De bien des façons, Katarina Griffin est une adolescente comme les autres, mais à la personnalité singulière et plutôt clichée.

 Si vous demandiez à quelqu'un de l'ancien collège ou avait étudié à quoi ressemble sa personnalité, l'on vous répondait simplement de l'éviter et de ne pas traîner avec elle. Vous entendez dire que dans le genre peste malicieuse, il n'y a pas pire qu'elle dans le domaine et que sa langue de vipère est apable de tout pour parvenir à ses fins.  D'autres en revanche, l'apprécient beaucoup et vous conseilleront d'aller lui parler, de ne pas avoir peur de se lier d'amitié avec elle car elle est une personne très sympathique et un tantinet maladroite qui méritait d'être bien entourée et d'avoir de l’affection.

 Aussi étrange que cela puisse paraître, Katarina est très sensible aux regards des autres. Chose normale, lorsque la source même de son amour propre provient des autres, il est plutôt dur de faire fi des remarques qu'on l'on peut bien entendre sur elle. En revanche, si elle les entend et n'y est pas insensible, elle les laisse glisser sur elle comme de la pluie. Ses émotions, elle ne les libérait que lorsqu'elle était seule, et libre de se défouler, en pratiquant du sport, la plupart du temps.

 « Elle n'a pas de personnalité. Quelle garce ! Elle veut juste que les gens la regardent. »

 Sa mère lui avait dit de ne pas y prêter attention car il y aurait toujours des jaloux pour la blesser, par jalousie ou non. Alors c'est ce qu'elle faisait, elle passait outre et continuait d'avancer. Chose dommage, car si elle écoutait un peu plus les autres, peut-être aurait-t-elle pu changer un peu... à présent que sa personnalité était formée et quasiment adulte, y avait-t-il vraiment un moyen de changer pour elle ?

 Changer, ce n'était pas quelque chose qu'elle désirait, même encore aujourd'hui. De la même façon, pour elle, ses défauts n'en étaient pas. Les autres devaient changer, pas Katarina.

Il est très difficile pour une fille habituée au confort, de devoir s'habituer à une vie qui ne convenait plus à son mode de vie... pourtant, la vie n'a rien d'un film : ses parents étaient retraités et préféraient les quartiers résidentiels calmes aux soirées mondaines, elle, elle appartenait au monde de la haute société. Même si parents lui avaient inculqués les valeurs du respect et avaient veillé à ne pas céder à tous ses caprices, leurs efforts n'avaient pas payés et leur enfant adorée avait développé une personnalité aussi vide que parfaitement dérangeante.

 D'une certaine façon, Katarina se laisse toujours emporter par le flot frivole de ses émotions, là ou elles voulaient bien l'emmener. Dès qu'une chose ne va pas dans son sens, plus rien ne va pour elle. Son hypersensibilité et son côté agaçant, voire trop hardi est l'une des premières raisons qui font que beaucoup ne l'apprécient pas.

 Ah, qui leur en voudrait ? Les personnes insupportables cherchaient toujours à se faire détester, c'était mérité, surtout pour une vipère comme Katarina.

 Ce petit défaut là pouvait être parfois une qualité, pour elle qui aimait plus la nature que les humains.

La sensibilité aux autres et à la psychologie humaine, c'est une qualité qu'elle possède, mais qu'elle utilise à mauvais escient. En quelque sorte, il s'agit une façon ingénieuse de se protéger de la pollution mentale des autres.

 En revanche, la jeune femme est très loin de se vanter ouvertement devant tout le monde de ce qu'elle avait possédé comme richesses autrefois. Profondément manipulatrice et sournoise, elle sait exactement quoi dire et quoi faire pour attirer le regard des gens sur elle et se lier d'amitié avec les autres, quoi qu'elle ne fut pas sincère le moins du monde. Jouer le rôle de la fille banale et maladroite, ça, elle savait parfaitement le faire, oui.

