Se dessiner soit même … Quel devoir stupide…

La jeune femme recula sa chaise pour passer devant son miroir pour observer ce corps qu'elle devait représenter et décrire.

Elle n'était pas bien grande, environ 1m60. Elle avait peut-être grandi depuis le temps.
Ce qui était sûr, c'était que même si elle était musclée par les différents sports qu'elle avait pratiqués, sous son épais pull, ses côtes étaient partiellement visibles et les os de ses hanches pointait sous sa chair, vestige de ses troubles alimentaires. Dans son dos, quelques traces indélébiles marquaient sa peau et sa chaire comme un rappel constant de son passé.

De l'extérieur, bien habillée et maquillée on la trouvait plutôt jolie, mais surtout remarquable par l'épaisse chevelure digne d'un petit colibri qu'elle arborait. Du bleu indigo au violet prune, ses longs cheveux tombaient jusqu'à ses cuisses dans une cascade de mèches.

Ses yeux bleus soulignés de noir restait à l'abri du soleil sous l'ombre de chapeau à large bord. Depuis sa possession cependant, l'un de ses yeux étaient plus clairs lui donnant une allure étrange à ses iris.

Il n'était pas rare non plus que des regards s'arrête sur ses tatouages ou ses piercings. On lui posait aussi souvent beaucoup de questions à ce propos.

Si elle devait expliquer pourquoi elle les avait elle dirait, avec son léger accent français, que c'est parce qu'ils lui permettaient de s'approprier un corps qu'elle apprenait à aimer.

Elle arborait deux percings au niveau de la lèvre inférieure et six tatouages au total. Son premier couvrait le dessous de sa poitrine, formant sur ses côtes une rosace de vitraux gothiques, quelques mois plus tard, elle décora son épaule de symbole céleste entre-laçait, puis vient les lignes géométriques courant sur sa main gauche. Elle décida ensuite de marquer ses bras, le gauche de papillon et de végétation tandis que le droit arborait le drapeau rose jaune et bleu des pan-sexuel.

En apparence, elle avait l'air d'une jeune femme sûr d'elle et enthousiaste. Elle aimait beaucoup discuter de toutes sortes de sujets, mais par-dessus tout, elle adorait écouter les gens parler de leur passion. Elle trouvait cela agréable d'en savoir plus sur les autres et de comprendre ce qui les motivait.

Elle aimait observer les gens et la vie grouiller autour d'elle. C'est pour ça qu'elle ne quitte jamais son appareil photo, pour saisir l'instant, pour attraper la vie qui court.

Elle profitait aussi de la vie comme elle pouvait et n'hésitait pas à s'amuser. Il n'était pas rare de la croiser dans les bars, un verre à la main.

Mais là dans son miroir, elle contemplait la fille qu'elle était vraiment.

Une fille qui tentait de se reconstruire, une fille qui avait perdu toutes ses illusions d'enfant sur ce monde fade dont elle essayait de s'échapper par la lecture et la musique. Sa motivation était sa volonté de vivre de son art, d'exploiter ses talents et de faire ce qu'elle aimait au plus profond d'elle-même.

Sa fuite l'avait menée très tôt vers le dessin et la photographie, deux passions qui avaient toujours rythmées sa vie et qui continuaient à le faire au quotidien.
Cet art était comme un fil qu'elle utilisait pour retisser sa propre vie.

Cependant, même avec cette attache, elle avait du mal à retrouvait les fondations de son être. Elle avait encore beaucoup de mal à manger et accepter son corps. Elle n'arrivait pas à se détacher du regard d'autrui et semblait s'attacher à leur reconnaissance. Alors, elle préférait détourner les yeux de son corps par ses tatouages qui le masquaient, préférant que les regards soient attirés par ses cheveux et ses excentricités que par elle.

Elle avait souvent peur de gêner ou d'inquiéter les autres, alors elle ne disait rien et se contenter d'encaisser tout ce qu'on lui balançait. Plutôt que de parler, elle se murait dans le silence et disparaissait dans son monde le temps que ça aille mieux. Elle faisait de même avec les compliments sur elle. Elle ne pouvait s'empêcher de détourner les yeux en espérant que le compliment glisse sur elle comme l'eau sur les plumes d'un canard.

Pourtant, certain la trouvait dure, car elle n'hésitait pas à dire ce qu'elle pensait sans faire de détour inutile. Ce n'était pas par méchanceté, au contraire, l'honnêteté était pour elle la base de la gentillesse.

Parfois, elle entendait des gens la comparer au marbre ou à une statue. Elle était dure et froide, mais son apparence était lisse et belle. Elle y voyait une autre signification, elle était forte. Elle s'était endurci et elle n'avait plus peur d'être blessé.

Sur ses pensées, la jeune femme poussa un long soupire et retourna à son bureau dessiner la Hadley que les autres voyait, celle qui souriait.

Hadley Dugain avait grandi en France. Née d'un père français et d'une mère anglaise. C'était une petite fille toujours très calme. Elle avait toujours arboré une chevelure noire corbeau tandis que ses yeux eux étaient clairs comme l'eau d'un ruisseau.

