La fin du dernier cours venait de sonner. Alors que beaucoup s'étaient levés pour se précipiter hors de la salle ou rejoindre leurs petits camarades pour discuter de tout et de rien, Eireen s'étira et se laissa tomber sur le pupitre devant elle, croisant les bras et enfouissant son visage dans le creux qu'ils formèrent alors. Elle resta ainsi cinq bonnes minutes avant de tourner la tête et de regarder par la fenêtre.

**Il pleut toujours des cordes...**
*J'avais remarqué.*

Pinçant les lèvres, la jeune fille les sépara ensuite pour faire un bruit similaire à celui d'une bulle qui éclate avant de se redresser et de s'étirer à nouveau. Météo pourrie ou non, il était temps qu'elle se bouge ! Le dernier cours l'avait tellement achevé par son ennui que si elle se posait sur son lit maintenant, elle était capable de s'y endormir pour le reste de l'après-midi et de la soirée ! La bandoulière de son sac lâchement jetée sur son épaule, elle se leva et quitta enfin la pièce. Elle rejoignit le couloir et se faufila entre les groupes de lycéens qui papotaient ou qui se dirigeaient vers le réfectoire ou leur chambre.
Eireen quant à elle, allait dans une partie du bâtiment qu'elle avait boudé depuis l'épidémie de grippe qui avait cloué tout le monde à l'infirmerie. Une chose qui l'avait attristée quand même car elle se souvenait que les moments qu'elle avait passé avec les gens en photographie du club d'arts visuels, avaient été sympas. Pourtant elle ne s'y était réinscrite que tout récemment, ce qui l'étonnait. Mais elle avait beau chercher pourquoi elle n'y était pas retournée avant, elle n'arrivait jamais à trouver une raison qui lui semblait plausible.

M'enfin bon. Le passé, c'est le passé. Elle avait hâte de reprendre des photos, c'est pourquoi elle allait vers l'atelier, afin d'emprunter un des appareils photos ou au moins demander si c'était toujours possible parce que depuis la refonte du club, rien n'était moins sûr.

**Tu crois qu'il y aura quelqu'un ?**
*On verra déjà*

Tournant dans le couloir sur sa droite, elle arriva enfin. Oh, c'était bien parti, la porte n'était pas fermée, c'est que l'atelier devait être occupé ! Passant la tête dans l’entrebâillement de la porte, Eireen put confirmer la chose quand son regard se posa sur un garçon. Elle balaya la salle du regard. Il semblait seul et très concentré sur ce qu'il était en train de faire. Ne voulant pas le déranger, Eireen se faufila dans la pièce et se dirigea silencieusement vers la partie réservée à son groupe. Rien que la vue des quelques appareils photos qui trônaient fièrement sur leur étagère l'excitèrent comme une gamine qui avait hâte de jouer avec sa poupée préférée, même si extérieurement rien de tout cela ne transparaissait. Jetant un coup d’œil par dessus son épaule, elle vérifia que le garçon était toujours penché sur sa feuille puis elle se saisit avec beaucoup de délicatesse d'un des appareils photo.

**On dirait un de ces espions dans les films d'action.** Gloussa Hestia. **Mais tu ne comptes pas repartir comme ça, comme une voleuse, rassure-moi...**
*Mais non ! Il faut que je note l'emprunt dans le registre et que ce soit accepté par la personne qui gère le club*
**Et qui est-ce ?**
*Ben... Je crois que c'est lui. Y'avait que deux noms sur la liste des derniers inscrits au club.*
**Oh bien ! Vas lui parler !**

Si le ton trop enthousiaste d'Hestia avait déjà le don de la rebuter (parce-qu'elle savait très bien ce que la déesse avait en tête), plus elle observait cet étudiant inconnu, plus elle ne voulait pas le déranger. Avait-elle peur ? Était-il effrayant ? Loin de là ! Mais il était tellement absorbé sur sa tâche que la rouquine craignait qu'il ne perde le fil si elle l'interrompait et elle savait à quel point s'était frustrant de perdre une idée à cause d'une intervention externe. C'était un peu comme un manque de respect envers sa bulle, vous comprenez ? Les yeux rivés sur lui, elle se déplaça sur le côté, analysant les zones d'ombre et de lumière. Très doucement, elle passa entre les chevalets. Elle arriva à côté d'une table où se trouvait un carnet, ouvert. Le sien ? Peut-être. La page sur laquelle il griffonnait pouvait provenir de là aussi. Ses doigts glissèrent sur le côté de l'appareil photo et alors que ses oreilles frémirent à un faible son qu'elles reconnurent immédiatement, Eireen s'était accroupit à côté de la table, les bras tendus sur cette dernière, l'appareil photo tenu au bout de ces derniers. Et là...

-*- Clic-*-

Cette fois-ci, le bruit ne pouvait pas passé inaperçu, surtout pas à cette distance. Pourtant, comme si elle se fichait d'être découverte ou de la réaction du garçon, elle se redressa sur la table, le buste carrément posé dessus, la tête penchée sur le petit écran de l'appareil.

**Wow... Quelle expression ! Et l'effet de lumière avec son regard... Et puis, je dois admettre que comme modèle, il pourrait rendre honteuses quelques statues d'Apollon !**

Ce dernier commentaire fit apparaître un sourire éphémère sur les lèvres d'Eireen. Hestia n'était pas connue pour son goût des hommes, elle était même railleuse à leur sujet, bien que sympathique et attentionnée envers les « petits mignons », alors qu'elle dise ce genre de chose, c'est que ce n'était pas rien. Et puis elle n'avait pas tort, il a de quoi accrocher le regard c'est indéniable.

**Maintenant que tu dois avoir capté son attention, tu peux lui parler !**

Cette phrase fut comme un déclencheur et Eireen se rendit compte qu'elle venait de faire ce qu'elle ne voulait pas faire ! Dixit, ne pas le déranger. Elle leva les yeux vers lui et lâcha :

« Oh... Désolée. »

Prendre la pose ? Non ce n'était pas... Bon trop tard. Au moins n'avait-il pas mal prit le fait qu'elle le prenne en photo sans lui demander son avis. Au pire, elle pourrait toujours supprimer le cliché. Mais ce serait dommage. En tout cas, pour le moment le sujet de suppression ou non était bien loin des pensées d'Eireen. Si normalement elle devait être en train de se demander si elle devait vraiment prendre une photo de lui dans cette pose ou s'il faisait juste ça pour rire -vu le joli sourire taquin qu'il lui avait lancé-  là, la jeune fille était prise avec une autre réflexion.

*Owh.*

**Owh ?** Malgré la neutralité du ton, cet onomatopée n'était pas vraiment dans le vocabulaire d'Eireen et Hestia était obligée de relever : **Comment ça « owh » ?**

*Ses yeux sont violacés.*
**Ah... Et parce que le violet est ta couleur préférée, alors tu « owh » ?**
*Je « owh » aussi les renards.*
**C'est ton animal préféré...**
*Bah ça doit être ça alors.*
**Vraiment...**
*Non mais c'est un joli violet. Regarde ce nuancier ! C'est juste...*
**Owh ?**
*Owh.*
**Tu sais qu'il triche ? Le violet n'est pas très naturel comme couleur.**
*C'est pas grave, c'est joli.*

Commentaire qui fit soupirer la déesse et qui valut à Eireen une mise en garde vis à vis de ce « bel Apollon ». Ce dernier avait d'ailleurs reprit la parole alors qu'il tenait toujours sa pose comme le ferait un professionnel, même si au final il n'était pas tout à fait sérieux de ce qu'en déduisait la jeune fille par rapport à son attitude. Servir de modèle ? Elle ?

« Non. »

Haha ! Nan mais la blague ! Y'avait assez de top-modèles qui se baladaient dans les couloirs pour qu'il la laisse bien tranquille, elle.  Et puis, s'il voulait étudier les expressions, c'était mort hein... Malgré cette réponse donnée dans la plus grande indifférence dont la rouquine était capable, celle-ci ne se fit toutefois pas prier une deuxième fois pour aller feuilleter le carnet de croquis. Il fallait dire que le coup d’œil de plus tôt avait suscité sa curiosité. Elle se saisit doucement du carnet et posa délicatement l’appareil photo à côté d'elle alors qu'elle tournait déjà la première page en s'appuyant contre la table.

**HORS DE QUESTION !**
*Arg ! Mais pourquoi est-ce que tu cries comme ça ?!*
**Je te l'interdis tu m'entends !**
*Mais quoi ?!*
**D'être son modèle. Non mais tu as vu CA ! C'est hors de question que tu fasses ça ! Ma petite colombe, dans ce genre de scènes... Non, non, non, non, non !**
*J'ai déjà dis non... Pas à cause de ça mais... J'aime pas ce surnom...*
**Eh bien tant mieux. De toute manière c'est NON !**

L'état d'Hestia n'empêcha pas Eireen de continuer à tourner les pages, passant plus ou moins de temps à détailler certains croquis. D'ailleurs l'un deux lui disait quelque chose... Mais elle devait se faire des idées. Elle ne connaissait personne alors reconnaître une partie d'anatomie c'était peut-être déplacé de sa part.
Ne semblant pas  plus dérangée que ça par le contenu du carnet et le feuilletant toujours, elle tendit sa main comme si de rien était pour serrer la sienne, ne levant pas son nez des pages crayonnées et lui désigna simplement l'appareil photo quand il demanda à voir le cliché qu'elle avait fait de lui juste plus tôt.