 Malgré ses airs de diva, Katarina est loin d'être une idiote de premier rang comme on peut en voir des tas dans les films d'adolescents clichés. Elle est intelligente, et elle le sait. Son intellect ne se mesure pas simplement à ce qu'elle sait et à sa culture générale, mais à la façon d'utiliser ses connaissances pour obtenir ce qu'elle veut, de façon honnête, ou par la triche.

 La chose la plus flagrante et notable chez Katarina est sa façon de s'exprimer est d'être. Elle parlera toujours avec le sourire, de façon très naturelle et détachée qui sait mettre à l'aise l'interlocuteur auquel elle s'adresse. Elle ne laisse jamais planer le doute, quoi qu'elle dise ou qu'elle fasse : chaque chose qu'elle fait est fait de façon assurée, pour prouver sa supériorité et sa domination.

 Le pouvoir des mots est très important pour faire passer une idéologie, un message. C'est ce qu'on fait les dictateurs les plus connus de l'Histoire, et par là, je parle de l'histoire avec sa grande hache. Katarina détient ce pouvoir depuis qu'elle a appris l'art de la conversation et comment bien jouer la comédie : pour cela, les cours de théâtre lui ont été très utile. Elle sait comment influencer les gens, les faire flancher. En revanche, si ses tentatives de corruptions ne fussent pas toujours très efficaces, cette tête de mule refuse d'abandonner, quelle que soit la difficulté de la situation à laquelle elle fait face. Abandonner n'est pas dans son vocabulaire.

 Chose assez absurde pour le souligner ; malgré son côté "princesse", l'étudiante est très garçon manqué et ne porte pas tant d'attention que ça à son apparence. Son côté casse-cou est certainement, pour bien des personnes, la facette la plus sincère de sa personnalité.

 En parlant de son apparence...

 Katarina est petite, pour son âge. A dix-huit ans, elle ne mesure que un mètre soixante pour cinquante kilos. Ce n'est pour autant qu'elle n'est pas bien en chair. Elle possède un peu de gras, au niveau du ventre, par exemple.

 Ses genoux noueux et ses jambes fines comme des aiguilles ne la rendent menaçante pour personne. Elle perdrait automatiquement lors d'un combat de force, aussi douée soit-t-elle dans les matières sportives nécessitant de se dépenser et de se donner au maximum. Son grand avantage est sa souplesse féline lui donnant de l'avantage pour se montrer plus endurante et apte à jouer de son corps comme elle le désire, au théâtre, par exemple.

 Cette apparence de petite fille ne lui donnent pas son âge et lui donnent les traits d'une enfant de quinze ans, chose dont évidemment, elle a plutôt honte. Elle qui cherchait constamment à se grandir, voilà que c'était les autres qui la rendaient plus petite qu'elle ne l'est déjà.

 Son visage, lui, est triangulaire, décoré d'un petit nez aquilin rond et fin. Ses yeux de biche, eux, étaient grands et d'une sorte de ver azur très profonds, décorés de contours noirs naturels. Ceux-là, disait-t-elle, elle les tenait de sa grand-mère paternelle. C'était la partie de son corps dont elle est la plus fière, la seule chose qui la grandissaient un peu aux yeux des autres. Derrière ces opales bleutées, l'on ne peut pas y percevoir grand chose ; sinon beaucoup de malice.

Ses petites lèvres, fines et délicates - lorsqu'elles ne s'ouvraient pas pour dire des sarcasmes - sont ourlées d'un joli rose pâle, se fondant à merveille avec son teint blanc.

 Ses cheveux, longs et lisses, et s'arrêtant un peu en dessous de ses omoplates, n'étaient évidemment pas réellement bleus. D'origine, ils sont d'un brun très foncé, presque noir. Lorsqu'elle ne les lisse pas, ils ondulent beaucoup et restent rétifs à ses efforts pour être un minimum corrects et bien en place. Si elle les a teints, c'était avant tout pour se donner une nouvelle allure. Après tout, il était normal pour les jeunes personnes de s'offrir une nouvelle apparence et se sentir mieux dans sa peau.

