Quand on parle du loup… Faisant la source oreille, le jeune homme pressa le pas, jusqu’à ce que sa divinité estime que son manque d’attention à son égard justifiait une punition. En clair, elle commença à ramper à l’intérieur de lui. Thomas pouvait difficilement expliquer plus clairement la sensation qu’elle lui faisait ressentir, c’était tout comme sentir le corps sinueux d’un serpent contre vous mais de l’intérieur. Cela ne faisait pas vraiment mal mais c’était tellement désagréable qu’il finissait invariablement par prêter oreille à la prochaine stupide demande de Sae. Il faut dire que les rares fois où il avait osé passer outre l’avertissement que représentait cette désagréable sensation, Sae le faisait se plier de douleur en lui tordant les tripes et se montrait boudeuse et franchement désagréable un bon moment. Autant éviter de la contrarier. S’arrêtant et soupirant, seul au milieu du couloir, il écouta sa déité lui parler :

« -On va prendre un goûter ? J’ai envie de fraises, ou d’une glace ! Oh une glace à la fraise ce serait le top ! »

Et voilà. Péché mignon de Sae n°1 : la nourriture. Il pouvait certifier qu’à peu près la moitié des faveurs qu’elle lui demandait étaient liées à la nourriture. Et gare à lui s’il osait faire passer ses gouts personnels avant ceux de sa divinité.  Espérant tout de même la convaincre d’oublier son estomac pour une fois, il répliqua tout de même :

« -Pas de goûter. Je vais étudier à la bibliothèque.

-Hein ? Mais pourquoi ? Tu en as pas besoin, je suis là pour t’assurer la meilleure note ! Allez ! Goûterrrr ! »

C’est bien là le problème, il ne voulait pas se reposer trop sur elle. Bon il n’avait pas encore eu beaucoup besoin de recourir à son incroyable intellect, mais malgré tout il refusait de devenir dépendant de sa divinité. Il était déjà difficile de brider sa fierté et de lui demander un coup de main, sans compter qu’elle ne se gênait pas pour lui montrer par une remarque acide chacune de ses erreurs.  Sentant qu’il était réticent, Sae décida cette fois de passer à l’attaque et lui lança sournoisement :

« -De toute façon, vu ton niveau actuel, ce n’est pas de bonnes notes dont tu as besoin mais d’amis. »

Touché ! Juste là où cela faisait mal… C’était vraiment mesquin. D’un autre côté c’était vrai. Il n’avait jamais eu de souci à suivre ses cours et avoir de  bonnes notes. Et ce n’était pas avec Sae qu’il allait rater la moindre interrogation. Alors que côté vie sociale, c’était à peu près le néant total. Depuis qu’il avait été déplacé dans la classe M., il ne s’était fait aucune connaissance et ses relations avec ses anciens « amis » étaient plus que remises en cause depuis qu’il avait été possédé. Cela avait creusé un gouffre entre lui et les personnes normales… Il cherchait quelque chose à dire pour répliquer, mais encore une fois, Sae le prit de court en lui lançant :

« -Tiens, regarde à te droite, il y a une de tes condisciples. Va lui parler ! »

Suivant les indications de sa divinité, Thomas put bel et bien constater qu’une jolie fille se trouvait quelques pas plus loin. Il réfléchit un instant, tâchant de se rappeler son nom. Il l’avait entendu en classe une ou deux fois, Loch quelque chose. Sae devait le savoir, elle n’oubliait jamais rien elle, mais il se refusait à le lui demander.  Bon, il s’agissait comme lui d’une possédée, c’était déjà un point commun. Mais de là à aller lui parler… Le jeune homme pensa un instant la contourner, et rentrer dans la bibliothèque toute proche mais Sae suivait ses pensées et le lui fit clairement comprendre en laissant une pointe de douleur émerger depuis ses intestins. Il ne semblait pas vraiment avoir le choix s’il ne voulait pas s’écrouler dans le couloir… Maudissant silencieusement sa déité, qui au moins semblait avoir oublié son envie de glace à la fraise, il s’approcha de la demoiselle. Celle-ci ne semblant pas avoir remarqué sa présence, ou l’ignorant volontairement, il toussota légèrement pour attirer son attention. Devinant que Sae ne perdait pas une miette de sa conversation et allait le bassiner de ses commentaires, il se retint déjà de soupirer et lança un sourire amical à sa condisciple en lui disant :