Personne ne trouvait rien à redire à cette petite qui avait de bonnes notes à l'école, était calme et silencieuse et, qui de surcroît, parlait couramment anglais et français.
Mais la petite semblait très solitaire. De plus, dans un petit village, les rumeurs allaient bon train.

D'après ces dernières, son père frappait sa mère. C'était vrai. Personne ne disait rien. C'était un petit village…

Hadley détestait rentrer chez elle pour voir ça. Et plus elle grandit, plus le regard de son père changea et les violences commencèrent.
Au début, ce n'était pas grand chose, un bras serré un peu trop fort ou une tape donnée derrière la tête. Puis vient la première gifle alors qu'elle n'avait pas plus de 10 ou 11 ans. Puis le premier coup de poing, etc, etc …

Tout ça n'a fait que s'accélérer jusqu'aux premières marques durables qui s'inscrivirent dans sa peau et sa chaire et qu'elle portait encore aujourd'hui.

Cependant, elle continua à vivre et à aller à l'école. Elle mangeait peu et surtout de moins en moins. Pourtant, elle continuait l'athlétisme, se formant un corps pour encaisser et ceux tout en gardant toujours le même visage calme et neutre qui cependant n'alertait pas vraiment ses enseignants.

Elle n'avait pas beaucoup d'amis. Elle n'en voulait pas d'ailleurs. Le peu de personnes à qui elle parlait, n'était pas vraiment des amis.

Enfin, vient le moment de sa libération. La mort de ses parents. Un simple accident de voiture qui pourtant l'a libéré de sa coquille.
Elle avait alors 16 ans.

Tout le monde était venu lui présenter ses condoléances, déposant un champ de fleurs sur la pierre froide qui recouvrait maintenant ses parents. Elle, elle se sentait coupable de se sentir si légère, à l'image d'un oiseau, elle pensait pouvoir voler alors que toutes ses excuses vides de sens la clouaient au sol. Elle avait gardé une mine triste durant l'enterrement, mais une fois rentrée, elle laissa ses larmes s'échapper de ses yeux, la porte de leur prison s'était enfin ouverte. Elle pleurait non pas de tristesse, mais de joie. Enfin elle n'aurait plus mal, plus de souffrance…
Elle pouvait enfin éclore.

Elle put après quelque temps, se faire émanciper. La même année, elle reçut une lettre d'un pensionnat en Irlande.
Qu'à-cela ne tienne!
Une nouvelle vie s'offrait à elle, elle n'allait pas la laisser passer. Elle laissait ses pétales se dévoiler au soleil.

Elle ne garda rien de son ancienne vie à part quelques vêtements. Elle effaça la mémoire de son ordinateur et de son téléphone. Elle voulait tirer un trait sur tout ça. Elle ne pouvait pas oublier, mais elle pouvait changer. Elle fit changer son nom de famille. Elle passe de Dugain, le nom de son père, à Campbell, celui de sa mère.

Elle déposa une gerbe de bruyère rose devant la pierre tombale de cette dernière en tant que dernière adieu. Hadley, le champ de bruyère…
C'était sa mère qui avait choisi. Elle l'avait toujours aimée et chéri de tout son cœur. C'est elle qui soignait ses blessures et aujourd'hui, elle était ravie qu'elle aussi soit libéré de toutes cette souffrance. Elle sourit malgré ses larmes puis s'en alla, laissant derrière elle son ancienne vie.

Hadley entra en terminal au pensionnat Immortalia l'année suivante. Durant l'été, malgré les bourses et la vente de la maison, elle travailla d'arrache-pied dans un bar. Elle fut formée au métier de barmaid. De derrière son comptoir, elle pouvait observer les autres. Elle pouvait observer la vie danser.
Ainsi, elle avait pu s'offrir deux choses qui lui tenaient à cœur, une couleur de cheveux qui lui permit abandonner son passé sombre pour dévoiler la couleur de sa corolle et un appareil photo qui lui permit de continuer sa passion.

Elle renaissait peu à peu de ses cendres, bien décidée à s'envoler.

L'étudiante était assise dans l'herbe, son éternel chapeau sur la tête, malgré l'ombre du grand chêne qui l'abritait du soleil chaud de ce début septembre.
Elle était assise en tailleur ses affaires dispersées autour d'elle, son appareil photo entre les mains.
Elle observait la vie qui se remettait en marche avec la rentrée qui approchait.
Les étudiants arrivaient avec leurs parents ou seul, tirant d'énormes valises, chargés de sacs et de cartons. Tous allaient vers leur chambre pour s'installer.
De son point d'observation, elle pouvait voir des retrouvailles, des aux revoir ou encore des disputes et des rencontres.

Elle leva son appareil pointant son objectif vers un couple qui venait de se retrouver. La lycéenne sauta dans les bras de sa compagne.
Hadley put capturer l'instant où elles s'embrassèrent. Un baisé heureux et emplit de bonheur.

*N'est-ce pas du voyeurisme ce que tu fais là ?* dit simplement la voix rauque dans son esprit.

