- Chaud devant, c’est l’heure du Teq’ Paf !
Pirouette à gauche, esquive grandiloquente et me voilà qui frôle un grand brun armé d’un plateau de shooters de tequila. Enfin esquive c’est vite dit, disons que cela manquait d’une bonne dose de grâce, j’ai juste maladroitement évité la catastrophe. Je me serai bien enfilé deux ou trois shots, dommage que je n’y ai pas droit. Fût une époque où l’ambiance familiale me suffisait, où je me contentais sans problème d’être entouré d’amis, mais hélas ce temps est loin derrière et je pleure l’éparpillement de mes plus proches camarades. Je connais et apprécie une bonne partie des gens présents mais je ressens l’envie de combler un manque et ce, par le biais de l’alcool. Triste réalité pour une femme enceinte à qui est donc interdit cette consommation.
M’asseyant sur un canapé, je contemple un moment le plafond et laisse voguer mes pensées au gré du vent. Ou de fumée à l’odeur suspecte. Je ne juge pas, je ne suis pas responsable de ces jeunes ici-bas, nous ne sommes pas au pensionnat mais en ville. Ce soir je me détends, j’en ai d’autant besoin que j’en suis à trois mois et que le petit gars qui pousse là-dedans commence à peser lourd. Il est désormais trop tard pour faire marche arrière, alors allons de l’avant !
Que c’est bon de se détendre ! Oh la la je bénis ces soirées, mais ce serait encore mieux si l’on prenait quelques herbes de ma connaissance…
Tu m’enjoins à la fumette ? C’est illégal. Et ça pourrait causer des dommages au bébé, tout comme la transformation. Je refuse de faire courir des risques à mon petit.
Ne m’en parle pas… depuis onze ans, je ne me suis jamais senti si peu moi-même…
Plus que six mois à tenir… tu vas être difficile à gérer, c’est sûrement la grossesse la plus complexe à vivre de l’histoire.
Tu oses prétendre que je suis insupportable ?! Que je me laisse abattre par une si futile situation ? Le Sanglier est bien au-delà de ça, il n’existe que pour incarner la générosité ! J’offre ma propre chair pour que chacun puisse se repaître à son bon vouloir, bien que des impolis refusent de s’en nourrir. Impolis, oui impolis, tels que toi !
J’en mangeais avant de m’unir à toi. Tu es ce qui m’a rendu végétarienne. Je te remercie de ta générosité, Ô divin mammifère ! dis-je au sanglier avec un sourire extériorisé.
- Qui a faim ?! Qui veut goûter la spécialité de la maison, l’omelette aux champis ?! demande un petit jeune que je ne connais que de vue.
Me levant prestement, je m’en vais quérir de quoi apaiser un appétit grandissant avant de me rasseoir pour déguster ce festin. Je prends même un bout de gâteau, assimilant cette faim tant à un désir de sociabilité qu’à un estomac vide au contenu dûment réclamé par un goinfre bien au chaud dans son liquide amniotique.
Pfiou ça fait du bien, je ne reconnais ni le goût ni l’odeur mais c’est excellent ! Je félicite le cuisinier ! dis-je à l’intention du grand brun.
- Tu m’en diras des nouvelles dans une demie heure ma jolie !
Ce dernier mot me faisant tiquer, je me renfrogne et cesse donc tout tentative de sociabilité dans la seconde. Je suis bougon ce soir, est-ce un signe que je deviens trop vieille pour ces soirées étudiantes ? Ou juste que je n’y suis plus à ma place… toujours est-il que cela me fait cogiter assez longtemps, affalée que j’étais dans un sofa situé dans un coin de la pièce. Rien n’aurait pu me préparer à ce qui allait suivre…
- On évacue en urgence, retour imprévu des vieux ! Faites gaffe aux flics, ils sont de sortie !
L’annonce fait l’effet d’un coup de canon pour les gens présents qui sautent vers la sortie et se précipitent dehors. Moi ? Je dirais que je vais à mon rythme, sans courir. Une, deux et trois portes plus tard, me voici dans la rue à humer l’air de manière détendue avec quelques camarades, tentant de remettre mon esprit sur les rails. Serait-ce les effets de champignons hallucinogènes que je ressens ? Alourdit par un peu d’herbe ? Aurais-je été assez négligente pour me jeter sans le savoir sur une omelette aux magic mushrooms et des mini space cakes, alors même que je me suis retenue de boire de l’alcool pour ne pas faire du mal au bébé ? Quelle idiote je suis… Dès l’instant où je me suis levée et à chaque pas, mon esprit s’est dérobé par une pirouette. Qui sait dans quel état cela va me mener, jusqu’où je vais planer et pour combien de temps, ni même à quel point la chute sera rude. Miséricorde…
- Contrôle de police, personne ne bouge et tout se passera bien !
Et là, c’est la débandade. Tout le monde se met à courir, dont moi. Serais-je revenue dix ans en arrière quand les co*****es étaient fréquentes ? Je vais devenir mère, ce n’est plus de mon âge !
Bien joué mami !
Oh c’est pas le moment toi ! Je ne sais ni ce que je fais, ni où je me dirige. Je me sens plonger dans les tréfonds de la Terre et je doute garder pied bien assez longtemps pour échapper à la garde à vue.
Tu tenais mieux à l’époque, tu t’es ramollie. Bon, en un sens c’est pas plus mal, si tu dois effectivement devenir mère il serait bon de ne plus réitérer une telle situation à l’avenir, sans quoi cela risque d’être catastrophique pour le petit marcassin.
Les paroles du Sanglier résonnent dans ma tête, puis semblent tourbillonner. Je ne sais plus vraiment ce qu’il a dit et encore moins ce que cela signifie, je suis perdue. La dernière chose que je fais avant de sombrer dans un autre monde c’est escalader un mur de pierres meulières et me glisser de l’autre côté incognito. Quelqu’un m’aurait suivi ? Je pense que les policiers n’ont pas eu le temps de me rattraper suffisamment pour me voir faire, je devrais être tranquille un bon moment.
- Et m***e, je suis où là…dis-je à voix basse pour moi-même.