« -Bonjour, je suis Thomas. On est dans la même classe.
-Ah bravo ! Original vraiment ! Je comprends pourquoi tu n’as pas d’amis ! On dirait vraiment que tu es un asocial venu la supplier !  »

Gé-ni-al, Sae n’avait même pas attendu la réponse de la demoiselle pour se moquer de lui. A qui la faute ? Il n’avait pas prévu d’engager la conversation. Et c’est pas comme s’il était le genre de gars archi-sociable qui sait toujours comment lancer une discussion. Tâchant de cacher l’irritation qu’il ressentait vis-à-vis de sa déité, il plaqua un sourire sur son visage et attendit une réaction de la demoiselle.

La demoiselle ne répond pas, semblant donner raison à Sae. Il est vraiment si mauvais que cela pour s’approcher des gens ? D’accord son approche était assez primaire, mais quand même. Après tout, il s’était présenté au cas où elle ne se souviendrait pas de son prénom. Il aurait peut-être dû s’excuser avant tout ? Ou l’aborder plus vivement ? Parce que là elle ne devait avoir aucune idée de ce qu’il lui voulait et lui la regardait avec un petit air de chiot perdu. Excellent… Profitant de l’occasion qui lui était donnée d’en rajouter une couche, sans compter que Thomas ne pouvait même pas répliquer, Sae s’exclamait dans la tête du jeune homme :

« -Mais qui m’a foutu un asocial pareil ! Sérieusement regarde-la, elle ne sait même pas quoi dire la pauvrette. »

Il doit reconnaître que s’il avait été à sa place, il n’aurait probablement pas pipé un mot non plus. Sautillant nerveusement d’un pied à l’autre en prenant un air gêné, Thomas hésitait. Il devait peut-être s’expliquer ? Après tout elle aussi faisait partie de la classe M, elle était donc aussi possédée. S’excuser en expliquant que c’était sa divinité qui avait insisté pour tailler bavette pourrait marcher non ? Mais d’un autre côté cela risquait aussi fort de tuer dans l’œuf toute chance de converser plus avant et Sae allait bouder s’il reportait la faute sur elle. Surtout que ses compétences orales ne dépendaient pas de sa divinité mais bien de lui. Il n’avait pas vraiment de « bonne » excuse à faire valoir.

Soupirant intérieurement, et espérant que Sae allait se taire et le laisser tenter de se rattraper, Thomas détaille rapidement la demoiselle maintenant qu’elle lui fait face. De dos, il avait déjà l’impression que c’était une jolie jeune femme, mais de face, eh bien il devait reconnaître que le terme « joli » ne convenait pas. Cela aurait été pour une de ces filles qui prennent soin de leur apparence et qui ont un joli minois, mais elle était un niveau plus loin. Longues jambes digne d’un modèle, taille fine, des formes plus qu’appétissantes. Et surtout un visage offrant aux yeux le contemplant des lèvres pleines et rosées et deux petites perles vertes charmantes. Une couleur peu commune. Un instant il se demande si elle porte des lentilles avant de supposer que ce n’est pas le cas. Il y a dans ces deux yeux là une lueur supplantant les simples verres colorés.

Bon il faut qu’il lui dise quelque chose. Thomas sentait qu’il allait encore réussir à déclamer deux ou trois mots mièvres qui laisseraient la demoiselle persuadée qu’il était un pauvre gars stupide, mais tant pis. Pourtant avant qu’il n’ait eu le temps de trouver quoi que ce soit à dire, la jeune femme le prit d’avance. Ressentant en cet instant un intense sentiment de reconnaissance à son égard –elle lui épargnait de s’humilier plus avant-, Thomas l’écouta. Bon, ce n’était pas trop flatteur, il semblait bien qu’il ne lui avait pas fait grande impression en classe mais cela pouvait se comprendre. Il n’était pas le genre d’idiot à se faire remarquer du professeur en faisant le petit rigolo et avec Sae qui passait son temps à lui expliquer des détails divers sur ce qu’ils voyaient il n’avait guère besoin d’interroger les professeurs pour leur demander une explication. En plus sa divinité adorait tant se vanter de son immense savoir qu’elle approfondissait même la matière. Tout cela pour dire qu’il devait passer relativement inaperçu en classe et ne prenait pas mal le fait qu’elle ne l’ait pas remarqué jusqu’ici. Et puis ce n’est pas comme s’il était là depuis longtemps. Mais Sae ne semblait pas du même avis…

