Numa entra dans sa chambre et se changea aussitôt. Elle n’aimait pas beaucoup porter l’uniforme. Même si porter des jupes n’était pas une torture, à choisir, la jeune étudiante préférait ses jeans. Numa mit un débardeur blanc et posa un serre-tête pour dégager sa mèche. Elle se tressa les cheveux et les attacha avec son ruban. L’œil droit de la jeune femme était si rarement peu obstrué par sa chevelure d’ébène que ça lui faisait étrange de voir entièrement et parfaitement ce qu’il y avait autour d’elle. Numa s’assit sur son lit, un livre en main.
Il faisait chaud dans sa chambre, pour une raison inconnue. La pièce était lumineuse et depuis le temps que Numa y vivait, elle avait l’odeur de cette dernière. Une singulière odeur de Lys. La jeune femme aimait bien allumer des bougies aux odeurs de fleurs, particulièrement ceux aux odeurs de lys. Depuis, cette odeur avait imprégné sa chambre, ses vêtements et même son être.

*Numa, tu n’as toujours pas ouvert le colis de ton père.*

La demoiselle arrêta de lire et regarda en face d’elle. Elle avait posé l’énorme paquet sur son bureau de dessin. Il était énorme. Elle ne savait ce qu’il y avait dedans, et elle voulait le savoir dans le fond. Mais elle était si triste et déçue de son père qu’elle préférait ignorer ce cadeau.

*Numa, tu sais que je partage tes souvenirs et comprend tes sentiments. Mais ce n’est pas une raison pour le rejeté et être aussi triste.*

Numa ne répondit pas à sa divinité et se replongea dans sa lecture. L’esprit du chien en était bien peiné. Ils avaient commencé à bien s’entendre, elle commençait à lui adresser la parole, à l’écouter, à le prendre en considération, et même l’apprécier. Mais maintenant elle faisait comme à leur premier jour, elle ne lui répondait pas, elle ne le considérait pas, elle faisait comme s’il n’existait pas.

*Ce n’est pas ma faute ce qui t’arrive. Parle-moi, s’il te plait.*

Mais pas un mot. Pas un son. Ni même une pensée. Numa se contentait de lire son roman dans sa tête pour ne prêter aucune attention à sa divinité. Elle ne pouvait pas sentir toute la peine qu’avait le chien à cet instant. Lui qui commençait à s’attacher fortement à son hôte. Il préféra se taire et laisser la française, seule, avec son livre.
Numa ne voulait pas blesser son compagnon, mais lorsqu’elle avait de la peine, elle se renfermait sur elle-même, devenant glaciale et silencieuse, même envers elle-même.

Lorsque celle-ci n’entendit plus les couinements de sa divinité, elle baissa son livre, et se rendit à son bureau où se trouvaient son colis, et une lettre. Elle l’avait lu mille et une fois, sans comprendre. Sans admettre.
Numa prit de ses doigts aux couleurs de lunes la lettre et la relue, encore.


Ma chérie,

J’espère que tu vas bien, pardonne moi de ne pas t’avoir écrit plus tôt. Je suis actuellement à Hong-Kong. J’ai fais un petit saut en France pour rendre visite à ta tante. Aénos à bien grandit, il est au lycée maintenant. Bastien est rentrée au collège quand à lui. Ma sœur m’a demandé de tes nouvelles. Je leur ai dis que tu étais dans un prestigieux pensionnat et que tout allait bien pour toi. Je leur ai donné l’adresse pour qu’ils t’écrivent.
Mais malheureusement je dois repartir à New-York et je ne sais pas si je pourrais te prendre lorsque tu seras en vacances d’hiver. Je t’ai envoyé un petit cadeau pour me faire pardonner. Et je t’appellerais pour te tenir au courant.