*Wow, j'aime bien celui-ci. Il est super détaillé mais c'est pas trop lourd.*
**Pitié Eireen... Dis-moi que certains de ces croquis t'ont quand même gênée...**
*Tu m'as sentie gênée ?*
**Non.**
*Ah ouf, j'ai pas rougit alors !*
**Humpf...**
*Et pourquoi est-ce que ce serait gênant ? C'est quelque chose de naturel non ? *
**Ça s'appelle avoir de la pudeur et j'aimerais beaucoup que tu en ai !** Dit la déesse d'une voix presque plaintive.
*Bah... Je crois que tant que ça ne me concerne pas, j'm'en fiche.*
**Ça ne m'aide pas à me rassurer ça, tu le sais?**

Laissant Hestia se morfondre sur son cas et détachant enfin son regard du carnet, Eireen posa son regard sur le jeune homme qui avait commencé à parler du club. Donc elle avait eu raison, il était bien le président. Il n'avait pas tort, c'était triste qu'ils ne soient que deux. Eireen avait le souvenir d'une salle bien plus remplie de gens et... Suivant les gestes du « bel Apollon », elle se demanda si les murs de l'atelier avaient vraiment été aussi fades par le passé. Avaient-ils fait des travaux pendant que tout le monde était malade ? En tous cas, Ethan avait encore raison, ce n'était pas possible de garder la pièce dans son état actuel. C'était trop impersonnel, froid et déprimant.

**En tout cas, on ne peut nier son enthousiasme et son envie d'investissement dans le club.**
*Oui ! Et même s'il ne s'en rend pas compte c'est communicatif.*
**Je te cède ce point.**
*Et puis ce genre d'attitude lui va bien.*
**Existe-t-il au moins une chose qui ne lui va pas ?** Demanda la divinité dans un soupir, pensant que son hôte s'était laissée happée par cet Adonis.
*Oui. La tristesse.*

Se détachant de la table, la jeune fille fit quelques pas pour observer les murs et les quelques piliers de soutient carrés, coupant court à cet échange avec Hestia.

« Je ne suis pas très fan des graffitis... »

Il fallait dire qu'elle n'avait vu que ceux qui collaient aux murs, portes et fenêtres de certaines bâtisses et qui n'exprimaient que de la rage et de la violence. Consciente de son manque de connaissance  sur ce sujet, elle reprit.

« Mais je ne me représente sans doute pas le bon type de graffitis. Ceci dit, on pourrait réserver tout ce mur-ci pour ça et voir si on a les moyens, rajouter des fausses briques rouges à partir de là et jusqu'au petit pan de mur que tu pensais réserver aux photos, ça ferait plus chaleureux aussi non ? Peut-être que les sculpteurs pourraient faire quelque chose à ce sujet. Avec ça on pourrait aussi incruster directement des cadres, taille standard de photos, en alternance avec les briques. L'effet pourrait être sympa... Enfin je crois... Sinon les piliers de soutient font un bon support aussi pour exposer les photos. A voir après aussi, on pourrait suspendre des œuvres aussi, avec un câble qui irait de là à là et un autre de là à là. Ou carrément chercher un point de focalisation et travailler l'agencement et la déco de la pièce dans ce sens. C'est plus chaud, mais ça ferait un bon chalenge. »

**Dis moi... C'est que tu parles beaucoup là.**
*Ah ?*
**Hm, hm !**
*Bah... Ça me plaît alors...*
**Je sais, je te taquine. Par contre tu pourrais le montrer un peu plus même si c'est vis à vis de lui.**
*Comment ça, « même si » ?*
**Je me méfie c'est tout.**

Cette fois-ci se fut Hestia qui coupa court à l'échange et Eireen se reprit :

« Comme ça le coin là-bas pourra servir de « coin détente », on pourrait y mettre quelques poufs et deux petites tables où les gens pourront faire une pause ou discuter d'idées. On pourrait même y faire les réunion du club. Enfin je dis ça... »

Eireen amena sa main droite sur la nuque après avoir autant gesticulée à son tour, la grattant faiblement et ne montrant pourtant pas de signes de malaises. C'était pas mal d'être flegmatique parfois. Elle se tourna alors vers Ethan.

« Il va falloir en parler au Conseil des élèves aussi, non ? »

Ah bon...
Réflexion Ô combien poussée et expressive qui suivit l'instant « T'es une révélation Eireen Ò Mealaigh ! » du président du club d'arts visuels. Et si Hestia n'avait pas tardé à réagir  avec un « Ôte donc tes mains de ce visage et tes lèvres de cette joue, vil éphèbe ! » bouillonnant de rancœur et de dégoût (sans rire, si sa possession avait été plus poussée, Eireen était certaine qu'elle l'aurait fait mordre), son hôte était restée telle la statue battue par la pluie et fouettée par le vent d'une immobilité parfaite. Pas d'yeux écarquillés de surprise, pas de rouge aux joues pour indiquer la gêne ou la colère, même pas une crispation pour signifier qu'elle n'était pas habituée à ce contact et qu'elle était mal à l'aise. Si les expressions étaient des planètes ou des étoiles, alors Eireen était un trou noir.

Il fallait dire qu'il n'y avait que la déesse du foyer pour s'offusquer d'un tel geste. La jeune fille quant à elle, se surprit à penser que ce contact n'avait pas été déplaisant. Elle s'était attendue à ce que les mains d'Ethan soient froides (il ne faisait pas chaud dans la pièce et frileuse qu'elle était...) mais ce ne fut pas le cas. Elles étaient pourvues d'une agréable tiédeur. Quant à ses lèvres et à ses doigts, elle avait pu attester de leur douceur, ce qui l'étonna un peu aussi pour les seconds concernés. Elle venait tout juste de rencontrer Ethan mais il transpirait le travail manuel alors elle avait pensé qu'un peu de cornes à ses mains leur ferait prendre une texture un peu plus rugueuse.

**Mais non. Il est parfait !** Lâcha Hestia avec dédain.
*Pourquoi t'énerves-tu comme ça ?*
**Je n'aime pas son comportement et quelque chose cloche chez lui.**
*C'est simplement quelqu'un d'extraverti et de très tactile.*
**Je ne savais pas que tu avais décidé de te laisser apprivoiser aussi facilement.** Répondit la déesse avec tranchant.
*Pardons ?!*
**Mais va! Fais à ta guise ! Ne vient simplement pas pleurer lorsqu'il t'auras blessée !**
*Tu te fais des films ma parole ! C'est pas parce que je trouve que quelqu'un a un physique agréable que je vais me jeter dans ses bras ! Regarde avec Leila, elle est très jolie et je ne lui ai pas sauté dessus non plus !*
**Elle ne t'a pas embrassée !**
*Non c'est vrai, un presque-poing dans la figure ça refroidit pas mal. Et puis c'était la joue... Franchement, avec un autre je suis certaine que tu ne diras rien et...*
**Pfeuh ! Que tu crois ! On ne touche pas ma petite colombe comme cela !**
*Donc... Il faut que je me sociabilise mais pas trop, c'est ça ?*
**Parfaitement.**

Eireen n'aurait su dire si elle avait plus envie de rire ou d'exploser de rage vis à vis du comportement de la déesse. Cette contradiction dans ses espérances pour la jeune fille... Elle se prenait pour qui ? Sa mère ? Fallait arrêter sacrebleu ! Elle avait très bien réussie à vivre sans, c'était pas maintenant qu'elle allait devoir se taper ça si ? Si... Et elle le savait en fait, mais bon. Une chance pour elle, Ethan s'était relancé dans ses gesticulations et ses projets emprunts d'un engouement et d'une passion plus que certains.

*Hey, il te fais pas penser à ses caricatures d'artistes qu'on voit dans les films ? Tu sais ceux qui sont tout maniéré et qui lancent des « ma chérie » à tout bout de champ en claquant la bise. *

A priori Hestia était d'humeur trop morose pour rire à l'image bien qu'elle concéda le point que son hôte n'avait pas tout à fait tort. Eireen, elle, fit mine de se ré-intéresser à l'appareil photo qu'elle avait laissé sur la table et tourna le dos à Ethan. Elle pinça alors les lèvres, histoire de s'éviter de pouffer de rire à cette réflexion qu'elle venait de se faire. Surtout qu'elle ne voulait pas qu'il croit qu'elle se moque de lui. Il était drôle c'est tout. Quoiqu'à éclater de rire comme ça sans prévenir, il pouvait très bien la prendre pour une folle. Si ça devait arriver, elle préférait la deuxième option, car oui, elle préférait passer pour folle plutôt que d'admettre qu'il l'amusait.

La jeune fille était toutefois parvenue à se retenir et se fut avec toute sa neutralité retrouvée qu'elle se tourna à nouveau vers son comparse, appareil photo en main.

« Il faudra bien qu'on leur soumette un minimum de chose sinon on risque de s'attirer leur foudre et ce serait dommage de bloquer le club pour un différent de ce genre. »

Elle parlait bien entendu du conseil des élèves. Elle pensait bien qu'ils n'étaient pas obligés de les mettre au courant de tout mais tout passer dans leur dos n'était pas une bonne idée et même si Ethan était conscient de ça, elle préférait quand même s'en assurer.

« Le plan « responsable » ça fera un bon minimum par exemple. Le truc qu'ils s'attendent à avoir de la part de chaque club.»

Après, ce sera comme toutes les clauses existantes. Beaucoup d'alinéas et de petits caractères pour s'octroyer plus de libertés. Elle se rapprocha alors qu'il notait leurs idées sur son morceau de papier, réfléchissant à ce qu'elle pourrait faire.

« Je peux faire l'inventaire du matériel pour la photographie et répertorier les utilisations en fonction du niveau des gens. On pourrait se fixer une journée ou un soir pour peindre le mur en vert. J'aime bien l'idée et je suis certaine qu'on peut trouver des tringles pour accrocher un rideau pour le cacher. Un tissu fin ce sera suffisant et ça collera à l'ambiance de l'atelier. Pour le reste, s'il faut un coup de main pour déménager des choses, je suis là mais tout ce qui est mise en valeur par des dessins, des peintures, des sculptures ou autre, vaut mieux m'oublier. »

**Eireen qu'est-ce que tu fais ?** 
*Je vérifie juste un truc.*

En effet, tout en parlant et en se rapprochant sur le côté, la jeune fille avait tendu l'index vers le visage d'Ethan. Elle posa ce dernier, froid, sur sa joue et le fit doucement glisser avant de le ramener vers elle, le frottant avec son pouce.

« C'est dommage... »

Reconnaissant la texture comme étant celle du fond de teint, elle se félicita mentalement de ses dons d'observatrice ou peut-être devait-elle s'inquiéter de ce perfectionnisme qui l'avait fait tiquer en regardant la photo du beau modèle.