 Au contraire, son apparence vestimentaire, elle, est des plus banales. Elle se limitait à porter des chemises à carreaux, des shorts ou des jupes, et des baskets confortables, parfois des robes. Tout ce qui était simpliste lui plaisait, car elle avait l'art de savoir mettre les vêtements sobres en valeur à l'aide  de bijoux et différents artifices. Enfin, elle n'a ni tatouage ni piercings, ci ce n'est quelques boucles d'oreilles et bracelets qu'elle porte ci-et-là pour convenir à sa tenue.

 Encore aurait fallait-t-il fallu qu'elle ait plus de goût pour habiller sa personnalité que son propre corps...

 La première chose qu'il fallait savoir sur Katarina était qu'elle avait eu la chance de  naître cadette dans une famille nombreuse, mais aisée dans la société. En effet, sa mère étant gérante d'une entreprise de tissus de vêtements, celle-ci assista dès son plus jeune âge à la réussite sociale en faisant la rencontre de personnalités importantes lors de soirées mondaines.

 Madame Griffin avait fait la majeure partie de son éducation. Elle lui avait appris à comment se tenir en société, que les bonnes manières et les études étaient des piliers dont il ne fallait surtout pas se détacher. Évidemment, elle lui avait aussi offert de l'affection, mais une sorte d'amour étrange ambiguë relevant plus de l'amitié profonde que l'amour maternel authentique.

 La mère de Katarina était un personnage bien atypique, mais qui avait réussi dans la vie. Elle avait su s'élever grâce aux autres, se faire connaître à l'aide de bon soutiens moraux et financiers mais surtout grâce aux traîtres qui avaient nourri la détermination de la maîtresse de famille pour s'élever toujours plus haut dans les rangs sociaux des personnes dites « riches ».

 Cela avait toujours suffi à Katarina qui comblait ce manque de présence maternelle grâce à l'affection de son père qui la couvrait toujours de cadeaux plus beaux les uns que les autres chaque fois qu'il recevait sa paye. Monsieur Griffin, lui, était un banal employé de bureau, mais il était très efficace et attaché à sa famille.  Il s'était toujours accommodé à sa femme et lui était profondément soumis, tant et si bien qu'il avait fini par oublier sa propre personnalité.

 ─ Tu n'apprendras pas grand chose en te contentant simplement d'avoir des bonnes notes. Les résultats corrects, c'est très bien ! Et je suis fière de toi, sache-le, dit Madame Griffin.

 ─ Mais alors, qu'est-ce que je dois faire de plus ? demanda Katarina.

 ─ Tu dois apprendre plus ce que tu apprends à l'école, comme l'art de la conversation. Si tu tiens tant que ça à ce que les gens te regardent, tu dois savoir te mettre en valeur. Jouer l'enfant gâtée ne t'apportera que des problèmes, c'est pour ça que ce garçon t'as frappé tout à l'heure. Les gens n'aiment pas qu'on se vante de ce que l'on possède, et je pense que tu as largement mérité ce qu'il t'est arrivé, poursuivit sa mère en s'asseyant au bord du lit, juste à côté de sa fille.

  Katarina, qui avait le visage gonflé à cause du coup qu'elle s'était pris précédemment par son camarade de classe, releva la tête pour observer sa génitrice avec un air coupable.

─ Alors a quoi ça sert de réussir si on ne peut même pas le dire aux autres ?

─ Il ne faut pas le dire, tout simplement ! Lorsque toi même tu sens que tu as réussi à accomplir ce que tu cherches à accomplir, et que tu es heureuse avec toi-même, tu verras que tu n'auras même pas besoin de le dire aux autres. Le contentement de soi, c'est quelque chose de très important, expliqua sa mère avec un sourire maternel.

 Katarina suivit les conseils avisés de sa mère, et étudia autant qu'elle le pouvait. Elle ne se limitait pas à ce qu'elle apprenait, mais à ce qu'elle entendait et ce à quoi la société s'intéressait de façon actuelle. Elle développa son langage, et les cours de théâtre auxquels l'inscrirent sa mère lui permirent de parfaire son élocution. Elle fit des efforts considérable en sciences, développant avec le temps, une attirance particulière pour les attraits de la médecine et ce qui touchait à la santé.