La jeune femme sursauta encore peu habituée à la présence de son nouveau colocataire. Cela ne faisait que quelques semaines qu'ils partageaient le même corps.
Elle était restée durant les grandes vacances, n'ayant pas de famille à rejoindre. Elle avait travaillé un peu dans la ville de Galway afin d'économiser un peu d'argent.
Puis, il y avait quelques semaines, le directeur l'avait convoqué dans la salle 3.4. La seule chose dont elle se souvenait après ça, c'était son réveil mouvementé dans l'infirmerie et la voix autoritaire de l'homme avec qui elle allait désormais partager son esprit.

*Non. Je ne vais pas à les suivre et … Et puis laisses moi prendre mes photos en paix.* Grogna-t elle en se renfrognant, faisant ressortir un peu plus son accent français.

Ce n'était pas qu'elle n'aimait pas le dieu, mais il avait la fâcheuse tendance à faire les mauvaises remarques au bon moment.

*Je ne comprends pas non plus pourquoi tu prends autant de photo. Je n'y vois pas grand intérêt…*

Hadley appréciait peu ses commentaires, mais adorait sa voix.
Il parlait toujours avec un accent lui évoquant les tempêtes d'automne et la façon dont il roulait les r lui rappelait le grondement du vent et de la mer.
Elle poussa un léger soupire et fit défiler ses photos sur son appareil tout en cherchant les bons mots.

*Les photos permettent de saisir l'instant et de le garder, de lui permettre de survivre au temps…. au moment où j'appuis sur le déclencheur, l'instant se termine et meurt. Ça a été et ça ne sera plus... *

Elle observa le baisé passionné qu'elle avait saisi.

*Peut-être que d'ici quelques mois, ou quelques jours ce couple n'existera plus. Ici, j'ai immortalisé leur amour.* tenta-t-elle d'expliquer avec difficulté.

*Sais-tu que rien n'est tout à fait immortel? Même les dieux…*

Une certaine tristesse était contenu dans ses mots et Hadley savait qu'il parlait de son fils Bladr. Elle fit comme si elle n'avait rien ressenti et décida de l'énerver un peu pour le faire penser à autre chose.

*C'est vrai … mais toi t'as fait une Jesus et t'es revenu.*

La colère qui gronda en elle n'était pas la sienne, mais elle commençait à la connaître.
Odin n'était pas colérique, mais une fois qu'on l'agaçait, il grimpait vite vers les extrêmes. Elle en avait été victimes plusieurs fois quand ses états d'esprit de fille mal dans sa peau avait refait surface. Apparemment, être dans le corps d'une ado ne le ravissait pas franchement.

*Oh ça va, je rigolais. Déride toi un peu...* soupira t elle en se levant.

Le nordique continua de jurer dans sa langue natal, lui expliquant surement beaucoup de choses intéressantes qu'elle n'avait pas franchement envie d'écouter et la migraine qui pointait le bout de son nez n'arrangeait pas franchement.

*C'est bon j'ai compris, arrête toi…*

Elle déposa ses affaires dans sa chambre et après s'être changé rapidement, descendit courir. Depuis sa possession le sport était devenu un besoin qu'elle devait assouvir au moins une fois par jour. Ça lui permettait de se vider l'esprit et c'était l'un des rare moment où le viking la laissait en paix, ça et dans les moments intimes. Mais la deuxième partie venait d'un accord entre eux,car Hadley trouvait ça affreusement gênant.
Depuis quelques semaines, elle s'était remise à courir, attendant la reprise des activités de club pour reprendre l'athlétisme ou alors pour commencer autre chose … Peut-être la boxe.
Cette idée fit frémir de plaisir le dieu guerrier qui était en elle lui arrachant un léger sourire.

*Tu sais que je n'ai pas vraiment le bon gabarit pour ça ? Je risque juste de me faire exploser.*

Le rire tonitruant de l'homme l'étonna, comme si elle l'entendait depuis la première fois. L'avait-elle seulement déjà entendu rire?

*Tu penses que je te laisserai faire? Je guidais les héros, je peux bien apprendre à une gamine à se battre.*

Certes… Il n'avait pas totalement faux. Au pire, quelques droites, ce n'était pas le pire qu'elle avait connu. Pourtant, elle ne pouvait s’empêcher d'être un peu réticente au fond d'elle même.
Comment Odin réagirait si elle perdait le combat, lui, le dieu de la Victoire ?

Elle inspira l'air qui se rafraîchissait en cette fin d'été, pour se sortir cette idée de la tête. Qu'est-ce qui pouvait bien lui faire dans le pire des cas ? Lui non plus ne voulait pas être annihilé...

*Ça marche. J'irai m'inscrire quand je pourrais. En attendant, on se contentera de la course.*

Elle sourit à l'approbation du dieu qui avait fini par s'habituer à son hôte et même si aucun des deux ne voudraient l'admettre, dans une certaine mesure, il se ressemblait.
Elle aimait la force qu'il lui apportait.
Il appréciait la vision du monde qu'elle lui offrait. Une vision détachée et presque analytique qui lui permettait aussi de faire de belles photos. La vision qu'autrefois lui rapportaient ses deux corbeaux. Une vision sans implication.
Il ne l'avouerait jamais, mais il l'aimait bien.