**Il est donc blessé ?**
*Il faut croire.*
**Humpf, je te le répète, méfies-toi !**
*Tu ne sais pas ce qu'il s'est passé ! Et tu sais que je ne supporte pas les gens qui jugent sans savoir alors je vais pas faire ça de mon côté non plus !*

Inspirant profondément, Eireen tenta de garder le contrôle sur son humeur. Il fallait croire qu'elle et Hestia avait décidé de s'agacer mutuellement aujourd'hui. Elle continua pourtant, comme si de rien était, toujours aussi impassible.

« Sinon pour les câbles, si on utilise un système de crochets ils seront facilement retirables. On pourrait juste mettre les anneaux, comme ça si un jour on veut suspendre des trucs le système sera déjà en place. Oh et, si possible, ce serait bien de ne pas trop assombrir la pièce ou du moins ce coin-là. Ce serait dommage de perdre la lumière naturelle, ça permet des effets comme sur la photo sans avoir obligatoirement besoin de la repasser par un logiciel de retraitement.»

**Mes avis que tu as tiré sur une corde sensible...**

La déesse avait raison et Eireen ne s'était pas attendue à une telle réaction de la part de l'étudiant. Ç’aurait pu être un geste qui serait passé sans conséquence comme avant avec le bisou sur la joue, sauf que ce qu'il y avait derrière, les raisons ou autres de la présence de cet hématome, étaient complètement différentes et avaient bien plus d'impact sur la psyché du garçon.  Eireen avait agit avant de réfléchir et cela risquait de la mettre dans une position fâcheuse.

Elle aurait compris qu'il se fâche et l'envoie balader de suite en lui disant que ce n'était pas ses oignons car après tout, s'il dissimulait ces marques ce n'était pas pour rien. Évitez les regards dégoulinant de faux jugements, évitez la flopée de questions des petits curieux voire les gloussements de ceux qui prenaient tout à la rigolade. Les possibilités étaient nombreuses et Eireen venait de mettre les pieds en plein dans le plat sans vraiment le vouloir. Elle n'aurait pas dû dire « C'est dommage » pour le simple fait que cela aurait évité à Ethan de mal l’interpréter et de se mettre dans cet état.

C'était comme si un gros nuage gris était venu assombrir l'atelier du club d'arts visuels. La jeune fille n'aurait su dire s'il était agacé directement contre elle ou parce-qu'elle avait été capable de discerner ce « défaut » qui n'en était pas un à ses yeux ou s'il l'était contre lui-même. Peut-être un mélange des trois, allez savoir, en tout cas une chose était certaine, elle était la seule et unique fautive. Si elle avait bien un trait de caractère positif, c'était sa prise de responsabilité. Alors quand il se fut nettoyé le visage et qu'il se retourna après, elle ne chercha pas à fuir son regard. Il se voulait décontracté et blasé, pourtant  il se dégageait de lui une telle rancœur qu'on pouvait facilement comprendre que tout pouvait déraper au moindre mot ou geste jugé mal placé.

Fait étonnant en vue de l'ambiance devenue presqu'électrique, Eireen laissa planer un silence, ses yeux toujours rivés sur lui. D'un point de vue extérieur, ce n'était sans doute pas judicieux d'agir ainsi, pourtant la jeune fille ne pouvait faire autrement. Elle n'était pas la pour juger comme elle l'avait fait comprendre à sa divinité plus tôt. Son regard ne s'était même pas porté sur ces ecchymoses de manière malplaisante. Oui elle les avait vu, et alors ? Devait-elle faire une remarque pour qu'il explose et se décharge de toute cette tension et cette rancune ? Ça lui ferait peut-être du bien mais était-ce la bonne solution ? Répondre comme si de rien était était-elle une tout aussi bonne solution ? Les pensées d'Eireen étaient lourdes de réflexions et ceci se manifestait par les petits tapotements qu'elle faisait du bout des doigts sur l'appareil photo qu'elle tenait toujours entre ses mains.

**Quand je te disais de te méfier. Il me semble très instable cet Adonis quand même !**
*On est forcément instable quand un sujet énerve et qu'on le montre extérieurement ? *
**Ce n'est pas ce que je voulais dire...**
*Alors quoi ?*
**Humpf, tu n'es pas en état de comprendre. Si j'essaye de t'expliquer tu va te braquer et nous allons continuer à nous quereller.**

« Cela dépend. Aujourd'hui elle est particulièrement agaçante. »

Le silence venait enfin d'être brisé ! Mais ce n'était que pour revenir en force. Eireen ne savait toujours pas quel était le meilleur comportement à adopter. Elle finit donc par soupirer, brisant le lien visuel et tourna les talons pour regagner l'autre bout de la pièce, là où se trouvait le reste du matériel pour les photographes du club.

« En photo tout dépend de l'utilisation qu'on veut faire du cliché mais d'une manière générale je suis d'accord. Trop de retouche tue la retouche. en plus d'enlaidir le modèle de base plutôt que de le mettre en valeur. Pour moi c'est ce qui compte le plus. Ces petits ajouts qu'on ne voit pas au premier regard mais qui font toute la différence. »

Ceci dit, elle sortit la carte mémoire de l'appareil photo et l'échangea avec celle d'un autre qu'elle venait d'attraper sur l'étagère. Un autre modèle. Elle posa l'ancien à sa place et pivota une nouvelle fois avant de lâcher de but en blanc.

« Je vais garder la photo. »

Franchement, elle n'allait pas virer un tel cliché. Il était loin d'être gâché et pouvait même servir de pièce-mère pour une série de photo basée sur le même thème, les mêmes teintes et luminosités. Justifications qu'elle se garda bien de donner. A contrario, elle se devait d'en donner une autre de justification.

« Je ne parlais pas de ta pommette quand je disais que c'était dommage. C'est juste que l'objectif de l'appareil que j'ai utilisé n'est pas vraiment adapté aux photos de contre jour, du coup tes yeux ressortent beaucoup moins et... C'est dommage... Parce-qu'ils sont vraiment beaux et expressifs. La pommette, c'était juste une supposition, je ne l'ai pas remarqué sur la photo en fait, les courbes du visages sont harmonieuses dessus pour moi. Mais quand tu m'as fait la bise avant, elle m'a parut plus gonflée que le souvenir que j'avais de la photo alors... Voilà... »

Tout en disant cela, elle était revenue sur ses pas et inclinant légèrement la tête sur le côté, elle ne put retenir sa question.

« Est-ce que ça te fait mal ? »

Eireen avait pris la responsabilité de son geste voire de ses paroles. Elle avait bien voulu comprendre qu'il se fâche contre cela mais est-qu'elle méritait de telles remarques prononcées aussi désagréablement ? Non. Il ne voulait pas la croire ? Et bien qu'il ne la croit pas, qu'est-ce que ça pouvait bien lui faire ? Son attitude commençait doucement mais sûrement à l'irriter. On aurait dit un gamin qui n'a pas obtenu ce qu'il voulait et qui se fait alors le plus mauvais possible. Quel caractère de m*rde franchement ! Elle voulait bien qu'il ne soit pas content mais le retourner contre elle comme ça, fallait pas pousser !

Les tapotements de ses doigts sur l'appareil photo avaient commencé à se faire plus forts, signe de contrariété chez elle. Elle s'était aussi légèrement crispée mais avec son maintien droit et son expression neutre, ça passait facilement inaperçu.

**Quand je te disais de te méfier...**
*Oh ça va !*
**Non mais tu vois bien comme il est propice à démarrer au quart de tour et au changement d'humeur ! Niveau caractère on a connu mieux ! Il compte rejeter tout ce qui lui est désagréable comme cela ? **

C'est cette dernière remarque d'Hestia qui fit tilter Eireen. En un sens, elle était un peu pareil non ? Elle commençait aussi à s’énerver de son attitude parce qu'elle lui était de  plus en plus désagréable. Elle aurait peut-être raison de réagir comme ça avec ce qu'il avait dit, mais le tort serait peut-être aussi de se laisser irriter aussi rapidement non ?

**Tes capacités de contrôle et de réflexion m'impressionnent mais parfois il serait bon que tu t'énerves tout de même... **

Mais cela ne rentrait pas dans son caractère si ? Ressentir cette émotion ne lui était pas inconnue, loin de là, elle pouvait même faire des ravages mais surtout chez la jeune fille qui avait mis un point d'honneur à ne pas donner satisfaction à ses interlocuteurs. Se fâcher c'était simple. Un coup de gueule et hop l'autre sait qu'il a touché une corde sensible et il peut alors l'utiliser contre vous. S'emporter pour se justifier quand quelqu'un vous agresse de la sorte ? A quoi bon, le partenaire de la joute n'en a absolument rien à faire de votre point de vue non ? Tout comme la tristesse, Eireen ne voulait pas donner ce point aux gens. Ils ne le méritaient pas. Ou elle ne le méritait pas. Elle ne savait plus...

En tout cas il semblait qu'Ethan était parvenu à se calmer. Par un raisonnement similaire ou bien différent, la rouquine ne pouvait décemment pas le dire. C'était bête mais juste voir cet effort de sa part pour retrouver son calme avait été suffisant pour qu'Eireen se relâche à son tour. Il n'était peut-être pas aussi décontracté et paisible qu'avant mais c'était assez pour l'apaiser elle, sans qu'elle ne put se fournir d'explication. Comme si, en fait, le voir en colère ne lui correspondait pas et qu'elle s'offusquait contre ce phénomène préférant alors qu'il regagne de son enthousiasme et de sa spontanéité. Pff, c'était stupide ! Il fallait l'admettre. Elle ne le connaissais pas alors d'où pouvait-elle arriver à une telle conclusion ? Cogiter dans ce genre de situation ne lui réussissait pas.

Elle ne parvint toutefois pas à lui répondre de vive voix quand il s'excusa de son ton et le fit en hochant faiblement la tête en signe de compréhension. Comme ça, ça lui évitait aussi de s'excuser d'avoir abordé ce sujet. Sujet qu'Ethan dévia avec brio sur un autre mais non moins frustrant dépendamment de la situation de chacun.