« -Tu vois Thomas, tu es tellement solitaire que même tes condisciples t’ignorent ! Complètement fade comme gars ! Si tu veux dignement me représenter, tu vas devoir faire un effort ! »

Non, clairement Sae n’était pas contente, et elle reportait sa mauvaise humeur contre lui. C’est bien le problème quand votre déité est narcissique, si vous n’attirez pas tous les regards, elle n’est pas satisfaite. En parlant de regards, il avait l’impression qu’il en attirait pas mal des autres élèves passant par ici. Qu’est ce qui leur prenait ? Bon, autant faire quand même avancer un peu cette conversation et surtout lui répondre avant qu’un silence gênant ne s’installe. Reprenant vite la parole, Thomas lui répondit avec un léger sourire :

« -En fait, je n’ai rien à te demander, mais je voulais me présenter. » Il se tut un instant et baissa le ton, avant de continuer : « Et puis ma divinité te trouvait jolie et voudrait que je me sociabilise un peu. » termine-t’il avec une légère grimace

Thomas sent que Sae n’apprécie pas trop qu’il se révèle aussi simplement ses raisons. Ou plutôt qu’elle a quelque chose à faire avec son approche hésitante. Il faudra vraiment qu’il achète un énorme paquet de sucreries pour se  faire pardonner de ses soi-disant fautes. Agacé de sentir des regards dans son dos, il propose à la demoiselle :

« -Hum… Tu ne veux pas qu’on continue cette discussion dans la bibliothèque ? J’ai l’impression d’être un morceau de viande jeté dans un aquarium de piranhas avec tous ces regards braqués sur nous. »

Thomas supposait un peu naïvement que la demoiselle était aussi ici au départ pour étudier dans la bibliothèque. Après tout elle était en train de regarder la porte en silence avant qu’il ne l’aborde –enfin cela il pouvait comprendre, elle était sûrement en train de discuter avec sa divinité, lui-même s’était déjà retrouvé à sembler regarder avec une grande attention un bout de mur tandis qu’il débattait avec Sae.-

La demoiselle accepta son invitation à le suivre dans la bibliothèque. Bon au moins Sae n’avait pas recommencé à lui lancer des piques sarcastiques. Il avait plutôt l’impression qu’elle était en train d’adopter une attitude plus passive, celle d’une bonne divinité regardant ses créations vivre leur petite vie sans elle. Même si Thomas se doutait qu’elle ressentirait bien vite l’impérieux besoin de lui faire part de ses remarques acides, et que la déité n’avait pas grand-chose d’une déité voulant uniquement le bien-être des humains. Déjà ennuyé à l’idée qu’il devrait supporter, une fois qu’il aurait fini de converser avec Charlie, un long discours moralisateur lui expliquant tout ce qu’il avait pu rater et la moindre convention sociale qu’il n’avait pas respectée, Thomas sentait déjà sérieux mal de tête profiler le bout de son nez. Au moins, la compagnie de la demoiselle était jusqu’ici agréable et lui offrait un peu de répit, rien que pour cela elle méritait une médaille à ses yeux !

C’est avec la démarche assurée d’un habitué rentrant dans l’un de ses lieux favoris que le jeune homme entra dans la vaste pièce. Sa compagne semblait par contre moins à l’aise, ayant traversé à toute vitesse les premiers mètres pour s’arrêter près des premières étagères faisant face à l’entrée. Retenant un sourire devant cette constatation, Thomas s’empressa de la rejoindre. La bibliothèque était agencée d’une façon simple mais agréable. A gauche et droite de l’entrée, on trouvait de longues tables pour les étudiants venus travailler, les étagères croulant sous le poids de livres divers quelques mètres plus loin, séparés en diverses catégories. De l’autre côté de la pièce, on retrouvait quelques autres tables, illuminées par les fenêtres donnant une vue sur l’extérieur du bâtiment. Remarquant déjà de là où il se trouvait que ces dernières, plus agréables pour travailler, étaient déjà occupées, il fit un petit signe à la demoiselle pour lui désigner une table inoccupée à sa gauche, et assez éloignée des autres élèves pour qu’ils ne soient pas dérangés. Il aurait préféré l’une des tables du fond, notamment pour un peu profiter du soleil, mais tant pis. Au moins ils ne seraient pas la cible de regards comme ils l‘avaient été dans le couloir et leur conversation ne risquait pas d’être entendue par un élève trop curieux ou à l’ouïe trop aiguisée.