 Si les notes n'avaient pas réussi à être parfaites partout et qu'elle avait de nombreuses lacunes, surtout en mathématiques et en technologie, elle avait acquis au moins les bases et de quoi s'en tirer avec une bonne moyenne. Cela était suffisant pour Madame Griffin, qui était consciente des efforts qu'elle fournissait pour parvenir à son objectif. Elle était toujours derrière, à l'encourager, à la forger, à lui insuffler quel chemin choisir et comment elle devait être.

 La perfection n'existe pas, certes, mais il y avait toujours des moyens de s'en rapprocher, ou donner l'air de l'être.

 Si les études ne faisaient pas tout, la vie sociale de la jeune femme étaient à son image : vide. Quoi que, si elle avait des connaissances, elle ne les amenaient jamais chez elle. Elle était toujours seule, et se plaisait beaucoup plus à lire et à se faire des amis sur internet qu'à chercher le dialogue avec quelqu'un.

 Parfois, il lui était arrivé de faire des sorties entre “filles” avec quelques connaissances de sa classe avec qui elle s'entendait bien, mais à part jouer la peste et parler de sujets intéressants, il n'y avait rien ni personne qui ne puisse l'attirer, autant au niveau de ses goûts que de façon intellectuelle. Elle n'était pas plus intelligente qu'une autre, au contraire. C'était uniquement elle qui pensait l'être, et qui se montrait bien trop sélective avec son entourage.

 De ce fait, elle s'entendait beaucoup mieux avec les personnes plus âgées, celle qui avaient de l'expérience et quelque chose à dire.

 Fort heureusement, dans ce tableau, il y avait une petite lumière, toujours présente pour lui, avec ces manières ambivalentes et délicates, encourageantes : son ami Lucas Hamilton.

 Le garçon était son opposé, pourtant, elle trouvait en lui son idéal. Lucas ne ressemblait en rien au reste des autres personnes qu'elle avait pu rencontrer jusque-là, d'aussi loin que Katarina ne s'en souvienne. Il était intelligent et cultivé, et solitaire tout autant qu'elle. Ils se rencontrèrent déjà enfants lors d'une cérémonie privée, à l'âge approximatif de douze ou treize ans. En présence de son ami, elle était bien plus douce et attentive qu'elle ne l'était avec les autres, et elle refusait de le blesser lui plus qu'une autre personne. Tâche très ardue, pour une fille au caractère aussi mauvais qu'elle.

 Le lien se créa de façon quasi-immédiate et ils devinrent inséparables. Leurs parents succombèrent face à leur charme et s'imaginaient déjà sur le ton de la plaisanterie qu'ils finiraient vite ensembles, une fois plus grands. Cela aurait pu être le cas, mais non.

 Katarina avait développé une amitié tellement forte qu'elle refusait d'en nourrir des sentiments amoureux, surtout qu'une sorte de barrière l'empêchait d'aimer et d'être attirée par qui que ce soit. C'était une chose qui ne l'avait jamais attirée, et aujourd'hui encore, elle persistait à se concentrer plus dans ses cours et ses coups bas que de courir après les sentiments.

 De façon prévisible, l'histoire ne se termina pas sur cette note positive.

 Ils grandirent, et un jour, ses parents lui annoncèrent la nouvelle : ils devaient déménager.
 Ensuite, les choses s’enchaînèrent très rapidement.

  Ses parents se séparaient car ils n'étaient plus d'accord sur la façon de diriger leur couple. C'était du moins ce qui avait été dit, de façon "officieuse." Cet événement là ne toucha pas personnellement Katarina, qui était plutôt contente d'enfin mettre fin à la nuisance constante des disputes conjugales de ses deux parents. Tant qu'elle voyait de temps à autre le reste de sa famille et son père lors des weekends ou des vacances, cela lui convenait parfaitement de vivre seule avec sa mère.