« Hestia... »

La nommée ne tenait vraiment pas à ce qu'elle fournisse son identité à l'étudiant mais Eireen était passée outre en chuchotant le nom de la déesse alors qu'elle laissait cette dernière râler dans son esprit. Elle se reprit vite pourtant mais se permit tout de même un nouveau silence pour aller s'installer sur une table, déposant l'appareil photo à côté d'elle. Elle en avait marre d'être debout.

« Elle n'a pas un mauvais fond. Elle est même gentille mais elle a une propension à se prendre pour ma mère qui m'agace assez parfois. Enfin pas que je puisse comparer avec du vécu vu que j'ai jamais eu de mère mais ça colle bien à ce qu'on voit dans les films ou les séries. »

La jeune fille avait dit ça sur un ton détaché, haussant les épaules sur sa dernière phrase. Après tout c'était vrai. Elle ne pouvait décemment pas dire que les bonnes sœurs avaient été des exemples de mères. Des tutrices oui. Mères, non, aucune d'elle ne l'avait été, ça n'a jamais été leur boulot. En tout cas cette absence de présence maternelle ne semblait pas la perturber outre mesure.

« La tienne semble avoir un caractère plus trempé. »

Supposition après avoir pu l'observer depuis avant.

« Mais tu as un caractère fort alors ça ne doit pas être trop étonnant que vous vous chamailliez. »

Encore une fois, ce n'était peut-être pas le bonne chose à dire. Cependant il n'y avait aucun reproche ou de moquerie dans le ton d'Eireen, comme dit, il ne s'agissait que d'une conclusion par rapport à ce à quoi elle avait été témoin.

« Vous ne devez pas vous ennuyer l'un avec l'autre si c'est le cas. »

Mains posées sur le rebord de la table, les jambes se balançant inconsciemment dans le vide, Eireen écoutait Ethan avec une attention particulière, non palpable. On pourrait presque dire qu'elle avait un petit air ingénu. Presque. Elle préférait nettement le voir avec son attitude décontractée. Il était redevenu amusant avec ses airs de beau gosse et sa gestuelle. Le visage de l'ignorance ? A d'autres ! Du moins pour un certain domaine de connaissances. Pour la mythologie peut-être que oui il...

**Oh, oh...**
*Qu'est-ce qu'il y a ?*
**Déesse de l'amour, caractère difficile, vengeresse et possessive... A moins qu'elles soient toutes comme cela, ça sent...**

« Mais en fait, j’mentirais si j’d’sait qu’j’la détestais…Aphrodite… »
**Aphrodite.**

Il fut plus compliqué de se concentrer pour Eireen après que cette confirmation, tant elle n'avait pas laisser Hestia de marbre.

**Bon ne cherche plus. Nous savons maintenant pourquoi je me méfie autant.**
*Tu ne t'entends pas avec Aphrodite ?*
**C'est... Compliqué.**
*Ah oui, ton histoire de rester vierge  et tout ça.*
**Attention ! Ce n'est pas que je ne l'apprécie pas mais...**
*C'est compliqué.*
**Voilà. On en discutera plus tard tu veux bien ? En tout cas soit rassurée, avec moi ses manigances ne fonctionneront pas.**

Mine de rien, entendre parler de manigances et tout ça, ça ne rassurait pas forcément la jeune fille mais au moins avec ce point final sur le sujet « Aphrodite » entres elles, elle pouvait se concentrer sur Ethan. Elle avait tiqué quand il avait dit que ça le changeait d'être toujours tout seul et ça l'étonna. Avec sa personnalité et tout ça, elle ne l'imaginait plus entouré de gens. bon il n'était pas typé enfant de chœur, c'est vrai, mais quand même. Peu importe les relations, il a dû en avoir non ? Ah... Il parlait famille en fait. Elle se voyait dans cette phrase en tout cas, comme le fait que la possession avait été ce qu'il y a de plus proche d'une adoption correcte. Quoique pour elle, c'était plus une adoption tout court.

Alors qu'il se redressé, Eireen pensait déjà qu'elle aurait préféré qu'il ne change pas de sujet. Avec la description qu'il avait faite d'Aphrodite, la déesse ne l'utilisait-elle pas pour ses propres plaisirs ? Ça ne semblait pas le dérangeait lui mais ce n'était pas un peu malsain comme cohabitation ? Ne risquaient-ils pas de se tirer mutuellement vers le fond ? De finir par plus se haïr que s'apprécier ? C'était peut-être de là que venait la dualité haine/amour. Aphrodite devait être bien placée pour discuter sur ce sujet et Eireen garda cette possibilité de conversation dans un coin de sa tête si jamais elle avait l'opportunité de poser cette question un jour. Malheureusement pour elle, elle devait d'abord clôturer un autre sujet.

« Pas de mère et pas de famille d’accueil non. »

Même si elle avait de la réticence à parler de sa situation familiale, elle n'avait pas été sèche dans sa manière de parler. Pas d'hésitation ni de gêne non plus. On aurait tendance à croire qu'il ne pouvait rien avoir de plus poussé comme attitude lorsqu'on est neutre. Eireen montrait en ce moment même que c'était faux. Elle n'était pas simplement neutre sur le sujet, il émanait d'elle un magnifique « rien ». Elle répondait à la manière des robots, en anticipant les futures questions. On pourrait presque dire que c'est une chance que les voix humaines dénotent d'une certaine chaleur, auquel cas la jeune fille aurait véritablement jeter un froid dans la pièce.

« Je viens directement de l'orphelinat de Leabgarrow. C'est un orphelinat qui est tenu par des nonnes. Non, je ne crois pas en Dieu.  Non on ne m'en a jamais sortie donc oui, j'ai passé toute ma vie là-bas. Non, ce n'était pas trop dur. Un toit, à manger, pas de maltraitance, je n'ai pas à me plaindre. N'est-ce pas ?»

Enfin du mouvement ! Elle venait de tourner la tête vers Ethan en posant sa question. Ses yeux avaient beau s'être fixés sur lui, elle ne semblait pourtant pas le regarder, comme quand on fixe un point d'un air pensif. Évidement qu'elle n'avait pas à se plaindre. Entre ça et tomber dans une mauvaise famille et se faire traiter lamentablement, il n'y avait pas photo non ?

« Bref... C'est derrière. Ça ne doit pas nous empêcher d'avancer non ? »

Ceci dit, elle releva son regard pour le plonger dans le sien, se sortant peu à peu de cette barrière qu'elle se forgeait pour avoir la force de paraître comme si tout cela ne l'impactait pas du tout. Sa dernière phrase s'adressait plutôt à elle même, comme une devise qu'elle se répétait pour se détacher encore plus de son enfance. Elle n'aurait pas donner autant d'informations si cela avait été quelqu'un d'autre qui lui aurait posé la question. Ethan ayant sous entendu qu'il partageait ce titre « d'orphelin », elle se montrait moins avare sur ce plan là avec lui, comme un échange d'expériences vécues dans un même domaine. Elle finit par soupirer.

« On a beau se dire ça, ça reste difficile hein ? »

Peut-être la seule fois où une pointe de tristesse passa à travers son regard. Elle ne savait pas comment Ethan gérait tout ça de son côté, peut-être le lui dira-t-il, peut-être l'enverra-t-il balader, ce n'était pas grave. Ce qui était grave, c'était qu'on leur demandait de gérer une situation dont même les adultes n'avaient aucune envie de faire face et qu'on leur demandait de prendre ça bien et ça, ils y parvenaient tous à un niveau différent.

Il y avait une sorte d'équilibre entre les deux jeunes gens alors qu'ils entamaient un sujet dont le sentier n'était pas aussi praticable qu'on pouvait le croire, même pour eux. Il y avait des pièges, des obstacles qui le parsemaient, certains plus grossiers que d'autres. Et puis il y avait ceux qui étaient impossible à éviter. Ceux-là étaient souvent les pires parce qu'ils ne pouvaient pas être abordés dans l'indifférence, à moins de vouloir mettre en rogne l'interlocuteur et ce n'était pas dans les intentions d'Eireen, du moins, pas de son plein gré. Si elle n'avait ni le tact ni la diplomatie de faire passer la pilule comme il ce devait, ça c'était un autre problème et à ce moment là, encore une fois, elle ne s'étonnerait pas d'une réaction plus vive.

Et elle s'en voulut quand même que la conversation ait dévié sur ce sujet, ne serait-ce que pour éviter de voir cette même expression de neutralité teintée de tristesse et accompagné de ce faux timbre de voix typique de quand on veut persuader de quelque chose alors qu'on ne l'était pas soit-même. Cette même expression qu'elle avait abordé juste avant et qu'il afficha en miroir en répétant quasiment les même mots. Ca pinçait, c'est vraiment pas agréable, elle ne voulait pas voir ça.

Elle aurait bien aimé adhérer à ce qu'il dit pas la suite, qu'elle avait le droit de se plaindre mais le pouvait-elle vraiment ? Franchement par rapport à la situation qu'il laissait deviner pour son cas, avait-elle vraiment le droit de se plaindre, elle pour qui tout était allé « à merveille » à  l'orphelinat ? Pouvait-elle se plaindre vis à vis de cet « Ali » avec qui neuf familles avaient joué au ping-pong ? Pouvait-elle...

**Attends...**
*Tu penses à qui je pense ?*
** « Ali », pas particulièrement bien bâti, regard doux, cheveux fins, uniforme scolaire...**
*Pas de doute oui, c'est bien lui.*
**C'EST UN SCANDALE !**
*Non, c'est juste dégueulasse !*

Voilà le gros problème du système des orphelinats. Neuf familles. NEUF PU*AIN DE FAMILLES ! Comment pouvait-on faire ça à un enfant ? Comment Alistair faisait-il pour être aussi doux et gentil après s'être fait autant balader ? Tout à coup se fut trop. De la colère en apprenant ça et de la tristesse en se visualisant le garçon dans toute sa douceur naturelle.