Prenant place, Thomas lança un petit sourire amical à la jeune femme. Jusqu’ici, il pourrait presque croire que son emploi du temps originel s’était bien déroulé. Il est à la bibliothèque, a du temps devant lui, seulement il n’est pas tout seul. Bon d’accord, rien que ce dernier point change tout. Ayant surtout envie de discuter un peu avec la demoiselle maintenant, le jeune homme lance quelques regards discrets à la demoiselle tandis qu’elle s’installe. Il sent que s’il ouvre la moindre bouquin, Sae va lui passer un savon. D’un autre côté il le mériterait puisque cela équivaudrait à dire à la demoiselle « Va-t’en, j’suis un p’tit gars studieux qui préfère ses cours à une vie sociale épanouie. » Cependant il ne veut pas non plus s’imposer. Après tout elle voulait aussi venir ici non ? Discuter deux minutes peut passer mais il se sentirait mal qu’à cause de lui elle n’ait au final pas travaillé alors que c’est ce qu’elle avait prévu au départ. Ou alors il peut lui proposer un coup de main. Après tout il est un bon élève et Sae est là pour encore approfondir les explications. Enfin si elle daigne partager son savoir avec leurs misérables personnes et que Charlie accepta sa proposition. Ils sont de simples camarades de classe, cela pourrait la gêner. Bon, autant continuer à se montrer honnête avec elle et éviter tout malentendu. Au moins il serait vite fixé quant à ce qu’elle préférait et ils gagneraient du temps.

« -Dis-moi, tu comptais étudier ? Parce que je m’en voudrais de te déranger trop longtemps… »

Se rendant compte que cela pouvait aussi passer pour une mauvaise excuse, Thomas passa nerveusement sa main dans ses cheveux en retenant un léger rire nerveux et reprit rapidement :

« -Personnellement j’ai l’habitude de travailler quotidiennement donc je viens régulièrement à la bibliothèque. Du coup ma divinité m’houspille afin que je me fasse des amis plutôt que de passer mon temps enfermé avec des bouquins quand mes notes sont excellentes. »

Il passa sous silence le fait que sa divinité ne cessait de lui répéter qu’il devrait plutôt la laisser faire tout le boulot. Il considérait un peu cela comme de la triche. Il ne crachait pas sur un coup de pouce de temps à autre mais il se refusait tout simplement à devenir un cancre laissant sa divinité lui souffler toutes les bonnes réponses. Tournant toujours autant du pot, Thomas finit par lâcher clairement :

« -Enfin, bref… euh… Si tu veux, je peux toujours t’aider à réviser. »

Hum... Charlie semble plutôt mal à l'aise. C'est l'impression qu'il avait depuis qu'elle était entrée à toute vitesse dans la salle, mais cela s'est renforcé à cause de plusieurs petits détails qu'il n'avait pu s'empêcher de remarquer à force de regarder discrètement la demoiselle. Elle jetait des petits coups d'oeil à gauche et à droite comme un petit animal nerveux qui a l'impression d'être à découvert et qu'une créature sauvage va lui sauter dessus à tout moment. D'un côté c'est assez adorable. En la voyant ainsi, il a juste envie de la rassurer et de jouer le gentil gars prêt à protéger la pauvre jeune femme qu'elle était. Cela collait toutefois un peu trop au scénario "Prince charmant parti sauver une jolie princesse pas capable de faire quoi que ce soit de ses dix doigts." pour lui plaire vraiment, mais il ne peut s'empêcher d'être attendri pour autant. Il est persuadé qu'elle est une fille avec de grande capacités, disons que cela se sent facilement. Plus le genre de fille à tuer le dragon à mains nues et à sortir botter les fesses de la sorcière toute seule qu'à attendre un idiot armé d'une épée venu la sauver. Du coup il dissimule vite le sourire touché qui lui venait devant cet air anxieux qu'elle affichait, craignant qu'elle ne le prenne comme s'il ressentait de la pitié envers elle.