 Ce qu'elle vécut un peu moins bien, c'est d'être séparée de son ami. Sans lui, elle ne se voyait pas affronter ce nouvel établissement, son nouveau quartier... et surtout, un changement total de mode de vie. Sa mère gagnait beaucoup moins depuis qu'elle avait vendu une partie des droits de son entreprise à une autre femme d'affaire de confiance. Madame Griffin se faisait vieille et se considérait assez expérimentée pour se permettre de vivre de sa retraite en toute oisiveté.

 Maintenant, elle  quittait son quartier aisé pour vivre dans un petit quartier résidentiel bien proche de la campagne, et à presque une heure de la ville.  Au tout début, elle avait tenu le coup en écrivant des lettres à Lucas et en se replongeant dans les études, puis bientôt, elle finit par arrêter d'écrire, peut-être par lassitude. A quoi bon essayer de s'échapper par l'écriture si cela ne lui permettait pas de se sentir mieux dans sa peau ?

 Les études la rattrapèrent, maintenant qu'elle entrait en seconde. Malgré elle, et sans le réaliser, elle s'habitue petit à petit à un quotidien normal et calme, poursuivant toujours son but ambitieux un jour de devenir médecin, et se faire un nom.

 La sécurité du métier et sa passion pour les sciences l'avaient poussé à choisir cette voie, quoique très compliquée. Heureusement, elle tint bon. Elle avait toujours été préparée au stress des études, et éduquée pour ça. Elle rêvait de la réussite, et elle en avait conclu qu'elle ne pourrait pas y arriver si elle ne s'aidait pas elle-même à le faire.

 Elle réussit à devenir populaire dans une petite bande “d'amis”, à se détacher un peu des autres et à oppresser les plus faibles. Cela continua une bonne partie de sa scolarité, avant que, du jour au lendemain, sa mère ne l'envoie au pensionnat Immortalia pour poursuivre des études plus “cadrées” et “sérieuses”, disait-t-elle.

 « Je ne veux que ton bien, ma chérie. » Et c'était vrai, mais pour Katarina, c'était encore se séparer de ce qu'elle avait tenté de reconstruire pour partir dans un monde totalement inconnu... et Katarina avait horreur de la nouveauté et de l'inconnu, surtout présentée de façon aussi brutale et soudaine.

 La vipère accepta, à contrecœur. Si sa mère le disait, alors pour elle, c'était que c'était la meilleure chose à faire.

   Finalement, elle finit par s'adapter à cette nouvelle vie dans ce nouvel établissement, une nouvelle fois coupée de tout. A son grand étonnement, cet établissement lui plut bien plus que l'ancien, et elle y prit plus ou moins vite ses marques. Les cours étaient plus assidus et intéressants, et surtout, à son goût. Les élèves aussi semblaient bien se fier à sa faux visage d'étudiante timide, ce qui l'arrangeait beaucoup. Avoir un faux semblant de relations humaines était essentiel pour elle, même si rien ne l'intéressait plus que son objectif.

Ce qu'elle n'avait pas malgré tout pas prévu... c'était une nouvelle présence qui allait certainement lui faire réaliser que pour une fois, elle  était devenue un être très spécial, ceux qui n'ont plus rien d'humain, sinon, l'apparence. Quelque chose qui s'éloignait de toutes les frontières du réel, et de l'imaginaire de Katrina.

 

 Le monde des rêves est une sorte d'univers particulier où la frontière de l'impossible s'effondre pour laisser place aux plus fous d'entre nous, aux prestidigitateurs, les vrais, ceux qui savent rendre le monde plus beau en l’habitant d'un peu de fantaisie qui ne plaisait pas à tous.

 C'est là que la conscience, malicieuse et sournoise, pouvait avoir bien le loisir de faire tout ce qu'elle voulait et se jouer de nous. Katarina était de ceux qui ne rêvaient que peu, mais dont les rêves étaient intenses et toujours incroyablement réalistes.