« J'ai besoin d'un peu d'air, je vais aller ouvrir une fenêtre. »

Eireen bouillonnait de l'intérieur et était d'un calme plat à l'extérieur. Ses sourcils s'étaient bien haussés de surprise mais tout cet amas de sentiments, elle le contint avec brio le temps de descendre de la table, y laissant l'appareil photo et de tourner le dos à Ethan pour aller ouvrir une des fenêtres. Ses traits se tirèrent alors et elle se mordit l'intérieur de la joue pour éviter de respirer et soupirer trop fortement comme quand on est sous le coup d'une grande émotion. Forcément la fenêtre de son choix fut la plus éloignée possible, au pire, elle dirait que c'était pour ne pas trop être dans le courant d'air qu'elle avait ouverte cette fenêtre-ci et pas une plus proche. Rien n'était précipité, tout était encore bien mesuré et retenu. Le soupir fut finalement poussé quand la dite fenêtre fut ouverte. Il fut long mais toujours bien retenu pour être le moins audible possible.

Il faisait froid dehors mais bon, c'était ça où exploser en face d'Ethan. La deuxième option n'étant absolument pas envisageable pour elle, elle pouvait bien envoyer son côté frileux paître le temps qu'elle se calme. Elle croisa les bras et s'appuya de côté contre le mur, le dos toujours tourné, faisant mine d'observer l'extérieur le temps de reprendre assez d'air. Se faire balader de famille en famille, tomber sur un environnement malsain ou n'être jamais choisit et laissé pour compte. Quelle situation était la pire ? Pouvait-on leur donner un ordre de malus ? Physiquement oui, la situation d'Ethan semblait la plus difficile à vivre mais au final ils étaient tous les trois arrivés dans la même situation. Celle qui les voyait détester cette vie et vouloir s'en extirper à tout prix. Celle qui les faisait faussement dire que tout allait bien, que ça avait forgé leur caractère. En un sens oui, mais en avait-ils réellement besoin ? Au final il avait raison, le système était pourri mais pouvaient-ils vraiment s'y opposer ? Faire changer les choses ? Même si ce n'était qu'à leur échelle, le jeu valait le coup pour Eireen. Est-ce qu'elle ira gueuler ? Sans doute pas mais il y avait d'autres moyens, elle se renseignerait.

« Entre se faire trimbaler dans neuf familles et ne jamais en rejoindre une, j'avoue que je ne sais pas ce que j'aurais préféré. Aucune sans doute... » Puis, marmonné pour elle-même avec irritation : « Et ce cr*tin qui reste d'une gentillesse à toute épreuve... »

Elle décroisa alors les bras et commença à jouer avec le coin de la fenêtre, le tirant et pianotant des doigts dessus.

« C'est vrai qu'on ne peut pas se défaire de ce passé -ce serait stupide de vouloir le faire- et c'est vrai que tout le monde ne peut pas être placé mais ce n'est pas plutôt ça le problème ? Que nous soyons trop nombreux ? Je ne parle pas des cas extrêmes comme la mort des deux parents et je ne sais pas ce que c'est d'être parent mais... Ceux qui laissent leur enfant finir dans un orphelinat ou une maison de jeunesse sont quand même de belles enflures ! »

Terminant son occupation avec le coin de la fenêtre, elle ferma cette dernière, frissonnant. Il faisait vraiment trop froid dehors ! Elle ne se retourna pourtant pas de suite.

« Je ne retournerai pas à l'orphelinat non plus quand je serais majeure. »

Elle avait finit par détestait l'endroit. Elle n'en pouvait plus de cette chambre qui l'attendait pour chacun de ses retours pour les congés scolaires de longue période. Elle ne voulait pas y retourner cet été... Avec de la chance elle pourrait trouver un petit boulot dans le coin et rester. Là aussi il allait falloir qu'elle se renseigne. Cette pensée sur son futur proche insinua lentement un changement dans son humeur, elle temporisait petit à petit et se disant que ce serait peut-être une bonne chose pour Ethan, elle se lança sur un autre sujet.

« Est-ce que tu as déjà une idée de ce que tu veux faire comme travail ? Tes croquis sont vraiment bons, tu penses rester dans l'art ? »

-Clic-

Oh non, il n'avait pas fait ça...

**Si, si, il l'a fait.**

Humpf, autant Eireen appréciait prendre des photos, autant elle préférait ne pas faire partie de ceux qui se trouvaient de l'autre côté de l'objectif. M'enfin, elle l'avait pris en photo sans qu'il ne le sache avant, il venait de faire pareil, soit, ils étaient maintenant ex-eaquo. Elle retint un soupire et se tourna enfin à nouveau vers lui, notant qu'il avait retiré ses chaussures. C'est qu'il prenait son rôle de paparazzi au sérieux ! Cette pensée l'amusa mais son visage resta de marbre, là à le fixer lui, qui partageait son expérience et son point de vue comme si tout ça ne l'affectait plus ou pas du tout. Sans doute avait-il réussit à s'extirper de tout cela comme il l'avait dit mais pour en arriver là, quel prix avait-il payé ? Fallait-il que cela se fasse via ces bleues et autres marques qui s'exposaient sur son visage ? Pour lui la souffrance physique semblait être cette compagne qui s'accrochait et qui refaisait surface pour lui rappeler ces zones d'ombre de sa vie. Ou peut-être était-ce une manière qu'il avait pour lui-même, se disant peut-être qu'il méritait ces coups et qu'une vie plus tranquille et simple ne pouvait plus s'appliquer dans cas ?

**Ou il aime juste la bagarre.**
*Ou il aime juste la bagarre...*

Ni Hestia, ni Eireen ne voulait entièrement se convaincre de cette possibilité. Ce n'était pas un choix qui semblait simplement plus décevant que les autres mais elles étaient toutes deux convaincues que la personne qu'était Ethan, avait plus de profondeur que ça. La première ne l'avouera pas tout de suite, trop préoccupée que son attitude ne déteigne sur celle qu'elle possédait. La deuxième n'était pas assez courageuse pour faire un rentre dedans en bonne et due forme pour obtenir ne serait-ce qu'un semblant de confirmation. S'ils continuaient à discuter de ces choses là alors tout viendrait avec le temps.

**Il n'empêche qu'il pourrait surveiller son langage !**
*Je ne parlerais pas en bons termes non plus si ma mère m'avait fait le même coup.*
**Je faisais plutôt une généralité. Sa génitrice mérite ce terme bien qu'il soit  vexant pour la race canine. son acte est aussi stupide qu'ignoble !**
*Plutôt l'ignorance à la médisance, je suis d'accord.*
**Fais toutefois attention. Ta maîtrise de toi est admirable mais à trop retenir ta colère de la sorte tu risques d'exploser. Sans mauvais jeu de mot.**

Hestia avait raison. Elle avait toujours raison, mais Eireen n'était pas résolue à laisser libre cours à son dégoût et à sa rancœur. Ethan  n'avait sans doute pas besoin que quelqu'un s'énerve pour lui. Dans le cas contraire, elle ne pouvait se permettre d'être cette personne.

« Je serais majeure en fin d'année. »

Disant cela, elle se décolla enfin du rebord de la fenêtre et se rapprocha d'Ethan.

« Je suis née sous X et on ne m'a jamais dit en face qu'on ne voulait pas de moi. Les gens repartaient juste avec un autre enfant après leurs visites. »

Elle s'était exprimée avec le même détachement dont il avait fait preuve lui-même juste avant. L'ignorance de ses origines ne lui pesait pas, elle ne cachait pas qu'elle était curieuse d'avoir des renseignements sur ses géniteurs mais elle ne ressentait aucun besoin de la savoir. L'enchaînement de faux-espoirs d'adoption que lui avaient fait vivre les couples à l'orphelinat par contre, l'avait profondément blessée, au point d'avoir forgé le comportement qu'elle abordait maintenant. Contrairement à ses origines, elle avait toujours eu ce besoin de connaître ce qu'était la vie de famille. Bonne ou mauvaise expérience, elle s'en fichait bien, elle aurait juste aimé pouvoir avoir cette opportunité d'appeler deux personnes « papa » et « maman ». Les rencontres s'étaient pourtant toutes bien déroulées, voire même très bien pour certaines. Cela n'avait pas été suffisant au final. Tant pis.

Une fois proche d'Ethan, elle tendit la bras pour récupérer l'appareil photo, lui reprenant des mains avec délicatesse et s'intéressa alors à la photo qu'il avait prise d'elle. Faisant cela, elle haussa un sourcil et pencha la tête sur le côté.

« Bon sculpteur et peintre mais pas bon photographe. »

Ce n'était pas une critique énoncée juste comme ça pour être non constructive et simplement se focaliser sur ce fait. Le ton platonique avec lequel Eireen l'avait émise aurait pu faire croire que oui mais il y eut une variation dans le timbre de sa voix qui laissait le questionnement se poser. Était-ce de la taquinerie ?

« Le modèle n'aide en rien, il faut l'avouer. »

Oui c'était bien de la taquinerie ! La jeune fille poursuivit avec plus de sérieux mais sans rentrer dans le pompeux et l'agaçant d'une personne qui pointe tout ce qui avait été mal fait.

« L'angle est pas mal, mais ce n'est pas le bon mode pour ce genre de prise de vue en fait, celui-ci corrige trop la saturation et dans un cas comme le contre-jour les couleurs sont faussées comme ici et le grain ressort grossièrement. » Elle fit quelques manipulations et reprit : « Il aurait fallut utiliser cette fonction-ci, plus appropriée à ce type de luminosité et aux portraits. »

Elle se pencha alors un peu plus vers lui tout en tendant le bras et le clic caractéristique de la prise de cliché retentit une nouvelle fois dans la pièce. Ni une ni deux, elle replia le bras pour voir le résultat.

« Couleurs plus ternes mais plus naturelles, grain moins apparent. »

*Et on a de belles têtes de vainqueurs...*
**Je crois que sourire améliore ce genre de choses.**
*Chut.*

Sans plus d'attentes, elle éteignit l'appareil photo et le reposa sur la table la plus proche d'eux.