Heureusement, elle ne sembla pas avoir remarqué l'air attendri qu'il a affiché un instant. C'aurait été assez gênant... Elle semble aussi plus se décontracter maintenant qu'elle s'est assisse et qu'ils sont à l'écart, bien qu'étant manifestement moins à l'aise que lui. Elle le relance même, lui demandant des précisions sur ses dires. Thomas se retrouve vite dans une position plutôt délicate. Il tient à lui prouver qu'il peut vraiment l'aider et souhaite le faire de bon coeur sans pour autant avoir l'air de se vanter de ses bonnes notes -dues en partie à sa divinité-. Avant qu'il ait le temps de formuler une réponse, la demoiselle le relance même à propos d'un sujet particulier.

Il peut lui-même comprendre son trouble là. L'histoire de l'Irlande étant clairement l'un des sujets pour lesquels il avait eu le plus besoin d'aide de Sae. Il en avait appris des brides quand il était à Londres, puisque l'histoire des deux îles était fortement liée, mais dans les détails il avait un retard certain sur les natifs irlandais. Sentan la question muette qu'il lui posait, Sae vint lui souffler de son ton sifflant :

"-Tu sais Thomas, tu peux compter sur moi pour aider cette jolie demoiselle ! ~♪ Te faire des amis et les aider est essentiel pour une vie épanouie."

Décidemment, elle était dans un bon jour. Même s'il soupçonnait fort qu'elle voulait surtout étaler sa science et montrer à quelqu'un d'autre que lui à quel point elle était intelligente... Et surtout discrètement se moquer de la divinité de la demoiselle en les aidant d'une manière que cette dernière ne savait pas faire. Toutefois, avant qu'il ait pu reprendre la parole, Sae ajouta comme pour gâcher le sentiment de reconnaissance qu'il éprouvait à cet instant pour elle.

"-Mais ce soir je veux double portion de dessert et je n'oublie pas ma glace à la fraise."

Soupirant tout bas devant la gloutonnerie de sa divinité, il se refocalisa rapidement sur la demoiselle et lui répondit :

"-Ma divinité est la constellation du serpent. L'esprit de l'intelligence, ça aide beaucoup."

Façon détournée de lui dire qu'il trichait grâce à l'aide de sa divinité mais que celle-ci pouvait les aider tous les deux sans souci. Il reprit :

"-J'ai pas mal planché sur ce sujet comme j'étais moi-même assez en retard en histoire en arrivant ici. Je pense donc pouvoir me montrer utile ! Et au besoin ma déité m'a déjà dit qu'on pouvait compter sur elle pour combler nos lacunes."

Il accompagna tout de même ses dire d'une discrète grimace à l'intention de la demoiselle pour lui faire comprendre que derrière l'apparente gentillesse de Sae, il y avait eu un certain marchandage pour arriver à ce  résultat. Affichant un grand sourire chaleureux à son intention, il sortit rapidement de son sac ses notes d'histoire et lui demanda :

"-Qu'est-ce qui, plus précisément, te pose problème ?"

Pour sa part, il n'avait par exemple pas eu de souci concernant toute l'histoire commune entre Angleterre et Irlande puisqu'il l'avait déjà étudiée quand il était à Londres, mais bel et bien eu des difficultés sur tout ce qui concernait les origines du pays et les détails qu'il n'avait jamais vu avant d'être ici.

Charlie l'écoute poliment. Heureusement qu'elle n'est pas du genre à s'extasier la bouche grand ouverte à la moindre de ses paroles, il craignait que si ç'avait été le cas il ne la supporte pas plus de deux minutes. Non, étant dans la même situation que lui, elle devinait ce qui se cachait derrière cette façade d'histoire fantastique : une cohabitation souvent difficile à supporter et qui posait plus de problèmes qu'elle n'apportait d'avantages. Bien qu'il ne puisse pas dire s'être ennuyé depuis qu'il avait Sae dans le crâne, c'était clair que son "calme intérieur" avait été sérieusement ébranlé par les sarcasmes quasi constants de sa déité. En fait, au goût de Thomas, la réaction de Charlie était la bonne : elle lui lançait juste un petit sourire compréhensif et amical. D'une certaine manière, ce soutien muet et la compréhension qu'il lisait dans ses beaux yeux verts le rassérénait et valait une réponse à part entière.