Incompréhensible. Il avait promis. Il avait promis qu’en l’envoyant ici il serait là pour elle. Il était toujours ainsi. Lui offrir des cadeaux pour compenser son absence. Comme si Numa avait besoin de cadeau ! Elle n’en voulait pas ! Elle voulait son père !
La jeune fille poussa violement le colis de son bureau, qui alla rencontrer le sol un peu plus loin. Elle tira sa chaise fermement et se mit à dessiner de manière frénétique sur son cahier. Ses coups de crayons étaient agressifs, violents. Elle ne savait pas ce qu’elle dessinait, ni même si cela ressemblait à quelque chose, elle avait juste besoin d’évacuer, et elle ne savait pas comment.

*Numa, calme toi.*
*Ce n’est vraiment pas le moment !*
*Numa, je comprends ce que tu récents. Je le vois, je lis en toi comme dans un livre ouvert. Tu as le droit de pleurer, tu sais. Tu n’es pas obligée d’être toujours forte. Tu es humaine.*

A cet instant, Numa remarqua que ses ongles étaient devenus des griffes. Elle lâcha son crayon et porta doucement ses mains à ses oreilles, qui étaient devenus des oreilles de loups. Elle sentait également ses crocs et sa queue.

Numa se leva pour se rendre devant son miroir à pieds. Elle n’avait même pas senti qu’elle s’était transformée tant elle était colère. La française posa sa main sur la glace. Ça faisait des mois qu’elle n’avait pas vu son œil habituellement caché.
Ainsi à découvert, son visage prit une triste mine. Ça faisait également des mois qu’il n’avait pas bougé, comme figé, dénué de toute émotion.
Cette vision toucha l’esprit du chien. Tant parce qu’il ressentait toute la peine de son hôte que parce qu’il appréciait la jeune femme, et voir que la seule expression qu’elle pouvait avoir était celui de la tristesse.

*Moi je ne t’abandonnerais jamais, Numa !*

L’esprit du chien prit possession de la main de la jeune femme et la posa sur son œil bleu. Ainsi, avec son œil droit et sa forme hybride, Numa ne se reconnaissait pas. Pourtant c’était bien elle. Enfin … elle et l’esprit du chien.

*Jamais. Que tu le veuilles ou non nous sommes liés. Et je t’aiderais à trouver ce que tu cherches, ici, ou ailleurs. Je te le promet.*

Le visage de la jeune femme reprit un air neutre et elle acquiesça. Son bras retomba le long de son corps. Ses oreilles commencèrent à redevenir humaine, ses griffes disparurent, sa queue et ses crocs également. Numa retira son serre-tête et sa longue mèche retomba sur son visage d’une blancheur énigmatique. Elle tira sur son ruban et secoua la tête pour que sa tresse se défasse.
La jeune fille se regarda un moment. Se reconnaissant finalement.

*J’aimerais bien voir ton beau sourire un jour. Pour te vrai, pas dans ton esprit.*

Sans répondre, Numa se tourna vers son colis et le déballa. C’était un très beau manteau d’hiver, bleu nuit avec de la fourrure sur la capuche. L’intérieur avait une matière très douce et légèrement brillant, comme du velours. Il lui arrivait aux genoux et était d’une grande douceur et d’un grand confort. Les poches étaient assez grandes pour y mettre son calepin et des crayons. Merveilleux.
Numa le porta à ses narines, humant une bonne odeur de chaleur. Il avait l’odeur d’un vieux livre, une odeur agréable.

*Tu n’oublieras pas de remercier ton père.*

Elle n’oubliait jamais ce genre de chose. Et le confirma à son camarade qui était impatient de voir son hôte dans son nouveau vêtement.
Le manteau était épais, donnant un peu plus de carrure à la jeune française. Les belles jambes de cette dernière paraissaient tellement fines d’un seul coup. Mais se trouvant apprêter pour sortir, elle enfila ses bottes, noua son ruban et quitta sa chambre, allant vite apprécier la couleur de l’automne au dehors.