« Je pourrais voir tes croquis sur ton idée de bar-galerie d'art ? C'est un sacré projet. »

Et elle était curieuse de voir ce qu'il avait en tête pour ce genre de structures. En temps normal elle n'aurait pas fait une telle demande, ne voulant pas paraître trop curieuse ou s'empêchant elle-même de trop s'intéresser à la personne. La différence était qu'ici elle se laissait entraîner par l'engouement dont faisait preuve Ethan en parlant de ses projets et, avec ces quelques similitudes qu'ils partageaient, elle était prête à baisser un tant soit peu sa garde, sans qu'elle puisse se donner une explication claire vis à vis d'un tel sentiment.

« J'y ai réfléchit pendant un bon moment; je vais continuer dans la photographie. Je n'ai pas encore de choix définit pour la spécialisation mais j'ai encore le temps pour ça. C'est pour ça que cet été j'aimerais bien travailler chez un photographe histoire de vraiment voir ce que c'est et de m'améliorer. »

Comme avant, elle se hissa sur la table et le fixa un moment avant de reprendre avec un très grand sérieux.

« Tu n'es pas un chien, tu es un loup et les loups ne se dressent pas. »

Bah oui, selon elle l'attirance qu'avait l'être humain pour les animaux sauvages ne lui donnait pas le droit de le forcer à changer ce qu'il était en le domptant. Une animal sauvage intrigue et séduit justement parce qu'il est sauvage, lui faire perdre ce caractère intrinsèque ne provoquait qu'un délaissement. L'entente existait et elle pouvait même être forte mais dans ce cas là, elle n'était jamais faite au détriment du respect de la liberté des deux partis. Et oui, elle trouvait la comparaison tout à fait potable avec Ethan.

« Sinon... Au sujet d'Alistair. » Elle hésita un instant puis se ravisa : « Hum, non laisse. Je lui poserai la question moi-même. »

Elle ne savait pas quels liens ils entretenaient et si elle gaffait et qu'elle entamait un sujet avec Alistair alors qu'elle n'était pas sensée savoir c'était Ethan qui risquait d'être dans une mauvaise posture. Elle préférait éviter ce genre de chose pour le moment.

**Susceptible en prime.**
*Hum ?*
**Tu as clairement touché une corde sensible en disant qu’il n’était pas bon photographe.**
*Ah. Oui j’ai remarqué. Sa petite moue était drôle.*
**Si tu le dis. M’enfin… C’est à croire qu’Aphrodite s’est choisie son pendant masculin !**
*C’est une mauvaise chose ?*
**Du tout. S’il s’en prend à toi, je sais exactement quoi dire pour faire réagir Aphrodite. Ses humeurs le brideront vite.**
*Vous ne vous entendez pas alors, au final.*
**Si. Non. Enfin…**
*C’est compliqué.* - **C’est compliqué.**

Le caractère d’Hestia était loin de celui de ces déesses irascibles et vengeresses mais cela ne l’empêchait pas d’être tout aussi bornée que ces dernières alors elles devaient bien se crêper le chignon de temps en temps. Alors ce devait être pour ça qu’elle disait que c’était compliqué. En tout cas, Eireen ne l’imaginait pas du tout au centre d’une dispute majeure mais elle n’était pas du genre non plus à fuir le conflit comme elle-même le faisait alors… Ouai, ces histoires de Déesses, c’était compliqué…

Autant laisser le sujet de côté pour le moment et se focaliser sur un autre. Eireen s’était attendue à ce qu’il la reprenne à propos de la photo mais pas de la sorte. L’air outré qu’il prit l’amusa à nouveau, sans parler de son imitation d’elle. Non mais !
Elle aurait pu lâcher un « les imitations sont à revoir aussi. » pour continuer dans ses taquineries. Elle aurait aussi pu rire, ne serait-ce que légèrement, parce que oui, elle avait un minimum d’auto dérision pour trouver ça drôle. Même son manque de modestie !
Mais… Non. Le seul élément perturbateur qui vient dérider son visage, ou plutôt, faire apparaître quelques-unes de ces rides, fut un haussement de sourcil lorsqu’il remontra la photo et enchaina ses pensées à voix haute. Alors là… Elle devait avouer qu’elle avait été prise de court. Les yeux rivés sur l’image et même si cela ne s’affichait que légèrement, elle était pantoise.

*Wow…*
**Tu sais, quitte à réagir aux compliments, j’aurais préféré que ce ne soit pas venant de ce genre de garçon. **
*Non mais… Tu crois que c’est un pouvoir d’Aphrodite ?*
**Être beau parleur ? Ce serait plutôt Apollon bien que…**
*Mais non ! Il arrive à te voir !*
**…Que le vocab… Hein ?**

Hestia devait admettre qu’elle ne savait pas quoi dire sur le coup.

*Eh bien oui ! «La finesse de ses traits et son calme olympien lui procure un certain charisme qui n’est pas donné à tout le monde…Une beauté céleste, pure… »*
** « …Qui laisse croire qu’elle n’est pas possédée, mais qu’elle est, elle-même la déité. ». Il parle de toi ma petite colombe.**

Puis vint le contact visuel et la suite des compliments. Zut. Il parlait effectivement d’elle… Ni une ni deux, le voile de surprise qui s’était posé sur son visage plus tôt disparu et la voilà à nouveau de marbre alors qu’Hestia éclatait d’un rire cristallin qui ne manqua pas d’entamer l’humeur de la jeune fille. Pourtant la déesse ne se moquait pas d’elle mais imaginait les réactions de ceux et celles qui s’essaieraient à l’exercice de la faire flancher.

Un « Ah. » déçu traversa les lèvres de la lycéenne dans un souffle. Oui bon elle avait de jolis yeux et alors ? Sa mémoire sélective avait déjà fait son travail et mis de côté ces paroles alors qu’elle écoutait la suite qui ne sembla ne lui faire ni chaud ni froid. Pas même lorsqu’il replaça une mèche de cheveux qui passait devant ses yeux. Hestia préconisait la méfiance à de telles approches, Eireen s’en fichait bien parce qu’elle savait qu’elles ne sous entendaient rien vis-à-vis d’elle.

Oui elle ne souriait pas beaucoup, elle le savait, on lui avait déjà assez dit aussi. Mais elle n’y arrivait plus. Pas pour ça, pas pour ce genre de situation, même s’il lui semblait honnête. Le sourire ne l’avait jamais aidé alors autant lui ficher la paix. Qu’est-ce qu’ils l’écœuraient tous ces gens qui souriaient pour un tout et pour un rien mais les pires surtout, étaient ceux qui l’utilisaient pour cacher leur peine et leur douleur. Quelle belle bande de menteurs et de faux-culs ceux-là ! Eireen comprenait la nécessité du mensonge mais celui proféré avec le sourire, sous couvert d’amoindrir son impact elle n’en pouvait plus. Son action était même toute contraire désormais, cela la blessait plus qu’autre chose.

Là n’était pas le sujet, encore une fois et elle fut mentalement reconnaissante à Ethan de poursuivre sur ses questionnements plutôt que de continuer sur le physique et le sourire. Elle ne pouvait qu’adhérer à son avis vis-à-vis de l’orphelinat sinon. Surtout après ses dernières pensées. A nouveau elle ne sut dans un premier temps si elle l’avait énervé ou non avec ce qu’elle venait de dire. Qu’importe, elle le pensait vraiment et assumerait s’il le fallait. Puis il y eut ce sourire qui se voulut timide et qui fit pencher la tête d’Eireen sur le côté comme si elle voulait mieux le voir pour confirmer son nouveau questionnement. Il était gêné ?

**Il s’est détourné et laisse sa réaction dans le flou. Tu peux prendre cela comme un signe évident de gêne oui.**
*Certaine ?*
**Oh crois-moi, des grands gaillards gênés j’en ai vu dans ma vie et ils ont tous ce même code.**
*C’est…*
**Mignon ? Alistair est mignon, lui il est…**
*Compliqué.*
**Dis donc toi, tu ne te moquerais pas de moi par hasard ?**
*Qui sait ?*

La jeune fille avait répondu mentalement à son hôte, amusée de pouvoir titiller la déesse sur ce sujet même si elle était sérieuse pour le cas d’Ethan. Ce n’était pas comme avec Alistair. Ce qui était normal, il s’agit de deux personnes complètement différentes. Malgré cela, il y avait des similitudes et pas seulement dans leurs passés. Ou peut-être était-ce cela ! Parce-qu’ils avaient ce point commun qu’était l’orphelinat, il y avait comme une étape qui sautait dans le processus de faire connaissance, comme s’ils pouvaient prendre un raccourcit et laisser moins de barrière entre eux alors que d’autres devaient gravir tout cela et non sans difficulté. Peut-être n’était-ce qu’elle qui pensait cela aussi et c’était mauvais signe si c’était le cas.

« Oh. Vous vous connaissez depuis longtemps ? »

Il lui semblait que la différence d’âge entre Ethan et Alistair était telle que cela ne pouvait pas vraiment être le cas. Sauf s’ils partageaient la même chambre depuis la rentrée. Information qu’elle n’avait pas et qui lui serait peut-être donnée à la suite. Malgré ce qu’il avait dit sur leur lien, elle hésita encore un moment à poser sa question. Sa curiosité fut pourtant vainqueur et elle reprit, appuyant ses mains sur la table, de chaque côté de ses cuisses :

« Est-ce qu’il espère toujours qu’un membre de sa famille le récupère ou est-ce qu’il espère « juste » avoir une famille ? »

La différence était très importante pour Eireen. Elle ne voyait aucun problème au deuxième cas car après tout, il ne dépendait que d'eux. Pas d’orphelinat ou de parents biologiques en vue. Juste eux et ce qu’ils voulaient faire de leur vie. Le premier cas par contre…

« Enfin… C’est sous-entendu qu’il y a un membre de sa famille qui existe et qui lui a dit qu’il le récupèrerait. Tu sais si c’est le cas ? »

Elle croisa alors ses jambes et s’accouda sur celle repliée sur l’autre.