Charlie semble ensuite quelques instants distraite. Guère concentrée sur ses paroles.. Malgré tout, il plaque un sourire sur ses lèvres et ne dit rien. Il ne la juge même pas. Il la comprend. Il suppose que sa déité est en ce moment-là en train de l'interpeller, lui-même ne fait pas toujours très attention à son entourage quand Sae lui parle, ce qui lui avait déjà posé des soucis mineurs. Attendant patiemment les quelques secondes nécessaires pour qu'elle lui raccorde son attention, il l'écoute tandis qu'elle l'informe de la matière exacte qui pose problème. Il est déjà content qu'elle ne tourne pas autour du pot ou ne lui pose une colle du genre "En fait j'ai un problème avec toute la matière." Il n'aurait pas su où commencer. Là Charlie lui donnait un excellent point de départ et savait dans quelle partie elle avait plus de difficultés. Semblant suivre ses pensées, Sae en profita pour lancer perfidement :

"-C'est clair qu'elle est plus douée que toi pour savoir où elle a des difficultés. Chaque fois que je te fais réviser je dois limite te répéter l'ensemble de la matière que tu as vue aux précédents cours."

Adoptant la meilleure tactique qu'il avait trouvée jusqu'ici pour agacer sa divinité, Thomas fit tout simplement la sourde oreilles aux commentaires du serpent qui rampait dans son crâne. Fouillant une vingtaine de secondes dans ses notes, il trouva vite la partie traitant de l'Irlande et son histoire. Il en était plutôt fier de ses notes : son écriture était déliée et bien plus lisible que celle de la plupart des garçons -c'est en tout cas ce qu'on lui avait dit-, et il y ajoutait de nombreuses couleurs pour mettre les points importants et dates en évidence. Sans compter qu'il annotait les diverses remarques de Sae et que cette dernière pointait souvent ce qui était le plus susceptible de figurer dans un test. En fait s'il les avait fait passer parmi ses condisciples, il était certain qu'il aurait été très apprécié soudainement par nombre de ses camarades ravis de pouvoir en profiter. Les parcourant du regard, il se remémorait en même temps ce qu'il pouvait du dernier cours. Associé à ses notes, il devrait réussir à aider Charlie de façon claire. Enfin il l'espérait.

Thomas se contenta d'hocher gentiment la tête en souriant devant la dernière remarque de la demoiselle. Il n'avait pas vraiment grand chose à commenter quant à ce que sa mère lui avait "appris". Lui-même n'avait pas eu la chance que ses parents viennent lui faire la lecture, ce qu'il regrettait un peu. Passant à la leçon en elle-même, les minutes suivantes furent données d'une façon plutôt professionnelle. Il donnait les explications générales, Sae ajoutait de temps en temps une remarque ou info complémentaire et ses notes lui servaient de support pour ne rien oublier. Il s'appesantissait sur les endroits où sa déité lui avait soufflé qu'il y aurait sûrement une question et dès qu'il sentait que Charlie se posait une question, il faisait une pause et lui demandait si elle avait bien tout compris pour lui permettre de la poser. Ensuite il enchaînait en approfondissant le point posant problème. Il trouvait s'en sortir de façon plutôt correcte ! Et comme ils avaient déjà vus la matière au cours, certains points revenaient rapidement à la demoiselle, ce qui leur permettait d'avancer plus rapidement qu'il ne l'aurait cru à travers la matière. Il devait reconnaître à sa compagne qu'elle avait l'air de vite comprendre ses explications, même celle les moins claires et remercier -bien qu'à contrecœur- Sae pour se montrer si sympathique aujourd'hui. Sa divinité semblait vraiment prendre plaisir à étaler sa science et à leur faire partager son savoir. Estimant finalement avoir parcouru l'essentiel de ce qu'il y avait à dire, il lança un sourire à la demoiselle et conclut d'un ton amical :
"-Je pense qu'on a fait le tour. Il y a encore quelque chose que tu n'as pas compris ou un point que tu veux approfondir ? Et je peux te copier mes notes si tu le souhaites."