Ce jour-là, le ciel était d'un bleu de jean délavé. On aurait dit une coupole de verre teinté au-dessus des têtes des habitants du Pensionnat. Un rare jour de mai où le Connemara verrait le soleil caresser ses prairies - et elle ne serait pas dans le parc pour en profiter. Tout ça à cause d'un imbécile de Celtique.
Ou alors -
Non. Elle n'annulerait pas un rendez-vous. (Enfin, pas un rendez-vous que le Directeur avait spécifiquement insisté qu'elle prenne. Non qu'elle aie peur de lui... Elle en était terrifiée.)
Hansel ouvrit la fenêtre de son bureau- euh, cabinet - et s'appuya à son chambranle doucement. Sortir lui manquait parfois sans qu'elle ait jamais connu le Dehors. Irrationnel. (Elle n'aimait pas ça.)
Mais le reste du temps - tout comme aujourd'hui - cela suffisait : la caresse du vent de mai sur ses bras, et la façon dont ses poils s'hérissaient ; la fraîcheur de l'air caressant son visage découvert, et ses paupières entrouvertes par automatisme ; le bois écaillé et ses doigts qui le parcouraient pensivement. Le murmure cotonneux des pensionnaires étendus sur la pelouse d'un vert surnaturel. Un éternuement sonore se fit entendre, et le Docteur se rappela qu'elle devait vraiment parler à la fille d'Asclépios. La situation devenait intenable - hier seulement, il lui semblait que la gamine avait la peste.
من يهتم, râla Seth, qui retournait facilement à l'arabe lorsqu'il était agacé - soit la plupart du temps, à vrai dire. On s'en fout.
المزرعة, la ferme, fit-elle dans un égyptien approximatif.Elle avait beau se débrouiller à peu près en langues, l'arabe continuait de lui échapper.
Cependant, Tête de Termite n'avait pas tort. La question aujourd'hui était loin de se rapporter à elle, au Dehors, ou au ciel. Elle aurait bien aimé. C'était toujours très désagréable de devoir s'occuper des Possessions - tant de paperasse à remplir, de témoins à inventer, de circonstances à créer... Oui, rien de plus fatigant qu'un meurtre à camoufler.
Que ce soit une raillerie ou pas, il avait raison. Rien de plus ennuyeux d'un meurtre.
D'autant plus que l'adolescent n'avait montré, au commencement, aucun signe de faiblesse ou de débilité. Famille exigeante qui l'avait toujours considéré embarrassant, certes, mais pas pour autant dépressif - plutôt je-m'en-foutiste. Tête brûlée, grand besoin de s'affirmer par rapport à une soeur trop présente, et puis - d'après ses professeurs - "lourd, impertinent, un petit peu con, pour tout vous dire". Le fils cadet dans toute sa splendeur. Même son dieu n'était pas si puissant que ça, comparé à certains de ses homologues. Un cas peu habituel.
D'autant plus que la Possession n'avait pas duré. Comment avait-il pu se débarrasser ainsi du dieu - coup de chance ? force d'esprit ? (Mais force ne signifiait-elle pas aussi danger ?)
De toute façon, quoi qu'il arrive, Hansel doutait qu'ils puissent garder un élément aussi imprévisible. Il s'agissait juste de voir si l'on l'envoyait au bal des morts pour cause de faiblesse ou de menace. Encore une fois pourtant, les voies du Directeur étaient impénétrables. Seth ricana. (Il avait raison, elle avait un très bon sens de l'humour.)
Depuis combien de temps attends-tu l'enfant, déjà ?
Hansel se retira à regret de la fenêtre pour s'asseoir en face de son large bureau de bois sombre. La porte en face d'elle restait close, quoique des bruits de pas commencent à se faire entendre depuis le micro qu'elle avait peut-être, ou peut-être pas, installé pour pouvoir surprendre ses élèves en les appelant alors qu'ils hésitaient, le poing placé avec appréhension sur la poignée de cuivre. Pourtant, à son grand mécontentement, celui-ci ne s'attarda pas à douter, entrant sans plus d'avertissement - et sans aucune politesse, vraiment - dans la pièce.
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