« Si je peux me permettre, de quelle origine es-tu ? Tu as un accent que je ne reconnais pas. Et tu as parlé de ceux qui se faisaient rebaptiser, c’est ce qu’ils ont fait avec toi ? »

**Tu poses beaucoup de questions.**
*Je suis la première surprise, crois-moi.*
**Oh je le sais bien. Ce n’est pas plus mal.**
*Tu dis ça pour celles qui concernent Alistair surtout !*
**Évidemment. Ton bel Adonis est encore loin de ma confiance…**

Bien entendu… Eireen n’en attendait pas moins de la déesse et en temps normal il n’y avait rien de plus à attendre d’elle. Si les gens voulaient parler d’eux, leur passé, leur famille, d’accord, aucun problème, mais elle ne posait jamais de question. Jamais !

**Sauf là.**

Complètement à côté de la plaque, Eireen avait failli répondre que non, elle n’avait pas senti de vent froid. Heureusement que ses synapses étaient au taquet, elles, pour lui faire comprendre qu’il parlait de son manque de réaction. Bon et la seconde remarque qu’il lui fit à la suite mais c’était mieux pour l’estime personnelle d’attribuer la compréhension aux synapses hein.
C’est tout ? Oui. Elle devait accepter les compliments ? Oui bon, elle aurait peut-être dû dire merci au moins mais cela aurait tellement sonné faux de sa bouche. Alors quitte à faire celle qui n’est pas touchée, autant le faire bien au lieu de balancer un merci hypocrite. Elle ne connaissait pas sa valeur ? Quelle valeur ? Celle d’être jolie ? C’est vrai que ça en aidait pas mal et que la plupart savait jouer de cet atout physique pour améliorer leur condition de vie. Etant sans doute l’exception qui confirme la règle, le fait qu’elle soit jolie ou mignonne n’avait jamais ramené quelque chose à Eireen, alors oui, au final elle a fini par s’en ficher de cette « valeur ».

Heureusement que le sujet ne s’éternisait pas là-dessus. C’est pourtant encore un peu agacée par ces pensées qu’elle avait écouté Ethan poursuivre sur le cas d’Alistair. C’est sans doute à cause de cet état d’esprit qu’elle ne put garder sa neutralité en apprenant que la mère de ce dernier lui avait promis de revenir le chercher à ses treize ans et qu’elle n’avait toujours pas montré signe de vie alors qu’il en avait désormais quinze. Comment pouvait-elle lui faire ça ?! Quand comprendront-ils que les enfants ne sont pas de simples jouets dont ils pouvaient disposés quand bon leur semblait ?! Les yeux d’Eireen s’assombrirent et brillèrent autant d’injustice que de colère. Elle ne connaissait pas cette femme et ne chercha même pas à lui trouver des excuses, elle ne le pouvait pas. Le faux espoir était quelque chose qu’elle connaissait tellement bien qu’il était quasiment ancré en elle. Il était encore pire que le rejet direct, beaucoup plus destructeur aussi. Alors non, elle ne ferait pas l’effort de contenir sa haine envers ce genre de personnes. Même Hestia qui parvenait plus facilement à relativiser qu’elle, avait du mal à retenir sa colère. C’est que d’une certaine manière, on s’attaquait à son bout de chou !

« Pfeuh ! »

Il devait y avoir une suite à ce « pfeuh » mais les mots restèrent coincés dans la gorge de la jeune fille. C’est que d’un côté elle aimerait bien dire ce qu’elle pensait, n’ayant aucun problème avec ce concept mais de l’autre c’était plutôt celui de se mettre en colère en présence de quelqu’un qu’elle redoutait plus. Un pic de rage ou un geste déplacé et pouf elle risquait de foutre le feu à quelque chose, manquait plus que ce soit à Ethan et elle aurait tout gagné ! Alors avec un gros effort de contrôle sur elle-même, aidée d’Hestia, Eireen parvint à tout retenir et à inspirer profondément, levant les yeux vers le plafond.

« Ils mériteraient de se faire abandonner eux aussi. »

Le ton qu’elle avait employé était bas et empli de cette rancœur que lui suscitaient ces gens. En général il ne prévoyait rien de bon venant d’elle par la suite mais en l’absence des coupables il ne faisait que reprendre cet adjectif qu’Ethan avait utilisé plus tôt. Froid. Ces personnes ne méritaient aucune chaleur, point on ne peut plus approuver par Hestia dont ils bafouaient ses principes et valeurs, tout ce qu’elle représentait en tant que déesse du foyer. Son courroux était moins connu que ceux de ses frères et sœurs de l’Olympe mais il n’en était pas moins dévastateur. Hestia ne faisait simplement pas dans le spectaculaire. Un nouveau long et fort soupir traversa les lèvres de la rouquine alors qu’elle repensait à Alistair. Elle ressentit alors une forte envie de chercher le garçon et de le prendre dans ses bras. Eireen était habituée maintenant aux envies subites d’Hestia et elle arrivait à y palier à merveille, aussi ne bougea-t-elle pas d’un pouce.

**Mais la prochaine fois qu’on le croise, je veux un câlin !**
*Il va rien comprendre, ça risque plus de le faire fuir.*
**Peu m’importe ! Tu trouveras une excuse.**
*Pourquoi c’est à moi de faire le sale boulot ?*
**Parce que pour une fois ton détachement et ton je m’en foutisme des autres est utile.**
*Je ne suis pas… Bon c’est vrai. On avisera alors.*

Elle avait rebaissé la tête et regardait désormais par terre, son regard se fixant sur le sol mais sans vraiment le voir.

« Il est trop gentil… » Elle releva alors la tête et reprit : « S’il attend toujours, il se prendra une sacrée claque, c’est clair. Mais si c’est construire une famille lui-même qu’il souhaite alors il saura prendre les devants pour y parvenir. Enfin, je lui souhaite. »

Elle le pensait vraiment. Il fallait dire qu’elle était dans le même cas, alors même si sa majorité était encore éloignée de plusieurs mois, elle avait déjà fait le repérage et avait déjà regroupé les documents qui lui seraient nécessaire pour s’approprier une situation stable mais surtout viable pour pouvoir y parvenir, car comme l’avait dit Ethan, en sortant de l’orphelinat, ils n’avaient strictement rien. D’ailleurs, c’était le moment de se reporter sur sa personne.

« C’est l’accent qui titille la curiosité. » Elle haussa les épaules : « Alors ça force à poser la question je suppose. »

Elle décroisa ses jambes et s’étira un peu.

« C’est peut-être parce qu’on t’a forcé à le faire que tu « n’es pas fait pour apprendre les langues ». Esprit de contradiction tout ça… Enfin… »

Enfin ce n’était pas à elle de dire ça ! C’est vrai quoi ! Elle le connaissait depuis quoi ? Une bonne grosse demie-heure ? Et pouf ça y est, elle se prenait pour une psy. Elle avait un problème là ! La suite de ce que dit Ethan n’arrangea pas vraiment la chose. Pire ! Un coin de sa bouche se releva, lui faisant afficher un léger sourire en coin et ni ses yeux ni son timbre de voix ne cachèrent son amusement sur le coup.

« On en revient au loup. »

Pas bon. Pasbonpasbonpasbon du tout ! Lien particulier parce qu’ils partageaient ce fragment de passé en commun ou non, elle n’avait pas à analyser les gens comme ça. Cela faisait vraiment longtemps qu’elle avait été aussi curieuse envers quelqu’un ou c’était bien la première fois qu’elle rencontrait quelqu’un et qu’elle n’avait pas ce sentiment qu’il était un parfait inconnu. Pourtant il l’était. C’était vraiment trop bizarre et ça commençait doucement mais sûrement à la troubler. Il fallait qu’elle change de sujet, qu’elle trouve n’importe quoi pour revenir à sa neutralité et son désintérêt normaux, comme si elle n’avait plus été elle-même durant ce très court laps de temps. En vérité, elle l’avait été bien plus qu’avant…
Alors bref, soit, n’importe quoi, vite !

« Je préfère les renards. »

Et voil… Quoi ? Retour à la normal réussit à moitié. Elle avait retrouvé sa placidité mais il était visible qu’elle boguait sur ce qu’elle venait de dire. Pour être n’importe quoi, c’était vraiment n’importe quoi ! Enfin, c’était vrai. Mais quand même, elle aurait pu dire autre chose ! Quelque chose de plus intelligent, qui aurait lancé un autre sujet qui ne concernait pas directement leur personne, un truc sur l’art par exemple ! Ouai, ça aurait été bien ça ! Mais non, «je préfère les renards ». Pour une de ces rares fois, Eireen avait envie de se dire « lol ».

« Tu me perturbe… »

Tellement qu’elle avait dû le dire à voix haute sans s’en rendre compte, toujours agacée contre elle-même de sa perte de contrôle. Elle se laissa glisser pour descendre de la table et attrapa l’appareil photo avant de retourner là où elle avait laissé son sac pour l’y ranger.

« Oh. Est-ce que tu as le registre des emprunts de matériel ? Il faudrait faire une version numérique. »

Retour à la normale, bingo !

Évidemment, il ne laissa pas passer sa tentative ratée de changer de sujet. Il n’avait rien laissé passer elle l’avait remarqué et si elle avait pu voir cela, c’était bien parce qu’elle aussi n’avait rien laissé passer. Le sourire coupable accompagné du léger rougissement par exemple. Ne le connaissant pas, elle ne savait pas si le fait de voir le rouge colorer ses joues était quelque chose de récurrent ou à l’inverse, plutôt rare. Il n’empêchait que c’était la deuxième fois depuis le début de leur conversation alors pour sa propre fierté, Eireen opta pour l’option de la rareté. Pourquoi accorder de l’importance à ce genre de chose ? Tout simplement parce que comme ça, ils étaient ex æquo. Il la déstabilisait en la faisant se sentir à l’aise, comme à l’orphelinat avec les plus jeunes et lui faisait baisser sa garde, du coup elle ferait pareil mais en le faisant rougir. Et voilà, question réglée !