─ Elle rêvera de Héra, murmura la conscience.

 Et le monde des rêves s'habilla d'une bien étrange façon, prenant l'apparence d'une grande salle de temple qui semblait être infinie.

Katarina progressait dans la salle avec prudence, tiraillée entre un sentiment de surprise et de fascination. Elle n'avait jamais rêvé d'un temple ou d'un endroit avec une structure si détaillée.

 Cela laissa à la vipère la drôle de sensation de connaître l'endroit...

 L'air froid sur ses épaules la fit frissonner, la faisant serrer par réflexe les pans de sa chemise contre sa poitrine pour tenter de se réchauffer un peu.

 ─ Te voilà enfin, souffla une voix étrangement mystique et fantomatique, mais pleine de grâce.

 Katarina sursauta, et avança dans la pénombre, fronçant les sourcils comme si plisser les yeux allait l'aider à mieux se repérer dans l'obscurité. Quelle ne fut pas sa frayeur de distinguer qu'une femme sur un trône l'attendait, assise là ! Et en plus, il s'agissait de Héra... elle la reconnaissait bien, puisqu'elle l'avait vue dans un livre l'année dernière, en lisant un livre emprunté à la bibliothèque.

 Katarina retomba à la renverse, poussant un cri de surprise en retombant sur les fesses. Elle ne put s'empêcher de couler un regard craintif vers la déesse, qui semblait impatiente.

 Héra était aussi jolie que pouvaient bien le raconter les croyances.  Ses cheveux étaient ondulés, courts et épais, d'une agréable teinte brune se rapprochant du blond foncé. Son teint est bien plus blanc que le sien, et son regard fin aux reflets dorés ne lui donnaient définitivement pas l'air humain.

 Les lèvres fines et roses de la déesse s'étirèrent pour laisser entrevoir le semblant d'un sourire mystérieux.

 ─ Tu devrais cesser ces manières, elles ne conviennent pas parfaitement à une jeune fille comme toi, dit Héra. Derrière la déesse se tenait un magnifique paon, qui la fixait d'un regard étrange et brillant.  

 ─ Que...

 L'étudiante était définitivement perdue. Pourquoi faisait-t-elle un rêve sur Héra, déesse du mariage et la plus jalouse des déesse ? Cela n'avait aucun sens. Elle finit par se redresser, honteuse de s'être laissé une nouvelle fois happée par ses émotions. A cet instant, des tonnes de questions s'emparèrent de son esprit, qu'elle n'osa pas poser.

 Calme toi, ce n'est qu'un rêve... se dit-t-elle en son for intérieur, cherchant à se calmer. Pourtant... son cœur battait la chamade et une désagréable sensation lui prit les tripes, comme si elle était morte de peur, ou malade.

 Héra la fixait toujours avec un sourire cynique et perché, bien comme il faut. De sa main droite, elle tenait son sceptre d'or, et de l'autre, une grenade, qu'elle tendit à Katarina d'un geste fluide.

 ─ Tu es vraiment pataude, mais tu feras bien l'affaire.

 Le fruit lui retomba dans la main. A aucun moment, elle ne put parler, ni même penser. Son esprit s'était envolé, laissant une étrange sensation de flottement désagréable.

 Ce rêve s'était arrêté là. Après cela, elle n'avait plus aucun souvenir concret de sa possession, juste une légère douleur, et le néant...

 ─ Tu sais qu'il s'agit d'un rêve, dit la conscience.

Seulement, ses souvenirs s'étaient envolés... elle n'avait plus aucun souvenir concret de sa rencontre avec la déesse, ou au sujet de cette fameuse salle. Ce n'était qu'un rêve, comme un autre, que son esprit avait créé. Pourquoi ? Elle-même ne le savait pas, si ce n'est son inconscient qui cherchait peut-être à se rassurer, d'une certaine façon...