**Rappelle-moi qu’il va falloir que nous retravaillions la notion d’être à l’aise avec quelqu’un. **
*Euh… Me semble que je sais ce que c’est que d’être à l’aise. *
**Mes excuses, je me suis mal exprimée. C’est surtout avec qui tu peux être à l’aise qu’il va falloir que nous revoyions. **
*Tu as vraiment du mal avec lui ! *
**C’est instinctif. Et puis je te rappelle qu’il est possédé par Aphrodite, cette raison à elle seule suffit à ce que tu te méfies de lui et à ce que tu restes à distance. **
*Hum… *
**Je te demande d’au moins considérer mon avertissement. **

Ce n’était pas qu’Eireen ne voulait pas prendre cet avertissement au sérieux mais elle se représentait mal ce « danger » que pouvait représenter Ethan et qui semblait tant travailler Hestia. Il n’empêchait que l’inquiétude de la déesse sur ce sujet lui faisait penser à un simili d’anxiété maternelle et elle devait avouer qu’elle aimait bien ça. Savoir que quelqu’un s’inquiète pour elle et que pour une fois on ne l’avait pas choisi pour la laisser tomber par la suite. Encore que ça elle ne le savait pas vraiment…

**Pour qui me prends-tu ?**
*Pour Hestia, déesse grecque du feu et du foyer qui n’a qu’une seule parole mais qui sait être invasive quand elle le souhaite. *
**Mauvaise nouvelle, je ne cesserai jamais de l’être. **
*Parole de déesse grecque ? *
**Parole d’Hestia même ! **

Une douce chaleur se diffusa dans le corps de la jeune fille, la manière qu’avait Hestia de lui faire un câlin.  Eireen devait admettre qu’elle n’avait pas à se plaindre de sa condition. Restait à espérer que tout cela continue de cette manière. Enfin bref, fermons la parenthèse.
En attendant ledit registre, la rouquine avait suivi Ethan du regard puis fit de même avec le cahier qui servait de registre lorsque ce dernier effectua une jolie courbe dans les airs quand le bel Adonis le lança sur la table la plus proche d’elle. Monsieur ne semblait pas très enjoué par cet aspect de sa fonction de président qu’était la gestion du club. Elle se retint de se proposer pour s’occuper de mettre le registre à jour s’il le souhaitait. Autant elle ne doutait pas de son ambition et de son engouement pour le club, autant elle ne souhaitait pas finir comme larbin d’un président qui se ficherait bien du côté administratif, pourtant important pour le bon maintien dudit club. En gros, il était en période d’essai. S’il faisait un effort alors peut-être l’aiderait-elle plus s’il le fallait.

Entre temps, elle se rapprocha de la table avec ses affaires, se plaçant face à lui et saisit délicatement le crayon qu’il lui tendait, chuchotant un merci. Elle vérifia la concordance des dernières dates notées sur la page où elle devait signer et remplit tranquillement les informations à fournir. Nom, prénom, classe, objet emprunté, rien de bien compliqué en soi. Elle avait bien pris son temps, histoire de garder la tête bien baissée pour cacher un éventuel rehaussement du coin de sa lèvre alors qu’il pouffait de rire en posant la question. Évidemment qu’il ne la lâcherait pas sur le sujet. Il ne le pouvait pas hein ? Oh, elle le comprenait bien, elle serait revenue à la charge aussi si les rôles avaient dû être inversés. Dans un premier temps, elle comptait répondre avec un simple « C’est comme ça » accompagné d’un haussement d’épaule. Mais là, avec sa seconde question, elle ne pouvait pas se contenter de cela !

Eireen releva alors la tête et planta son regard dans le sien, son expression on ne peut plus sérieuse alors qu’Ethan arborait l’amusement de son côté. Un contraste aussi fort que les couleurs respectives de leurs prunelles. Elle resta ainsi un moment, comme si elle cherchait une réponse adéquate qu’il ne risquait pas de mal prendre alors que sa réponse était déjà toute prête dans sa tête.

**Dis donc toi… **
*Avoue que c’est quand même un super beau violet ! *
**Je te renvoie à notre sujet d’avant. **
*Ok, ok ! De toute manière va falloir que j’y aille, j’ai cours. *

Un premier signe de la rouquine qui la vit se pincer les lèvres.

« Au risque de te vexer alors. Ils sont plus malins et surtout beaucoup, beaucoup plus mignons. »

Elle posa le stylo sur le cahier avant de se redresser complètement pour passer la bandoulière de son sac sur l’une de ses épaules et de faire le pas nécessaire pour se placer à la hauteur d’Ethan.

« Il faut que j’y aille. Tiens-moi au courant pour le mur. Bonne soirée ! »

Et la porte de l’atelier se referma en faisant disparaître la crinière rousse et sa propriétaire qui se fit la réflexion qu’il allait quand même falloir qu’elle fasse un gros travaille sur elle-même avant de repasser du temps avec Ethan comme ça, parce que franchement, elle n’avait pas été loin de rentrer dans son jeu. Encore qu’elle l’eût quand même fait un minimum, elle devait avouer qu’elle l’avait un peu cherché avec sa réponse sur les renards, toute aussi amusée que lui sur le sujet. Mais bon, cela restait pour elle alors, tout allait bien.

À ma grande surprise, elle releva sa tête et planta son r’gard dans l’mien. J’le soutins avec plaisir. Un peu trop à l’avis d’ma déesse, mais bon…il lui en fallait peu pour réagir.

*Erm….Qu’est-ce que tu fais…*

*J’me noie.*, lui répondis-je, ce sourire d’amusement en coin toujours sur mes lèvres qui s’ramollissaient légèrement pour s’effacer graduellement au fur et à m’sure que j’my perdait. Mon commentaire était évidemment un rappel aux compliments qu’j’avais fait à la d’moiselle quelques minutes plus tôt et qui, je l’savait, était idéale pour taquiner ma déesse.

*Elle a un d’ses r’gards…J’le veux dans mon port-folio! Éventuellement…Ouais j’vais avoir son autorisation éventuellement!*

*D’puis quand tu la d’mande?*

*Bonne question…*

Pourtant j’sentais qu’s’tait primordiale si j’voulais garder d’bons contacts avec elle. Si j’voulais travailler avec sur des projets et tout ça j’aurais pas l’choix d’lui montrer un peu d’respect. Elle m’en inspirait en fait et j’comprenait pas pourquoi. La brève idée qu’elle m’rappelait les bonnes soeurs par lesquels ont avait été él’vé m’passa brièv’ment en tête, mais j’chassai l’idée rapid’ment. Nah!!!! Tellement plus sympa! …mais les valeurs? Sans doute….

« Au risque de te vexer alors. Ils sont plus malins et surtout beaucoup, beaucoup plus mignons. » m’répondit-elle finalement, avant de déposer son stylo sur le registre.

Sur l’coup, j’eu sans doute une mine un peu incertaine et légèrement dépité. En fait, j’me d’mandais si j’devais l’être. J’aurais en effet pu m’sentir atteint par s’commentaire…Ça m’vexait un peu, mais…plus malin hein? S’tait matière à réflexion…Plus mignon? Sa réponse m’faisait réfléchir clairement plus qu’j’aurais pensée pour une question aussi débile, voulu amusante et idéalement déstabilisante pour elle….S’qui fut un échec en fait….Pour la première fois d’puis l’début d’notre conversation j’voyais l’importance d’tourner sept fois la langue dans ma bouche avant d’parler. J’dosais mes paroles. Un étrange mélange d’amertume et d’contentement m’avais submerger et j’savais pas trop quoi en faire…S’tait possible d’ressentir les deux? J’luttais intérieur’ment avec mon b’soin d’reconnaissance d’mon potentiel et mon « jem’enfoutisme » profond de s’que les gens pouvais bien penser d’ma perfection/imperfection.

*Tiens tiens, elle n’est pas la seule à être perturber…Mais si ça peut te rassurer mon coeur tu as une beauté sauvage! C’est bien mieux que d’être « mignon ». Alistair est mignon. Tu vois ce dont je parles? Enfin, si ELLE ne le voit pas c’est son problème. Moi, je le vois!*

*Eh bien…s’pas d’moi qu’on parlait non? On parlais des loups et des r’nards.*

Occuper à réfléchir très rapid’ment à un sens de ses paroles qui m’plaisait mieux, j’avais porté peu d’importance aux dires et compliments d’Aphrodite qui s’voulaient rassurants. J’fut tirer d’ma petite bulle, à ma grande déception, par Eireen que j’vis placer son sac en bandoulière, signe que notre conversation achevait surement. J’avais tirer grand plaisir à discuter avec la rouquine et j’espérait la revoir au club et s’impliquer dans les projets de ce dernier et surtout…mes projets de déco. J’me risquai à une dernière réponse rapide après un bref silence de ma part.

« Plus malin et plus mignon hein?….Un peu comme toi au fond. », glissais-je finalement en récupérant mon sourire, ayant trouver comment m’sortir de s’malaise au plus vite.

*Ah oui, retourner ça vers elle…C’est étrangement malin de ta part justement. Belle échappatoire!*

Entre temps Eireen avait fait un pas pour arriver à ma hauteur avant d’me faire part d’ses intentions d’quitter. Ah ouais, j’savais qu’sa viendrait. Je tentai tant bien qu’mal d’cacher mon désappoint’ment.

« Il faut que j’y aille. Tiens-moi au courant pour le mur. Bonne soirée ! »

« …Mais certain’ment! Bonne soirée! En espérant te r’voir souvent à l’atelier!»

À peine lui avais-je fait mes adieux qu’elle quittait d’jà les lieux. J’en gardais une humeur plutôt joyeuse au bout du compte. J’en avais même oublier mes bleus pendant un moment. S’fut le large sourire qu’j’avais étirer au final qui m’les rappela.

« Isshh… »

J’posai ma main sur ma tuméfaction avant d’me diriger vers le mini miroir au d’ssu de l’évier. Il fallait bien recorriger tout ça pour le restant d’la journée si j’voulais pas m’faire jauger par tout l’monde. Cette fois, l’illusion s’rait parfaite!