 A son réveil, elle constata avec stupeur qu'elle était à l'infirmerie, complètement vidée de son énergie. Ce fut à cet instant que le directeur vint à sa rencontre, et cela, elle s'en souvenait très bien. Quel personnage étrange et détestable...

 A cause de l'épuisement, Katarina était beaucoup plus calme, voire même absente. Alors qu'elle se demandait ce qu'il s'était passé et pourquoi elle était là, ses questions trouvèrent vite des réponses, mais pas celles qu'elle aurait bien espéré d'entendre, je le crains.

 La nouvelle tomba comme une sentence aux allures de mauvaise blague : elle apprit que son corps était devenu l'hôte de la déesse Héra. Tout d'abord, Katarina avait refusé d'accepter la nouvelle, mais elle fut bien forcée de s'y faire. Il avait été clair : il n'y avait pas moyen de faire autrement. Il fallait se plier aux règles de cet étrange personnage, sinon elle risquait de perdre bien plus que sa simple liberté.

 Les premiers jours furent terribles, car si la déesse n'avait pas pris le contrôle de son corps, beaucoup de ses gestes étaient plus ou moins "influencés" par le tempérament de Héra. Même si elle avait le contrôle de son corps et de son esprit, partager son corps avec une déesse, c'était... quelque chose de peu commun. Katarina n'arrivait plus vraiment à être elle-même. Tout cela couplé à la fatigue et au stress, rien de tout cela ne l'avait aidé à s’accommoder de la nouvelle. Cependant, le temps fit bien les choses, et la peste arriva à prendre ses marques, tant bien que mal.

 Minuit approchait. Glissée sous sa couette comme pour s'en faire un abri, allongée à plat ventre sur son lit, elle lisait un livre à l'aide d'une lampe torche qu'elle tenait dans sa main droite. Il s'agissait de La Mythologie Grecque et tous ses secrets. Livre très intéressant et complet, Katarina trouvait à peu près de quoi étancher sa curiosité.

 ─ Pourquoi lis-tu donc encore ces torchons ? Au lieu de te compliquer la tâche, peut-être pourrais-tu me demander...

 ─ J'ai besoin de compléter les cours de ce matin et je n'ai pas besoin de ton aide pour le moment, répondit la jeune femme, ennuyée de cette présence polluante et collante.  

 ─ Tu n'apprendras certainement pas à mieux maîtriser tes pouvoirs en ne faisant que lire...

 ─ Je ne comptais pas passer à la pratique en si peu de temps. Laisse-moi me concentrer, tu veux ? dit-elle d'un air courroucé. Étonnamment, à cela, Héra ne répondit rien de plus qu'un petit rire sarcastique, avant de laisser Katarina se replonger dans sa lecture en toute sérénité.

 Héra et elle avaient un point commun : la persuasion, et la cruauté. Si elles savaient jouer de cela et devenir alliées, elle feraient certainement un très bon travail ensemble, chose qui leur serait très profitable.
 
 Une fois qu'elles eurent appris à s'accommoder chacune de leur personnalité, elles acceptèrent de faire un compromis, et au fil du temps, cette présence devint naturelle pour Katarina.

 En effet, elles avaient convenu que Héra l'aiderait à obtenir non seulement de la popularité, mais de quoi réussir avec brio ses études, tant que Katarina daignait de laisser un peu de libre arbitre aux volontés de Héra, qui étaient de protéger les femmes, et surtout, éviter l'infidélité. Bien évidemment, Héra devait aussi se plier à l'interdiction de posséder Katarina, chose qu'elle avait contre toute attente, accepté. Les principes moraux pouvaient être parfois flous, surtout avec un caractère comme celui de Héra...
 
 En toute franchise, la peste ne voyait pas très bien comment s'y prendre, mais tant que cela lui permettait d'obtenir ce qu'elle voulait, elle ne cracherait certainement pas sur des conditions aussi simplistes.

 Une sorte de lien étrange s'était tissé ; il ne s'agissait pas d'une amitié, mais d'une sorte d'accord mutuel ou la déesse jouait le rôle d'une sorte de grande sœur sévère et sarcastique, sans jamais faire la moindre preuve de douceur ou de niaiserie. Cela convenait très bien à Katarina, qui n'était pas très à l'aise avec l'idée de se retrouver amie avec une déesse. La plupart du temps, leurs dialogues se limitaient à des piques et des échanges cordiaux.

 Au moins, l'absence d'animosité leur permettait à toutes les deux d'être chacune plus ou moins libre, même si, sans le dire directement, la vipère persistait à se méfier de cette présence mystique. Elle n'oubliait pas la menace de la possession : si elle se méfiait ou se surprenait à trop s'attacher à Héra... elle perdait bien plus que son corps, mais sa vie. Elle ne pouvait rien dire à personne, pas même à sa propre mère. Il lui fallait faire très attention, même si elle pouvait se révéler très utile, sous certains aspects.

 De ce fait, Héra jouait moins des émotions de son hôte, et en retour, Katarina lui permettait d'utiliser de son talent de persuasion lorsqu'il s'agissait de convaincre quelqu'un de lui rendre un service, par exemple. Beaucoup de ses essais échouèrent, car ce pouvoir se révélait très aléatoire. C'était précisément pourquoi, en sortant du cours de Gestion de la Possession et apprentissage de Maîtrise des pouvoirs.

 ─ Si tu te montres trop impatiente, tu n'obtiendras pas ce que tu voudras, fit remarquer Héra d'un ton ennuyé.
 
 Katarina tiqua de l'épaule en l'entendant dire. Elle détestait qu'on la conseille elle et refusait d'en parler puisqu'elle n'avait pas manifesté son mécontentement à voix haute, quoi qu'il se lisait très bien sur son visage. L'étudiante avait tout particulièrement horreur qu'elle se permette autant de libertés en lui dictant ce qu'elle devait faire et ne pas faire.

 ─ Je ne suis pas impatiente ! Juste agacée de ne pas avoir de résultats concluants après autant de temps à écouter ces cours et tes conseils farfelus...

─ Tu y parviendras, avec de l'entraînement. Rien ne s'obtient sans efforts, peu importe à quel point on peut être compétent, tu devrais le savoir.

 Voilà que Héra, fille de Cronos et de Rhéa, épouse et sœur de Zeus, lui portait conseil comme une vraie mère. Belle, digne et sévère, voilà ce qu'était Héra. Il arrivait parfois à Katarina de se demander pourquoi elle avait été choisie pour partager un tel lien avec cette reine Grecque des Dieux. Pourtant, elles se ressemblaient en bien des points, lorsqu'il s'agissait de cruauté ou même de s'approcher de la perfection. Quoi que si Héra pouvait l'être selon les croyances, ce n'était tellement le cas pour son hôte, qui se baignait dans l'orgueil...

 ─ Bien sûr que je le sais, répliqua Katarina avec un sourire narquois. Je te le prouverai même, à la pièce de ce soir.
 
 Au club de théâtre, dont elle faisait partie, ils devaient jouer un rôle basé sur la mythologie grecque. Si elle n'eut pas obtenu le rôle principal, elle allait faire en sorte que les spectateurs n'aient que de yeux tournés vers elle. Après tout, si elle voulait briller, il fallait avant tout faire comprendre aux autres ou étaient leur place : derrière elle.

 Pour l'heure, elle n'avait qu'un seul objectif : gagner. Pour cela, la présence de Héra lui était nécessaire et elle comptait bien évidemment en profiter.

 Seulement la jeune fille allait devoir apprendre, à ses dépens où non, que tout se payait un jour, et que rien n'était aussi facile qu'elle pouvait bien le prétendre. Peut-être bien qu'à l'avenir, elle réussirait, et perdrait tout ; ou bien Héra saurait-t-elle lui faire entendre raison. C'était bien ça la question... rien ne pouvait se prévoir, ou se deviner à l'avance.
 
 Elle était maître de son destin, et peut-être un jour, choisira-t-elle de devenir une meilleure personne.